L’Observateur - Il fut un temps où Boubacar Diop était une terreur dans la presse. Avec son journal «Promotion», il empêchait les présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf de dormir. Agé aujourd’hui de 75 ans, après une vie agitée, Boubacar Diop est devenu un guérisseur très couru, installé aux Hlm de Rufisque. Retour sur la trajectoire d’un homme haut en couleur et insaisissable.
Doyen de la presse privée même s’il n’a pas le baccalauréat, militaire dans sa jeunesse, ancien greffier, ex-agent des Impôts et Domaines, journaliste et ancien chargé de mission du Directeur général de la Senelec, Boubacar Diop, Bouba pour les intimes, a eu une vie remplie. Taille moyenne, il avait, dans sa jeunesse, une forte corpulence et une masse musculaire qui lui permettait de terrasser tous ses adversaires lors des séances de lutte traditionnelles (Mbapatts). A 75 ans, aujourd’hui, il a encore de l’énergie à revendre et une voix de stentor, mais il a perdu quelques kilos. La suite dans les idées, il gesticule, éructe, comme pour vaincre le scepticisme de son interlocuteur, bluffé par sa faconde. L’homme assume tous ses propos et actes. Il ne connaît pas de demi-mesure, ni de langue de bois. Sa vie privée, il en parle volontiers. Il n’a rien à cacher. Il est convaincu que l’homme est une panacée de lumières et d’aveuglements, de vertus et de vices, de qualités et de défauts, de grandeurs et de petitesses. Révéler qu’il a une cinquantaine d’enfants et qu’il a consommé une trentaine de divorce ne le gêne nullement. Il parle de sa progéniture avec fierté et se targue d’avoir « placé dans les universités sénégalaises et de l’extérieur pas moins de 22 bacheliers ». Aussi, divorcer n’est pas une fatalité pour lui. Sa conception, s’il l’on peut dire, est «qu’on ne se marie pas pour faire des enfants seulement, mais pour être heureux. Un mari est un second père. Et une femme n’est pas faite pour être battue ». C’est pourquoi, dit-il, quand le bonheur le fuit en mariage, il divorce.
Les « visions » du jeune Bouba
La vie de cet épicurien démarre en trombe en 1937. Le jeune Boubacar, très turbulent déjà, se singularise. Il voit des « choses » qui inquiètent ses parents. Par exemple, un jour, raconte-t-il, subitement, il se met à annoncer la mort d’un notable de son quartier. Il n’a que 10 ans. Son père le frappe et lui interdit de jouer ainsi aux prophètes de malheur. Pourtant, révèle-t-il, deux minutes après, la mort du notable en question était annoncée. Une autre fois, narre-t-il encore sans se soucier le moins du monde que son interlocuteur croit ou non à son récit, alors qu’il s’était rendu à la petite côte avec d’autres personnes, le jeune Boubacar refuse d’entrer dans le bras de mer alors qu’il aimait se baigner. Quelques minutes plus tard, un jeune se noie. Au fil du temps, ses visions deviennent tellement fréquentes que son père finit par recourir au service d’un marabout Gambien. Les visions le quittent. Il redevient un garçon ordinaire et poursuit ses études. Il entre au collège Blanchot et obtient son Bepc (l’ancêtre du Bfem). Mais le jeune homme est tellement bagarreur que ses parents pensent que faire le service militaire va refroidir ses ardeurs. A 20 ans, le voilà troufion dans l’armée des colons. On est en 1957. Dans la grande muette, il côtoie l’ancien ministre Adrien Senghor. Mais l’armée ne réussit pas à le mettre aux ordres. Il a une liberté de ton qui étonne. Un courage qui frise la témérité. Les remontrances de ses chefs n’y feront rien. Un jour, en parlant avec un lieutenant français, il a l’impression que l’officier lui manque de respect. Il lui donne un terrible coup de tête. Ses supérieurs, hors d’eux, décident de l’envoyer au camp de discipline. Boubacar est ainsi acheminé à Agadez dans le Niger, vers le désert. Mais cet exil ne l’a pas changé d’un iota. Devenu grand, il continue à avoir le même tempérament : spontané et belliqueux.
Un affront réglé au revolver
Un jour, au moment du bouclage de son journal «Promotion», un jeune rappeur vient le voir et lui fait lire un poème. Il est tellement ému qu’il laisse perler quelques gouttes de larmes. «Le Témoin», rendant compte de ce moment d’émotion, écrit que derrière ses apparences de dur à cuir, Boubacar Diop est très fragile. Il fait la grande gueule, mais c’est un fanfaron. Des mots qui font mal à Boubacar. Il rumine sa colère, mais n’a pas la force de se retenir. «Mamadou Oumar Ndiaye (Ndlr : alias MON, dirpub du « Témoin ») me traite de fanfaron parce que tout simplement j’ai lu un poème et j’ai pleuré! Je vais lui régler son compte», se dit-il. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Il charge son revolver, affrète un taxi et débarque au siège du journal «Le Témoin». Il entre dans le bureau de Mamadou Oumar Ndiaye et tire…un coup de feu ! Ses nerfs se calment et il rebrousse chemin. Heureusement, la balle ne blesse personne. Juste un impact sur le mur. Aujourd’hui encore, il se remémore de cet épisode en rigolant. Le bonhomme revendiquera même crânement ce douteux fait d’armes dans un entretien en jouant sur le cousinage à plaisanterie avec MON : « J’ai foutu à un Ndiayène la trouille de sa vie ! » Le truculent personnage ne regrette rien de ses frasques passées : «Si quelqu’un me frustre ou me manque de respect, je suis capable de me battre avec lui, même dans l’enceinte de la mosquée. Que ce soit devant le président de la République, devant le khalife des Tidianes ou des Mourides, cela m’est égal ! Je suis extrêmement sensible. Sur le vif, je suis capable de toutes les folies et je ne me rétracte pas. C’est mon tempérament. Je suis comme çà. Personne ne peut me changer». Les mots de Boubacar Diop sonnent comme un couperet.
Le premier séjour en prison
En fait, après sa libération de l’armée, Boubacar Diop fait un concours pour être secrétaire des greffes et parquets. Il sort major de sa promotion. Il devient greffier avant d’être affecté aux Impôts et Domaines. «Au niveau des impôts, j’ai eu des problèmes qui m’ont fait aller en prison», raconte-t-il sans trop s’étendre sur cet épisode. Nous sommes en 1970. Il devient pensionnaire de la chambre 13 de la prison centrale de Rebeuss. Cellule qu’il partage avec un marabout et d’autres détenus. «Un jour, le marabout nous a demandé de faire 11.111 ikhlass, nous assurant que celui qui le fait dans la nuit du jeudi au vendredi sortira assurément de prison avant les 15 jours ferme», se rappelle Boubacar Diop. Toute la chambré s’y met. Malheureusement, seuls deux détenus, un certain Mamadou Barry et lui, réussissent à le faire. Barry sort le lundi, Boubacar le mardi. Lorsqu’il sort de prison, il commence à chômer. Il décide de faire l’examen d’entrée à la faculté. Le jeudi qui suit, il refait les 11.111 ikhlass que lui a appris le marabout en prison. Lorsque les résultats sortent, il est major. Sur 140 candidats, seuls 10 ont été reçus. «C’est alors que je me suis rendu compte que la sourate Ikhlass avait un pouvoir extraordinaire. C’est ce qui m’a influencé à serrer mon coran», raconte-t-il. Mais il n’avait pas encore découvert qu’il avait une vocation de guérisseur.
Création de son premier journal
Après sa formation, Boubacar Diop devient surveillant de lycée. Mais en 1965, il décide de tout abandonner pour se lancer dans la presse. Sa liberté de ton et d’esprit ne s’accommode pas avec sa qualité de fonctionnaire. C’est ainsi qu’il crée le journal «Echos du Sénégal». A l’époque, le gouvernement avait décidé de mettre en place un code de la famille et cela risquait de mettre en cause certains dogmes religieux. Il part à Touba interviewer Serigne Fallou et à Kaolack tendre le micro à Baye Niasse. Les deux khalifes, qui sont contre la mesure, s’attaquent ouvertement au président de la République. Boubacar Diop commence alors à être dans le collimateur de Senghor. En 1972, il abandonne «Echos du Sénégal » à Mame Less Dia et crée le journal «Promotion». En 1979, il écrit que Senghor a eu une syncope lors d’une conférence publique à la Sorbonne. La faille que Senghor attendait pour lui régler son compte. Il est immédiatement arrêté et placé sous mandat de dépôt pour diffusion de fausses nouvelles. Il passera 14 mois dont 8 à Rebeuss et 6 en isolement au camp pénal. Une sorte de cellule avait été construite pour lui à coté du bureau du régisseur. Pendant 6 mois, il n’a eu pour seul compagnon que son coran.
En prison pour avoir interviewé Abdoulaye Wade
Lorsque Senghor quitte le pouvoir, Boubacar Diop croit que ses peines sont terminées. Erreur ! Le nouveau président Abdou Diouf va le renvoyer en prison après une interview que lui a accordée un certain Abdoulaye Wade, alors leader de l’opposition. L’actuel locataire du palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor avait soutenu qu’ «il est inadmissible qu’une première dame dans une république utilise l’avion présidentiel pour faire du commerce ». Abdou Diouf voit rouge et ordonne son arrestation ainsi que celle d’Abdoulaye Wade. Mais l’actuel chef de l’Etat était député et était couvert par son immunité parlementaire. En prison où il passe encore 7 mois, Boubacar Diop retrouve le Président Directeur général du Groupe «Walfadjri», Sidy Lamine Niasse. Lors de son procès, il est défendu par l’actuel ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom. A sa sortie de prison, sur intervention de Cheikh Tidiane Sy des Moustarchidines, Abdou Diouf le reçoit et lui propose un poste à la Senelec pour qu’il reste tranquille. Il accepte. Il était un homme cassé avec une famille à nourrir. On ne peut pas le faire avec des idées. «Boubacar Diop que tu vois là a pratiquement 50 enfants dont l’ainé est enseignant à la Faculté des Lettres de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. On n’est pas libre quand on a de la famille, des enfants et des épouses qui comptent sur toi. Parfois, on fait le héros, mais il ya toujours des contraintes familiales qui font qu’on ne peut pas tout le temps cracher sur des propositions. J’ai envoyé à la faculté 22 bacheliers. J’ai des enfants en Italie, en Espagne, en France au Etats unis, au Maroc et ici qui travaillent. J’ai au moins dix enfants salariés dans l’administration dont un professeur d’université. Des enfants qui m’aiment, qui me vénèrent et qui se cotisent pour me donner de l’argent à la fin de chaque mois», se justifie-t-il.
Tout en cherchant à s'en démarquer, Boubacar modère alors ses critiques à l'encontre du président Abdou Diouf. Il devient le chargé de mission du Directeur général de la Senelec tout en dirigeant son journal «Promotion». Pour l’aider à s’en sortir, le pouvoir lui octroie un prêt de 60 millions du Front de promotion économique (Fpe) et lui fait signer des contrats avec la Lonase, la Senelec et la Sicap pour lui permettre de payer le prêt. Il lance son imprimerie à Colobane et achète 15 taxis qu’il finit par vendre quelques années plus tard. Mais en 2000, Abdoulaye Wade arrive au pouvoir et résilie tous les contrats qu’il avait avec l’administration. Boubacar abandonne alors la presse et se retranche chez lui aux Hlm de Rufisque.
Boubacar et sa formule coranique
Ce n’est qu’en ce moment qu’une vocation de guérisseur frappe à la porte de Boubacar Diop. « Une inspiration divine », croit-il savoir. Il recommence à avoir des « visions » et soigne par inspiration, suivant une formule coranique qu’il dit avoir découverte fortuitement. «Des gens sont venus me voir avec le Vih. Après mon traitement, le virus est devenu indétectable», se targue aussi Boubacar Diop.
A ses détracteurs, il répond que sa formule marche et est sans danger. Pour lui, c’est plutôt le « safara »(Ndlr : eau bénite) qui ne guérit pas, mais tue. «Un marabout de Kaolack est mort de colopathie du fait du safara qu’il buvait. Un responsable politique de Thiès est également passé de vie à trépas parce qu’il raffolait de safara. Je dis que tous les buveurs de safara ne vivront pas longtemps», assène-t-il. Sa conviction est que non seulement sa formule coranique marche, mais aussi que demain, avec la méthode qu’il utilise quelqu’un sera capable de ressusciter… un mort !
11 Commentaires
C
En Février, 2011 (10:53 AM)Manola
En Février, 2011 (10:54 AM)Pobre
En Février, 2011 (11:01 AM)Beuz
En Février, 2011 (11:13 AM)Mody
En Février, 2011 (11:25 AM)Boudioumann
En Février, 2011 (11:27 AM)ET IL SAVAIT BIEN QUE C'EST NOTRE ARGENT!
QUEL MANQUE DE DIGNITE!
Ceedoo
En Février, 2011 (11:38 AM)Sowmoussebrelotte
En Février, 2011 (14:07 PM)La Senegalaise
En Février, 2011 (14:13 PM)Un USURPATEUR
Reply_author
En Septembre, 2021 (20:47 PM)Reply_author
En Septembre, 2021 (04:17 AM)Thierou
En Septembre, 2021 (08:39 AM)Ce qui est curieux, c'est que les comptemteurs de Sonko prêtent à ce dernier des comportements diamétralement opposés, selon les circonstances : soit il est un ultra-religieux encagoulé, soit il est un violeur invétéré !!!
Reprenez-vous et essayez de comprendre le sens de l'histoire, au lieu de persister dans la lutte contre des moulins à vent.
Wasalaam.
Ndokh
En Février, 2011 (15:01 PM)La vie de cet épicurien démarre en trombe en 1937
2011-1937=74 ans
Anonyme
En Novembre, 2016 (22:53 PM)Participer à la Discussion