Des vagues de toutes les inquiétudes s’abattent sur l’île de Mar Lodj. Ici, jadis la pêche et l’agriculture étaient la sève nourricière d’une communauté heureuse sur cette langue de sable bercée depuis la nuit des temps. Aujourd’hui, tout bascule. La mer érode les terres qui se salinisent. Les poissons se raréfient à cause du changement climatique et de l’exploitation pétrolière à Sangomar. Les pêcheurs n’ont pas accès à certaines pêcheries. L’espoir de voir des insulaires travailler dans la plateforme pétrolière s’envole. Face à ces menaces, des femmes ont décidé de mener le combat de la survie au paradis terrestre.
La nature étale sa beauté verdoyante sur la route nous conduisant à Ndangane. C’est la porte d’entrée de l’île Marlodj. Au quai, nous voici à bord d’une pirogue. Elle prend le large laissant d’une flotte fournie d’embarcations. Cette excursion aux portes du Delta du Saloum est facturée à 7000 F CFA. Au fur et à mesure que nous prenions le large, la quiétude s’amplifie. Mais on n’est jamais dépaysé. On peut admirer des cabanes aux rivages et en arrière-plan des hôtels. Près des mangroves, les regards sont suspendus aux roulades de gros poissons. Au bout de quelques minutes, nous voici à destination. Sur une plaque on peut lire : « Bienvenue dans l’île de Marlodj’’.
Des charrettes sont garées dans ce coin du rivage. Elles attendent des clients pour des excursions dans de nombreuses forêts sèches de ce village. Ici, des concessions sont encore de vigueur avec des arrière-cours où l’on cultive du ‘’bissap’’, du gombo, ou encore du mil.
Pas l'ombre d’une voiture. L’île avait jusqu’ici, cette réputation d’être épargnée de la pollution. La pêche et l’agriculture nourrissaient bien les populations. C’était un paradis sur terre.
Une plateforme qui hante le vécu des insulaires
Ce paradis est affecté par les effets adverses du changement climatique. Plus inquiétant, l’exploitation du pétrole de Sangomar. Les communautés craignent pour les filets de sécurité à savoir l’agriculture, la pêche. Déjà, le poisson se fait rare poussant les jeunes à déserter leur terroir. Depuis le début de l’exploitation du pétrole, la vie n’est plus comme avant.
Cette après-midi du 19 octobre 2024, toutes les femmes ont organisé une réunion. Elles préparent leurs activités du lendemain dans les mangroves. La discussion est faite sous forme d'enseignement à l'aide de calebasses pédagogiques.
Sur une natte, six calebasses sont posées. Elles portent des figurines sur fond d’une mosaïque de couleurs. On y voit un village où la vie est rythmée par l’agriculture et la pêche. La vie est paisible. La découverte du pétrole avait fait naître tous les espoirs. Mais l'euphorie commence à céder la place à l’angoisse.
"Nous pensions qu'avec la découverte du pétrole, la richesse frapperait à nos portes. Malheureusement, avec l’exploitation du pétrole, les activités traditionnelles comme la pêche et l’agriculture sont petit à petit abandonnées.
Nous ne pouvions plus pêcher dans nos eaux puisque l'accès est désormais interdit. Les pêcheurs ne peuvent plus se rendre dans les eaux poissonneuses parce que la plateforme de Sangomar occupe désormais les lieux ", rapporte Bineta Sarr.
La forêt de mangrove a été décimée. Sa restauration devient une urgence pour toute la communauté. En plus de l’action de l’homme, l’avancée de la mer est l’autre facteur à risque.
"Personne n'osait s'aventurer dans la forêt parce qu'il y avait beaucoup d'arbres. Aujourd'hui, les arbres sont tous morts », décrit Mayé Diome.
La diversification des activités génératrices de revenus, le rêve de recrutement des enfants de l’île dans la plateforme pétrolière avaient soulevé toutes les vagues d’espoir auprès de Khady Fall et d’autres insulaires.
"Quand, nous avons entendu parler de la découverte du pétrole. Nous avons jubilé et dansé. C'était l'extase dans l'île. Nous pensions que nos enfants allaient avoir du travail puisque dans le village, on avait que deux activités que sont la pêche et l'agriculture. Nous avions de l'espoir. Quand l'ONG Lumière Synergie pour le Développement (LSD) a amené des femmes au Nigeria, nous avons pu comprendre que la découverte du pétrole ne voulait pas dire la fin de nos problèmes. Mais nos problèmes ne faisaient que commencer. Avec aussi les changements climatiques et l'avancée de la mer, nos terres se salinisent », a avancé Khady Fall.
La plateforme sur une zone poissonneuse. Si les pêcheurs n’y accèdent pas, les conséquences seront nombreuses. Les vendeuses n’auront pas de la matière. Il en est de même pour celles qui sont dans la transformation de poissons.
"Si le pêcheur n'a plus de quoi amener à la maison, la femme n'a plus de quoi transformer et elle n'aura plus de quoi vendre. On craint ce qu'on trouvait dans le Delta du Saloum disparaît comme les moules, les arches, les huîtres, les crevettes. Pire, on a plus de poissons. Toutes ces femmes allaient en mer pour chercher ces produits. Maintenant elles passent leurs journées à se retourner les pouces", se désole Ndiémé Ndome.
Les femmes du Delta protectrices de la mangrove
Face à un avenir incertain, les femmes regroupées au sein de l’Union Locale du Delta du Saloum ont décidé de prendre leur destin en main. L’Union regroupe 185 femmes et 115 jeunes.
Les femmes sont dans la régénération de la mangrove. Elles sont les protectrices de cet écosystème. Chaque année, entre août et septembre, elles reboisent plus de 10 ha. La récolte se fait en saison des pluies. Cette année 17 sacs de 2000 tiges de propagules ont été plantées sur une superficie de 3 hectares.
Après le ramassage des propagules dans la matinée, ces femmes s’apprêtent pour l’opération de mise en terre le lendemain. Tout le village s’est donné rendez-vous tôt le matin à Niokhame.
Plus d'une centaine de jeunes ont participé à l’opération restauration. Les femmes préparent le matériel de repiquage. Plus de cent jeunes sont mobilisés pour le reboisement. Ces propagules sont repiquées dans la vase. Une corde attachée sur des bâtons leur permet de respecter la distanciation entre les pieds. La restauration des mangroves a une corrélation avec le retour des poissons, leur reproduction. La mangrove est aussi le support d’autres activités génératrices de revenus comme l’apiculture.
"Nous avons constaté que la mer avance. Elle dégrade nos terres. Nous nous mobilisons pour les restaurer. Les espèces halieutiques se raréfient. Donc, nous faisons le reboisement de la mangrove pour permettre aux espèces de se reproduire. Les pieds mis en terre prennent deux à trois ans pour grandir. Les propagules que nous avons cueillies, nous les avions plantées en 2014", explique Mayé Diome, présidente de l'Union Locale des femmes de Mar Lodj
La recherche de propagules a ses contraintes. Il s’agit des égratignures, des piqûres d’insectes...Ces femmes doivent porter des chaussures et chaussettes pour se protéger. Lors de l’opération chaque membre donne 100 F Cfa pour la cotisation devant servir à la location de la pirogue.
"Nous n'avons l'aide d'aucune autorité. Mais nous croyons en ce que nous faisons. Nous devons protéger notre environnement raison pour laquelle nous, nous battons nuit et jour pour protéger notre environnement. Et l'Ong Lumière Synergie Développement (LSD) nous assiste dans nos actions", soutient la présidente de l'Union Locale.
Une prise de conscience collective
L’éveil de conscience est dans le discours et dans les actes. Les mangroves piègent le gaz carbonique et freinent l’avancée de la mer. Donc, la restauration de cet écosystème est une question de vie et de survie pour les générations actuelles et futures.
"C'est aussi un brise vent pour nous. Les mangroves protègent le littoral des vagues. Elles sont importantes. Chaque année, nous organisons trois séances de reboisement. C'est une espèce très importante. Au début des années 2011, on cotisait 100 F CFA par femme parce que nous avions remarqué l'avancée de la mer, l'érosion, la chaleur. Des experts nous ont montré que si nous restaurons la mangrove, nous pouvons inverser la tendance.", dit Mme Ndome.
Les mangroves sont des sites de concentration de la biodiversité. C’est le refuge des espèces menacées. C’est l’Arche de Noé des poissons face à la pêche illégale. Pourtant les mangroves ont été coupées pour le bois de chauffe. Aujourd’hui, on les restaure. Pour veiller à la protection de la mangrove, un comité de veille et d'alerte est mis en place dans chaque village. La coupe de la mangrove morte est autorisée. Par contre, il est proscrit la coupe de celles vivantes. Les contrevenants paient une amende allant jusqu’à 50.000 F CFA.
« Nous avons abandonné la coupe et le comité veille sur cette espèce. Les années passées, la mangrove s’était dégradée. Il y a l'exploitation du pétrole de Sangomar qui a eu des impacts dans la zone. Parce qu'il y avait un navire dans les bolongs. Il creusait à partir des bolongs jusqu'à Foundiougne pour que les bateaux passent pour convoyer des produits. Le mouvement des moteurs a fait fuir les poissons. Auparavant, nous achetions le kilogramme de poisson à 200 F CFA maintenant le kilo de carpe tilapia s’échange à 2000 F CFA", constate avec désolation Ndiémé Ndom.
Ici, on se reconvertit. Les femmes sont dans la fabrication de savons, la transformation des produits céréaliers.
Les étrangers indexés
L’environnement est dégradé par les non autochtones. Ces derniers débarquent dans l’île et se mettent à construire des villas et des hôtels sans tenir compte des exigences de la préservation des écosystèmes. Khady Fall déplore le fait que leurs terres soient vendues à des personnes qui viennent d’ailleurs.
"Les terres sont vendues à des Libanais, des Européens et d'autres étrangers. A 55 ans, je ne peux même pas avoir un lopin de terre dans l'île qui m'a vu naître. Ici celui qui est prêt à mettre des millions a plus de chance d'acquérir une parcelle », dit cette mère de 6 enfants.
3 Commentaires
Tu
En Novembre, 2024 (12:20 PM)Indy
En Novembre, 2024 (12:45 PM)Participer à la Discussion