LUTTE - Suppression du match nul : Le dernier combat de l’arène

La parodie de combat «Yékini-Tapha Guèye» a été un cas d’école pour le peuple de la lutte. Et pour éviter que la farce du 31 juillet dernier ne se répète, le Comité national de gestion (Cng) a réajusté son dispositif réglementaire et procédé à la suppression du match nul. Est-ce la panacée aux mauvais réflexes de l’arène ?

2006-2007, c’est la saison des résolutions : plus de match nul ; plus de fuite non condamnée ; plus de passivité sans châtiment ; plus, surtout, d’ersatz du genre «Yékini-Tapha Guèye». Depuis le combat grand-guignolesque qui, le 31 juillet dernier, avait baissé le rideau de la saison 205-2006 dans une indignation unanime, le peuple de la lutte avait inséminé une surdose dans ses réflexions et passé son intersaison à cogiter autour de l’extermination des parodies de combats qui poussent, comme des fleurs du mal, dans son arène. Et il est revenu de vacances avec un nouveau corset juridique pour purger la maison de ses miasmes et envoyer se rhabiller les tricheurs : la suppression du match nul. Par la magie d’une vieille relique de quelques sports de combats (judo, boxe etc.), la fameuse victoire aux points.

Une ferme volonté de ramener de l’air pur dans l’arène et la lutte à son essence qui a été matérialisée, pour une première, dimanche dernier au stade Ngalandou Diouf de Rufisque, avec la victoire décrétée au profit de Cheikhou Diène (Ecurie Ndakaru), récompensé de sa combativité face à un adversaire passif, Modou Awa (Ecurie Force Tranquille), qui a passé son après-midi à quêter une sortie honorable.

«C’est pour éviter que les lutteurs trichent. Il faudrait nécessairement désigner un vainqueur», tranche, l’air comme soulagé, Cheikh Tidiane Ndiaye, le vice-président du Cng (Comité national de gestion).

La sentence aussitôt dite que le rictus des amateurs, encore scotchés au pire du 31 juillet dernier, se transforme en sourire entendus. Promoteurs, amateurs ou simples fins connaisseurs esquissent même quelques pas heureux devant cette promesse tentante du retour annoncé des après-midis à forte montée d’adrénaline, des combats achevés, des soirées de fête qui sont le moteur de leur passion, longtemps mise à mal par la flopée de lutteurs-calculateurs qui ont envahi les espaces de combat. Pour les doux rêveurs parmi les puristes de l’arène, c’est comme la fin énoncée d’une maudite époque : «Jusque-là, la lutte a fait un particularisme inexpliqué, argumente Jacques Diène, manageur et chroniqueur-radio avisé de lutte. Dans tous les sports de combat, il y a disqualification pour passivité, mais, à la lutte, il n’y en a pas. Il est vrai que dans chaque discipline, il est prévu un match nul, mais la prolongation justifie qu’il ait un vainqueur. Car il est souvent constaté que le match nul pénalise souvent le joueur le plus performant.» En écho, Abdou Badji, directeur technique national de la lutte, applaudit «une décision salutaire» pour une discipline qui, prise dans les corollaires de son nouveau business, avait bifurqué par le mauvais versant, au prix de risquer sa popularité : «C’est une mesure pour protéger la lutte, mais aussi les amateurs. Il ne faudrait pas qu’un lutteur refuse de combattre et empoche des millions. C’est trop facile. C’est cela qui est arrivé à Rufisque (samedi dernier), l’un (Modou Awa) refusait systématiquement de combattre.»

Ainsi, l’espoir est musclé, que les poings voleront plus haut cette saison. Et les Ko risquent de proliférer, les assauts se démultiplier. Histoire de ne pas cueillir les impopulaires avertissements, éléments déterminants au redoutable comptage des points. Si l’on s’en réfère à l’éclairage de Cheikh Tidiane Ndiaye qui y va tout sens de la pédagogie en bandoulière : «La durée d’un combat est de trente minutes. Maintenant au cours de ces trente minutes, si les lutteurs n’arrivent pas à se séparer, on procède à des prolongations de 10 mn. A l’issue de la prolongation, s’ils (les combattants) n’arrivent toujours pas à se séparer, on procède à un comptage de points. Le lutteur, qui sera le moins averti durant les 30 ou 40 minutes de combat, sera considéré comme vainqueur. Mais, s’ils ont le même nombre d’avertissements, les deux juges et l’arbitre vont se concerter pour désigner le lutteur le plus combatif», renseigne le vice-président du Cng. Avant de poursuivre : «Il y a deux juges et un arbitre. Au courant du combat sûrement qu’ils vont prendre leurs calepins et noter le nombre d’attaques de chaque lutteur. Ce qu’il y a, c’est qu’on désignera toujours un vainqueur.» Et c’est Jacques Diène qui applaudit : «Le match nul pénalise celui qui veut enrichir son palmarès.»

Dans ses larges proportions, l’arène jubile de cette nouvelle législation. Mais une question taraude le simple observateur : restera-t-elle toujours aux anges pour un point de règlement qui a aussi ses détracteurs (voir ci-dessous) ? Car autant son peuple chérit les vainqueurs, goûte les émotions fortes, autant il est contestataire. Et une décision, strictement soumise à l’intime conviction d’un jury, sera-t-elle toujours bien vue dans un milieu où une passion aveugle déborde souvent de l’arène ? La perspective d’une saison agitée en coulisses, voire d’une arène (re)gagnée par une confusion née de verdicts contestés, laisse froid au dos. A défaut de certitudes, Abdou Badji cultive un curieux angélisme et s’en va prêter la bonne foi aux amateurs : «Il ne peut pas y avoir de contestation parce que la suppression du match nul, c’est pour protéger les amateurs, se convainc le Dtn. Sinon les lutteurs vont flouer tout le monde. Il faut que les lutteurs combattent. Celui qui est averti, c’est parque qu’il refuse de combattre. Et tous les spectateurs pourront en témoigner.» Comme dans un monde parfait que l’arène, malheureusement, n’a jamais été.

Rendez-vous en fin de saison pour le décompte final des contentieux qui seront vidés par le Cng pour répondre à ces questions inhérentes à ce nouveau point de règlement. Pour voir si cette victoire aux points ne sera pas une défaite aux poings pour les penseurs de l’arène.