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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Démocratie choisie

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Démocratie choisie

Il y a quelque chose de pitoyable chez nos hommes politiques. C’est l’ardeur avec laquelle ils pleurnichent sur leur sort, après l’augmentation de la caution pour les prochaines élections, comme s’il s’agissait d’une catastrophe nationale. Il faut dire qu’une fois encore, ils n’ont pas vu le coup venir. Pour leur barrer la route aux prochaines élections, Wade n’a pas pensé qu’à la prison, il a aussi pensé à l’argent. Dans un Sénégal où les millions se comptent désormais par centaines, les milliards par dizaines, le président de la République a indexé la politique à l’air du temps. Ce sont des Ross Perot tropicaux qui feront le Sénégal de demain, et tant pis pour ceux qui ne seront pas du bon côté. Les candidats potentiels devront passer un grand barrage douanier, avant d’intégrer le circuit fermé des millionnaires « présidentiables ». Disons qu’au lieu d’avoir la tête pleine, il vaudrait mieux avoir les poches pleines. Voilà la solution sortie des laboratoires de la présidence, comme antidote à une prolifération non maîtrisée de candidatures.

 

Tous ceux qui ont pratiqué notre système électoral ces vingt dernières années connaissent ce mal qui le gangrène : les candidatures qui essaiment et disparaissent le temps d’une saison. Des gens sortis de nulle part se présentaient comme candidats, et réussissaient facilement à trouver les 6 millions nécessaires au cautionnement. Même s’ils n’avaient pas les 5 % qui leur permettaient de prétendre à un hypothétique remboursement, ils gagnaient toujours au change. La loi leur permettant de choisir eux-mêmes leur imprimeur, ils allaient d’abord négocier avec un imprimeur, qui versait la caution à leur place.


L’Etat payait, pour chaque candidat, la rondelette somme de 80 millions, pour les imprimés et autres professions de foi. En plus de se faire de la publicité gratuite, nos opérateurs politiques attendaient tranquillement cette manne, dans laquelle ils avaient un certain pourcentage. C’est pourquoi on arrivait parfois avec des bulletins mal faits. Mais les candidats ne se plaignaient jamais, parce qu’ils n’avaient pas besoin de sondage, pour connaître les résultats pour ce qui les concerne. Pendant plusieurs dizaines d’années donc, ce système a permis à des « imprimeurs » de pomper dans les poches du contribuable, avec la complicité de candidats fantômes. C’est inacceptable, mais ça n’explique pas tout.

De tous les candidats qui se sont présentés jusqu’ici à une présidentielle au Sénégal, et Dieu sait qu’on en a eu à profusion, seuls 5 ont une fois dépassé la barre des 5 % des votants. Les autorités évoquent la question du remboursement comme une armure, mais ils savent à quoi s’en tenir. Peu pourront, à l’issue de la prochaine présidentielle, si nous en avons une, compter sur un chèque du trésor. Les électeurs qui voient donc ces derniers jours nos opposants s’époumoner et s’égosiller, pour une fois qu’on veut leur prendre ce qu’ils nous prenaient, doivent savoir que c’est le contribuable qui a payé jusqu’ici les villégiatures de quelques Homo politicus aventureux. Leurs apparitions sont si brèves que souvent, nous ne les reconnaissons même pas dans la rue, alors qu’ils ont eu le temps de s’offrir un bon paillasson financier à notre compte. C’est ce genre de leaders qui composent l’essentiel de la Cap 21.

 

Ils sont, curieusement, à une exception près, les premiers à défendre la décision du gouvernement. Je vois encore Iba Der Thiam, furieux, me dire qu’il ne peut pas réussir en politique, parce qu’il n’a pas de moyens, parce qu’il est « honnête », avant de se demander si vraiment le château de Djibo Kâ était le fruit de son travail. Il a été le premier à se porter au secours d’Ousmane Ngom, et à défendre que « pour faire de la politique, il faut avoir des moyens ». Quelle que soit la position qu’ils défendent aujourd’hui, c’est contre ces fanfarons dangereux qu’il faut se prémunir. Sur le principe donc, nous ne pouvons pas continuer à rester sur la même ligne, consistant à financer, enrichir, payer la tournée à des gens qui entrent en politique comme on entre en entreprise. Il y a donc, et il faut en convenir avec Wade, nécessité de mettre un frein à ce braconnage d’un autre genre.

C’est le seul moyen d’éviter la situation qui a prévalu en 2000, où des gens qui n’ont jamais occupé un emploi de leur vie se sont portés candidats à la présidentielle. Il n’y a pas là, violation du principe de l’égalité des citoyens.

Là où il y a problème, c’est le déséquilibre entre la nécessité de corriger un système qui connaît des failles, et le danger de le transformer en une démocratie des riches, une démocratie choisie. On ne peut pas procéder à des hausses de l’ordre de 500%, et se réfugier derrière l’argument « c’est ce qui se fait au Gabon et au Cameroun ». J’ai même entendu un responsable de parti de la mouvance présidentielle dire : « c’est ce qui se fait au Congo ». D’abord, il serait triste de ne trouver d’autre comparaison que ces dictatures établies, avec leurs dirigeants arrivés au pouvoir par des chemins détournés. Ce serait la preuve que nous avons vraiment fait du chemin, en arrière. Ensuite, même dans ces pays, la mesure a montré ses limites ! Le Congo, pays dont l’économie est en ruines, avec sa monnaie de paille, a fixé sa caution à 40 000 dollars américains. On espérait ainsi limiter le nombre de candidatures. Mais au final, 32 candidats sont sortis de terre, pour défier Kabila. Le décret qu’Ousmane Ngom vient de signer est d’autant plus dangereux et inefficace ( en ce qu’il a d’excessif ), qu’il risque de transformer tous ces partis en des machines à laver l’argent sale.

Le seul palliatif qu’on aurait pu trouver eût été de mettre en place un système de contrôle efficace. Quand Wade est arrivé au pouvoir, c’est le seul dossier, aboutissement d’une consultation de tous les partis politiques, qu’il a trouvé sur sa table. Mais il n’aime pas le professeur El Hadj Mbodj, et il a décidé de ne pas lire son rapport sur le financement des partis politiques.

Wade a, lui-même, déclaré à Francis Kpatinde, dans le Falcon 50 qui le conduisait à Dakar, le 27 octobre 1999, qu’il a dépensé 3 milliards lors de sa campagne pour la présidentielle de 1983. Ce n’est peut-être pas faux, il a fait étalage d’énormes moyens durant cette campagne. Mais il a dit que ce sont les cotisations de ses militants, ce qui est quand même gros !

Là où la loi peut aussi être très pernicieuse, c’est qu’elle donne au pouvoir, détenteur des grands moyens, l’occasion de financer leur candidature à des coupeurs de route. Leur rôle sera, comme celui de certains journaux financés à coups de fonds politiques, d’insulter les opposants.

Il faut donc croire que le président de la République, en voulant se donner une garantie sur la fin, a voulu avoir un contrôle sur les moyens. Or, la fin, c’est qu’il s’assure d’une élection au premier tour, si la présidentielle lui devenait incontournable, comme l’exigent la France et les Etats-Unis. La première idée était la suppression du second tour. Il a reculé face au courroux général, mais il faut croire qu’il n’a pas dit son dernier mot sur cette question. Il s’est dit que s’il laisse la question en l’état, les nombreuses candidatures aboutiraient à une fragmentation de l’électorat, surtout dans le cas d’un départ de Landing Savané, et l’amèneraient fatalement à un second tour. Le seul levier sur lequel il pouvait agir finalement, est la question du financement, puisqu’en plus de verser une caution de 40 millions, les partis devront supporter une campagne électorale coûteuse. La politique tient parfois en de mesquins calculs d’arrière-boutique, mais c’est comme ça.

 

Lors de la réunion du jeudi 16 août, dans la salle conférence du ministère de l’Intérieur, Oumar Sarr, le représentant du Pds, a proposé 10 millions pour la présidentielle, et 5 millions pour les législatives. C’est donc dire que sur cette question comme sur bien d’autres, Wade a décidé seul, et a agi seul, contre même l’avis de son parti. Le problème c’est qu’il sait toujours où il va, mais il ne prend jamais le bon chemin. Et puisqu’il n’écoute que ceux qui pensent la même chose que lui, il va aller au bout de son chemin, se rendre compte qu’il s’est trompé, et, comme d’habitude, faire demi-tour, quitte à le faire en sens interdit.

 



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