Parmi les complices des preneurs de la démocratie en otage, Abdou Latif Coulibaly, intègre la presse nationale qui se contente en général des aspects narratifs, anecdotiques et approximatifs dans les livraisons d’informations. Pour des raisons d’espace, nous n’avons pu publier cet extrait dans notre édition d’hier. Ce qui pourrait donner l’impression que l’on évite de parler des scories dans notre profession. Toujours est-il que Abdou Latif Coulibaly balise ici des pistes intéressantes de réflexions sur la pratique de la presse sénégalaise. Sans détours…
«La presse nationale reste encore très narrative, anecdotique et approximative, quand elle traite de certains sujets. Il manque aux journalistes ce talent consistant à être à la fois dans le flux du temps et à sa surface, en sachant passer de l’un à l’autre. Beaucoup de journalistes semblent avoir du mal à produire cette connaissance qui rend les faits bruts et la réalité narrée plus intelligibles. Ils sont aussi victimes de la tyrannie de l’événement.
Et le penseur français de lister les excès dans la pratique journalistique en France, qui sont aussi repérables chez nous, en dépit ou à cause de la jeunesse de notre presse : «La tyrannie de l’événement : logique du scoop et des révélations pour se distinguer de la concurrence, le harcèlement médiatique sur certains événements ou personnalités, au détriment des pans entiers de la réalité qui sont passés sous silence, l’absence de distance et de culture professionnelle pour mettre en perspective les événements ; la facilité dans le traitement des faits, le peu de droit de suite sur l’information, l’obsession des révélations, secrets et dévoilements qui, semaine après semaine, dans les media [sérieux] comme dans les media [populaires], prennent le public à partie pour lui permettre de [tout savoir] sur tel ou tel aspect de la réalité (…) Et la liste peut sans difficulté être augmentée. Il en résulte une sorte de malaise diffus»1
En somme, il reste au journaliste sénégalais de passer à une étape supérieure dans la maîtrise de sa profession ; en se montrant à la hauteur d’une bonne oeuvre journalistique, telle que décrite et expliquée par Weber quand il soutient que «(…) la plupart des gens ignorent qu’une œuvre journalistique réellement bonne exige au moins autant d’[intelligence] que n’importe quelle autre œuvre d’intellectuels, et trop souvent l’on oublie qu’il s’agit d’une œuvre à produire sur-le-champ, sur commande, à laquelle il faut donner une efficacité immédiate, dans des conditions de création qui sont totalement différentes de celles des autres intellectuels. On soupçonne très rarement que la responsabilité du journaliste est plus grande que celle du savant, et que le sentiment de responsabilité du journaliste honorable n’est en rien inférieur à celui de n’importe quel autre intellectuel – on peut même dire qu’il est plus élevé si l’on se réfère aux constations que l’on a pu faire durant la dernière guerre».
En adhérant à cette vision de Max Weber, on doit pouvoir accepter l’idée que le journaliste doit, dans cette optique, être aussi bien formé, être du point de vue des connaissances, aussi bien armé que l’intellectuel à qui on le compare. Or, c’est là où le bât blesse, dès lors que l’on se penche sur le travail fourni par la plupart des journalistes sénégalais».
1 Wolton Dominique (1997), ibidem, p. 214.
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