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ENTRETIEN AVEC... Djiby Diakhate, sociologue, chargé d’enseignement à l’Entss : «Au Sénégal, on accède au pouvoir pour contrôler les ressources»

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ENTRETIEN AVEC... Djiby Diakhate, sociologue, chargé d’enseignement à l’Entss : «Au Sénégal, on accède au pouvoir pour contrôler les ressources»

 

L’utilisation abusive des moyens de l’Etat à des fins personnelles est une pratique récurrente au Sénégal. Mais, ce phénomène obéit à une logique sociologique, si l’on en croit le sociologue, Djiby Diakhaté. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il explique que les acteurs politiques réclament le pouvoir pour contrôler les ressources publiques. Ainsi, prône-t-il la moralisation de la vie politique.

M. Diakhaté, comment pouvez-vous expliquer, du point de vue sociologique, l’utilisation de la chose publique par le Sénégalais ?

Dans cet esprit, il faudrait faire la différence entre ce que nous appelons les groupes primaires et les groupes secondaires. Les premiers nommés sont caractérisés par une certaine homogénéité, un fort attachement de l’individu à la famille et une sorte de gestion de l’espace et du territoire tant que les membres du groupe respectent le pacte de fidélité qui les lie. Et dans ce groupe primaire, tout le monde est parent de tout le monde parce que c’est la parenté qui est mise en avant. Soit on est parent soit on est ennemi. A partir de ce moment, lorsque quelque chose m’appartient, il appartient au groupe en même temps parce qu’il y a une forte solidarité. En plus, dans ce milieu, il est impossible de faire la différence entre ce qui appartient à A et ce qui appartient à B. Tout appartient au collectif.

Progressivement, pour le cas du Sénégal, ces groupes primaires se sont heurtés à un ensemble d’écueils parmi lesquels le processus d’islamisation et la colonisation. Ceux-ci ont ouvert les groupes primaires à des espaces beaucoup plus grands. Cela a fait que plusieurs groupes primaires ont été appelés à co-exister. D’où la naissance d’une autre conception de la communauté. Mais, malgré cette ouverture et cette nouvelle intégration, il y a la survivance de pratiques propres à ces groupes primaires. C’est-à-dire que certains groupes primaires, bien qu’évoluant maintenant dans ces groupes secondaires, continuent à avoir des références et une certaine forme d’identité. C’est ce qui explique que lorsque quelqu’un est promu à un poste de commande, que l’on trouve autour de lui, des individus appartenant à un même groupe ethnique que lui, à la même famille ou au même daara.

L’autre dimension dont il faut tenir compte, c’est qu’il y a une certaine représentation qui accompagne la colonisation et qui continue de faire mal. Les colonisateurs sont connus pour exploiter les sociétés africaines et la société sénégalaise ne fait pas exception. Les colonisateurs avaient mis en place une administration pour mieux cerner les groupements humains et les exploiter au maximum par le biais du travail et de l’impôt. Ainsi, les populations en ont vu une manière de piller les ressources des localités. D’où la naissance de clivages qui existaient entre l’administration coloniale et les communautés. Un travail de conscientisation n’ayant pas été fait au moment de la décolonisation, ces mêmes clivages existent toujours dans l’imaginaire collectif. En effet, les gens continuent à voir toujours, à travers l’administration, la présence du colonisateur. Ainsi, il ne serait pas mauvais de piller les ressources de cet ennemi avec qui l’on ne doit pas pactiser. En conséquence, c’est un sentiment de rejet que les populations continuent à avoir vis-à-vis de l’administration. C’est pourquoi, on parle toujours de alalou bour (le bien public) qu’il faut piller.

Outre ces aspects, peut-on occulter la responsabilité des hommes politiques dans la progression de l’utilisation abusive du bien public ?

Il y a effectivement ce qu’on appelle les combats pour l’accès au pouvoir et pour le contrôle des ressources. Il y a aujourd’hui un contexte politique particulier marqué par une lutte à mort des acteurs politiques pour l’accès au pouvoir et pour le contrôle des ressources alors que ces deux sont intimement liés. Car, on ne peut accéder aux ressources qu’en accédant au pouvoir. En effet, une sorte de machiavélisme accompagne les stratégies et les calculs des uns et des autres. Ainsi, il se produit une situation où il manque d’éthique dans les stratégies développées. Or, on ne peut pas imaginer une société qui fonctionne correctement sans consensus éthique minimal. Mais, actuellement, la pratique politique quotidienne nous conduit à constater que les acteurs politiques ne sont intéressés que par le pouvoir pour contrôler les ressources. C’est ce qui explique le phénomène de la transhumance dans les deux sens.

Vous faites état du sentiment de rejet de l’administration par la communauté pour justifier le gaspillage des ressources publiques. Est-ce que cette étude peut s’appliquer dans ce contexte sénégalais où ce sont les tenants du pouvoir qui utilisent la chose publique d’une manière abusive ?

Nous avions dit que l’accès au pouvoir ne signifie pas la prise en charge des préoccupations du peuple. Malheureusement, aujourd’hui, accéder au pouvoir signifie prioritairement la gestion des ressources publiques à des fins personnelles ou partisanes.

Comment pouvez-vous expliquer ce phénomène malheureux ?

Il y a d’abord le phénomène de crise économique qui a affecté une bonne partie de la communauté en Afrique. On assiste à la rareté de la ressource.

Mais, n’est-ce pas aussi une crise morale et éthique ?

Nous sommes en train de passer d’une société spiritualiste à une société matérialiste. Traditionnellement, ce qui faisait un nom, ce sont les valeurs morales auxquelles il était plus ou moins attaché. Mais, de plus en plus, c’est le matériel qui est en train de l’emporter sur le spirituel, si bien qu’un homme a un statut non seulement parce qu’il a des valeurs mais, parce qu’il a des revenus. Ainsi, l’individu accède aux ressources publiques pour se construire et se fabriquer un statut enviable vis-à-vis de la société. Or, à partir de ce moment, on doit mettre en place un mécanisme de redistribution et lorsque les propres revenus ne permettent pas de satisfaire toutes les demandes, la tendance est à l’accession des ressources publiques par des méthodes souterraines et illicites pour des besoins clientélistes et électoralistes. Et ceci est fait sur le dos du grand peuple en enfonçant davantage nos pays dans des situations de plus en plus critiques.

Il y a aussi le fait que la logique de l’avoir est entrain de l’emporter sur la logique de l’être. On est parce qu’on a. Pour développer un pays, on n’a pas seulement besoin des hommes bien formés, mais il faut qu’ils soient des hommes bien formatés en termes de valeurs éthiques cardinales qui structurent leur être de l’intérieur et qui impliquent une orientation à leur conduite quotidienne. Et cette orientation a des répercussions sur la comptabilité publique.

Mais, l’on se rend compte aujourd’hui que les acteurs politiques sont plus mus par la satisfaction des besoins des membres de leur groupe primaire que celles des populations. Ainsi, la moralisation de la vie politique s’impose car le pouvoir est un sacerdoce. On n’accède pas au pouvoir pour dire que nos problèmes d’argent sont réglés ou pour abuser des ressources. Il y aussi le fait que ces gens ne sont pas conscients de la véritable mission que le peuple leur a confiée.



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