SERGE TOUSSAINT : “ La Rose Croix est indépendante de la Franc- maçonnerie”

Grand Maître de la juridiction francophone de l’Ancien et mystique ordre de la Rose-Croix (Amorc), Serge Toussaint, en visite au Sénégal, en a profité pour faire des travaux internes, des exposés philosophiques, participer à des forums et donner une conférence publique avec comme thème « Les Roses-Croix, qui sont-ils vraiment ? ». A l’image des mouvements maçonniques, l’Ancien et mystique ordre de la Rose-Croix suscite beaucoup d’interrogations sous nos cieux, surtout quant à son appartenance à la grande famille maçonnique.

C’est quoi l’Ordre de la Rose-Croix ?

Par définition, l’Ordre de la Rose-Croix est un mouvement philosophique. Ce n’est pas une religion, c’est pourquoi dans l’Ordre de la Rose-Croix, il y a des membres qui viennent de toutes les religions. Il y a des Rosicruciens chrétiens, musulmans, juifs, animistes, bouddhistes. Il y a même des membres qui n’ont pas de religion. C’est un mouvement philosophique ouvert aux hommes et femmes sans distinction de race, de religion, de classe sociale. Dans l’Ordre de la Rose-Croix, il n’y a pas d’élitisme social. Il n’est pas ouvert uniquement à une certaine catégorie d’individus. Il est ouvert à tous ceux qui sont intéressés par le mysticisme, la philosophie.

Depuis quand êtes-vous à la tête de la Rose-Croix ?

Je suis le Grand Maître de la juridiction francophone de l’Ancien et mystique Ordre de la Rose-Croix. J’ai été élu à cette fonction en 1993, pour un mandat de 5 ans. Réélu en 1998, ensuite en 2003, je ne sais pas si je le serai cette année. On n’est pas forcément réélu. Il y a des grands maîtres qui, à un moment donné, souhaitent arrêter. On n’est pas Grand Maître à vie. Il y a ceux qui souhaitent arrêter pour des raisons personnelles ou d’autres qui ne sont pas réélus quand ils se présentent. Je vais probablement proposer de continuer encore 5 ans. J’ai le sentiment de ne pas encore achever tout ce que j’aimerais pouvoir faire pour l’Ordre. A un moment donné, je dirai que c’est mon dernier mandat et quelqu’un d’autre prendra le flambeau.

Pourquoi la juridiction francophone ?

Parce que l’Amorc est un mouvement mondial. Il existe dans le monde entier et il est divisé par juridiction de langue. Il y a une juridiction francophone dont je suis le responsable. Grand Maître, c’est un titre symbolique. Cela ne veut pas dire que je suis l’incarnation de la sagesse divine, que j’ai les pleins pouvoirs, que je sais tout et sur tout. Le mot Grand Maître, c’est le titre que porte celui qui dirige une juridiction. La juridiction francophone comporte la France, la Belgique, la Suisse, le Québec, les Dom-Tom et l’Afrique francophone. Dans le cadre de ma fonction, je rends des visites officielles régulièrement dans différents pays d’Afrique francophone. Je viens deux fois par an en Afrique et j’alterne entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Actuellement, je suis en visite officielle au Sénégal, donc en Afrique de l’Ouest. En août prochain, j’irai présider une convention en Afrique centrale.

Quelle place occupe l’Afrique dans votre Ordre ?

Les délégués africains participent de la même manière que les délégués des autres pays aux réunions annuelles. Tout le monde a les mêmes pouvoirs et prérogatives. En ce qui me concerne, j’aime beaucoup l’Afrique. Si je n’aimais pas l’Afrique, je ne viendrai pas deux ou trois fois par an voir les membres de l’Ordre. On est conscient des difficultés économiques et sociales qui règnent en Afrique et cela nous fait mal au cœur. On essaie d’aider le plus possible l’Ordre en Afrique, les membres de l’Ordre en Afrique et, à travers eux les Africains de différentes façons. Au nom de la philosophie rosicrucienne, les membres de l’Ordre qui le peuvent se font un devoir d’aider ceux qui sont autour d’eux. On le fait de manière discrète, on ne joue pas du tambour ou du clairon. Il y a un adage qui dit que « le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien ». On essaie de faire avancer les choses par notre comportement, notre humanisme, notre attitude, sans en faire parler.

Comment se porte l’Ordre de la Rose-Croix au Sénégal en termes de membres, d’adhérents ?

Au Sénégal, il y a à peu près 250 membres sur l’ensemble du territoire qui étudient leur monographie, et certains d’entre eux vont à l’organisme local pour se réunir, discuter entre eux sur ce qu’ils ont étudié chez eux. L’ambiance est très bonne et il n’y a pas de problèmes de ce côté-là.

Peut-on considérer l’Ordre de la Rose-Croix comme une loge maçonnique ?

Il y a effectivement parfois des confusions entre l’Ordre de la Rose-Croix et la franc-maçonnerie. Mais il faut bien comprendre que ce sont deux organisations totalement indépendantes. La devise de l’Amorc de la Rose-Croix, c’est « la plus large tolérance dans la plus stricte indépendance ». Nous sommes totalement indépendants de la franc-maçonnerie. Je ne suis pas franc-maçon. Nos objectifs, nos modes de fonctionnement ne sont pas forcément les mêmes. Donc, c’est la totale indépendance.

Quelles sont les différences entre ces deux organisations ?

Comme je ne suis pas franc-maçon, je ne peux pas vous le dire. D’après ce que je sais pour avoir discuté avec des maçons, c’est que dans la franc-maçonnerie, il n’y a pas d’enseignements écrits comme l’Amorc le fait. Le format de notre Ordre, c’est d’envoyer un enseignement écrit sous forme de monographie de douze degrés. De plus, l’Ordre de la Rose-Croix est totalement apolitique. L’Amorc n’a jamais fait et ne fera jamais de politique. Cependant, ses membres sont tout à fait libres de leurs opinions politiques, mais on n’en parle jamais, on ne s’implique pas sur le plan politique. Cela explique par exemple, en France, qu’il y a des membres de la Rose-Croix dit de Droite, de Gauche, du Centre. Au Sénégal, il y a certainement des membres de notre Ordre favorables au pouvoir actuels, d’autres qui ne le sont pas, mais, ce n’est pas notre préoccupation. Notre seule préoccupation, c’est la philosophie, la spiritualité.

Est-ce qu’il y a des rites initiatiques ?

Effectivement. L’enseignement de l’Ordre de la Rose-Croix couvre douze degrés. Chaque degré est précédé par une initiation que l’on peut faire chez soi à l’aide d’une monographie qui est écrite dans ce but ou qu’on peut recevoir dans un organisme local de l’Ordre. Mais, les initiations ne sont pas obligatoires. Ce sont des cérémonies symboliques au cours desquelles on explique au membre en quoi va consister le nouveau degré qu’il est sur le point d’étudier. Ce qui fait la beauté des initiations de l’Ordre de la Rose-Croix, c’est leur aspect symbolique.

Est-ce que vous avez des liens avec les loges maçonniques ?

Non, On n’a aucun lien. L’Ordre de la Rose-Croix est totalement indépendant de la franc-maçonnerie. Et ici, au Sénégal, comme ailleurs, il n’y a aucun lien et je n’ai jamais rencontré pour ma part des maçons ou des responsables de francs-maçons.

Quel est le profil pour être de l’Ordre de la Rose-Croix ?

Pour être membre de notre Ordre, il suffit d’être intéressé par la philosophie, notamment sur les questions relatives aux mystères de l’existence, de l’univers, de la nature, de l’homme en essayant de comprendre pourquoi on est sur terre, comment faire pour améliorer notre vie. On étudie par exemple des sujets comme le concept de Dieu, de l’âme humaine, le temps, l’espace, la matière, la conscience, la méditation, la prière, les étapes de la naissance, de la mort, l’après vie. Donc, c’est tout un tas de sujets intéressants pour ceux que ça intéresse qui vont être proposés à la réflexion des membres.

Des organisations comme les vôtres sont considérées comme des mouvements élitistes. Est-ce que pour accéder à l’Ordre de la Rose-Croix il faut être parrainé ?

L’A.M.O.R.C n’est pas un mouvement élitiste et il n’y a pas de parrainage ou de cooptation dans notre Ordre. C’est-à-dire devient membre celui qui a envi de le devenir par lui-même. Il fait la démarche tout seul. Par exemple, il entend parler de la Rose-Croix à la télévision, à la radio ou autre, et c’est à lui de faire la démarche.

On colle à des mouvements comme le vôtre une certaine influence sur les hommes politiques, surtout africains. Est-ce le cas chez vous ?

Dans l’imaginaire de certains pays, on le pense, mais c’est totalement faux. L’Amorc est totalement apolitique à tel point que faire de la politique ou parler de politique au sein de l’Ordre est un motif de radiation. Parmi les membres de l’Ordre au Sénégal, je pense, comme on ne parle jamais de politique entre nous, il y a des gens qui sont favorables au pouvoir et d’autres certainement qui sont dans l’opposition. Ce qui est valable pour le Sénégal est valable pour les autres pays africains et même en France. Je connais en France, des rosicruciens qui sont de Droite, de Gauche ou du Centre.

Nous ne nous impliquons pas sur le plan politique parce que nous n’avons pas de position politique. Moi personnellement, je n’en ai pas. Je ne parle jamais de politique. Il m’arrive de rencontrer des personnalités importantes du monde politique quand je suis en visite officielle, cela peut être un chef d’Etat, président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, mais je ne leur parle pas de politique. Je leur parle de philosophie parce que je ne suis pas politicien ou bien, dès fois, je ne suis pas d’accord avec la manière dont le pays est géré. Ce n’est pas mon rôle, je ne suis pas un représentant politique. J’essaie de faire comprendre modestement, quand je parle aux personnalités, ce qui fait la valeur d’une fonction quelle qu’elle soit, c’est de la mettre au service du bien commun. J’essaie de donner une direction humaniste.

Votre philosophie s’adosse sur la paix sociale entre les peuples. On a vu des mouvements comme le Grand Orient de France ou la Grande Loge nationale de France s’investir dans la recherche de la paix dans certains pays en conflit. Est-ce que vous êtes inscrit dans cette logique ?

On la déjà fait. Nous avons publié un texte qui s’appelle contribution rosicrucienne à la paix qui circule même sur internet. Il y a une cérémonie rosicrucienne qui se tient une fois par an au mois de juin, ouverte à tous les membres et même aux non membres et qui s’appelle « méditation à la paix ». Il y a un texte qui est lu et qui est apprécié à travers le monde entier. Nous avons écrit récemment un texte qui s’appelle « Déclaration rosicrucienne des devoirs de l’homme » que nous avons envoyé à plusieurs personnalités. C’est un document bien perçu à travers le monde et qui contribue à la paix sociale, entre les nations. Ce texte a été rendu mondial, traduit en plusieurs langues et envoyé à des personnalités. On a reçu des réponses positives de chefs d’Etat, de gouvernement, de l’Unesco, de l’Onu. Mais, la différence, si je peux me permettre, c’est qu’on fait nos actions de manière discrète et c’est plus efficace.

N’y a-t-il pas chez vous, pour une meilleure vulgarisation de votre mouvement, des membres qui occupent un certain rang social comme par exemple être des leaders d’opinion ?

Comme je l’ai dit et vous pouvez le vérifier, l’Ordre de la Rose Croix est ouverte à toutes les catégories sociales. Il y a des membres de l’Ordre qui occupent des fonctions modestes, comme agriculteurs, pêcheurs. Il peut y avoir également des membres qui occupent des fonctions beaucoup plus élevées dans la hiérarchie sociale. Mais, quand nous sommes entre nous, on est tous au même niveau. Personne ne fait sentir à l’autre qu’il est supérieur à lui sur le plan social. Il n’y a pas d’élitisme social dans l’Amorc. Il y a peut-être une certaine forme d’élitisme social dans d’autres mouvements que je ne citerais pas, mais pas dans l’Amorc.

Les mouvements comme le vôtre ne bénéficient pas de préjugés favorables dans nos pays. La Rose-Croix échappe-t-elle à ce constat ?

L’homme est tel et a peur de l’inconnu. C’est instinctif. Quand on parle de la Rose-Croix et on ne les connaît pas, on dit que ce sont des sorciers, des choses comme ça. J’ai tout entendu sur les Roses-Croix. En réalité, on est à l’opposé de tous ces genres de superstitions. C’est aux gens de se renseigner et la presse a le devoir d’informer. Notre but n’est pas de faire un recrutement, mais on serait heureux d’être perçu pour ce que nous sommes réellement. L’Ordre de la Rose-Croix est reconnu d’utilité publique dans plusieurs pays à travers le monde. C’est un mouvement sérieux, vraiment humaniste et qui n’a jamais posé de problème.

En France, il se pose actuellement un débat sur la laïcité qui a fait réagir beaucoup de mouvements comme les loges maçonniques. Quelle est la position de la Rose-Croix sur cette question ?

L’Amorc est favorable à la laïcité. Il ne faut pas confondre la religion avec un grand R d’un côté, et l’Etat de l’autre. Je crois que dans certains pays, on confond laïcité et laïcisme. En France, il y a, dans les années passées, une dérive dans l’autre sens où, au nom de la laïcité, on a eu tendance à combattre la spiritualité et cela est une erreur. Il faut une laïcité ouverte, positive, qui permet à chacun, sur le plan personnel et individuel, d’être libre dans ses croyances. C’est un exercice difficile, mais il ne faut pas que la laïcité soit bafouée et reniée. Si un pays est gouverné au nom de principes religieux, à un moment donné, cela peut forcément poser problème. La laïcité respecte toutes les croyances religieuses et fait une distinction entre ces croyances et la direction que l’on donne aux affaires de l’Etat. Le laïcisme est une mauvaise approche de la laïcité. En France, il y a des idéologues qui, au nom de la laïcité, combattent la spiritualité, et ce sont des laïcistes. La laïcité doit au contraire être ouverte à la spiritualité, elle ne doit pas la combattre, sinon ce serait une nouvelle forme de sectarisme. En France, il y a eu cette dérive. Il faudrait un juste équilibre.