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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ Chronique ] Lamane Wade

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[ Chronique ] Lamane Wade

 

« Le grand avantage de la monarchie,
c'est que personne ne peut prétendre
y occuper la première place ».
Michel PONIATOWSKI

Huit années après avoir pris possession des sénégalais, le président de la République, « doublevé » comme l’appellent maintenant ses intimes, va étendre son règne sur les terres. Son pouvoir seigneurial s’étend maintenant à tout ce qui est du Domaine national, son nouveau gadget. En pratique, 98% du territoire national. Les paysans ne comprennent toujours pas pourquoi on veut leur prendre leurs terres un an seulement après leur avoir demandé le « retour vers l’agriculture ». Le chef de l’Etat, comme si l’autorité du ministre de l’Intérieur ne suffisait pas, a adressé une lettre à tous les présidents de communauté rurale, 320 au total, pour leur demander de réserver 1000 hectares chacun à son plan « Goana ».
Sur le principe, ces paysans n’ont aucune raison de rouspéter. Depuis la Loi sur le domaine national de 1964, la terre appartient à tout le monde et n’appartient donc à personne. Depuis le 19 avril 1972, sa distribution est confiée à la communauté rurale. L’idée est aussi vieille que le « socialisme africain » cher à la première République. Mais elle procédait d’une noble ambition : libérer les paysans de l’emprise des marabouts pour Dia, des grands propriétaires terriens pour Senghor. Mamadou Dia a payé pour son abnégation. Senghor s’est montré plus réaliste. Dans les faits, rien n’a vraiment changé. Les dignitaires de l’ancien régime ont pris le contrôle des conseils ruraux et distribué les terres à leur clientèle politique, souvent issue de l’ancienne aristocratie.
Si la loi sur le domaine national a été un échec lamentable, ce qu’il faut reconnaître, ce n’est pas parce qu’elle n’est pas une bonne loi. C’est qu’elle a reproduit ce qu’elle était sensée combattre, l’accaparement des terres par quelques féodaux véreux. Après s’être libérés des rois, les paysans se sont inféodés aux marabouts. Le président Diouf a, le premier, ouvert la voie en attribuant la forêt classée de Khelcom à l’ancien khalife général des mourides. Nous n’avons jamais mesuré l’impact du déboisement de 45 000 hectares sur les conditions de vie des populations, puisque cette région reste la plus pauvre du pays. Des forêts ont été déboisées par une main d’œuvre servile sans que nous ayons jamais mesuré les retombées économiques de cette importante décision.
Le 10 avril 2007, soit 18 ans après l’affectation de Khelcom, le président Wade a signé un décret déclassifiant la forêt de Pout, pour donner 9000 hectares à son marabout Serigne Saliou Mbacké et 1000 hectares à son « ami » Serigne Mansour Sy. Le président de la République était déterminé à y conduire de force les clandestins rapatriés d’Europe. Peut-être pour les punir d’avoir tenté de se sauver.
Mais surtout, la décision est une violation de la loi sur le domaine national. Ce n’est pas le président de la République qui attribue les terres. C’est le Conseil rural qui les attribue aux personnes habitant ces localités ou des localités ayant un même « intérêt rural ». Depuis la loi sur la décentralisation de 1996, ces compétences se sont étendues à l’Environnement, aux Domaines et à l’Aménagement du territoire. Or, depuis huit ans, Abdoulaye Wade ne fait que s’attribuer des terres et en distribuer à ses amis au mépris de la loi. Le service des Cadastres a été remplacé par une commission siégeant à la présidence de la République. Officiellement pour empêcher la spéculation foncière. Mais c’est le président de la République qui découpe et vend, après avoir repris toutes les terres qu’il avait vendues avant son arrivée au pouvoir.
Une commission dirigée par Serigne Diop avait été mise en place pour pousser vers une nouvelle loi plus souple qui permette la vente des terres à ceux qui auront les moyens d’acheter. Le ministre de tutelle a été clair à ce sujet, en déclarant le 25 mai dernier que « ceux qui sont prioritaires sont ceux qui détiennent les moyens ». Ces manipulations dangereuses n’ont pas fait qu’opposer des mourides aux éleveurs peuls, quand Wade a voulu attribuer le ranch de Dolly à son marabout. Elles ont opposé au sein de cette confrérie des membres d’une même famille. La sensibilité de la question devait à elle seule faire reculer Abdoulaye Wade. Mais il ne recule devant rien.
Je me rappelle d’une discussion que j’aie eue avec l’abbé Diamacoune sur les raisons pour lesquelles, homme d’église respecté, il a pris la tête de la rébellion casamançaise. Il m’a parlé de ses terres de Kandé, petite banlieue de Ziguinchor, qui lui ont été prises par l’Etat ; de son oncle, à qui les colons ont brûlé la barbe parce qu’il n’avait pas produit assez de… riz ! Nous ne tirons pas des leçons de l’histoire et des erreurs passées ! Dans la vallée du fleuve Sénégal, une application de la même logique foncière a mené au désastre. Le gouvernement mauritanien a fait face à la colère des populations sédentaires quand elle a voulu confier les terres de la vallée à des promoteurs agricoles parachutés de Nouakchott. A chaque fois que ces politiques ont concerné les masses paysannes, elles ont été bien accueillies. Des populations du Sine-Saloum se sont bien intégrées par vagues successives au Sénégal oriental sans susciter la moindre colère. Mais que les populations locales acceptent mal l’attribution de 8 000 hectares à un ressortissant espagnol est compréhensible. On ne peut pas réussir une politique agricole par-dessus la tête des paysans, en attribuant à Aïda Mbodj des terres qui ne lui appartiennent pas. Ramener l’ère des Lamanes semble sa vocation première. C’est l’exploit que tente de réussir le président de la République, toujours fasciné par son propre quotient intellectuel. Quand Wade a lancé son plan Goana le 17 avril dernier, il avait prévu pour le mois d’octobre prochain 2 millions de tonnes de maïs, 1 million de tonnes d’arachide d’huilerie, 500 mille tonnes de riz Paddy, 2 millions de tonnes pour les autres céréales. Nous risquons d’ajouter à la déception des paysans, une crise foncière que personne ne peut souhaiter à ce pays. La collectivisation outrancière des terres a d’ailleurs de quoi surprendre, pour des gens qui pratiquent le libéralisme comme une religion. Mais c’est le propre du président de la République. Il va désapproprier les paysans en socialiste convaincu et les revendre aux plus nantis en libéral enflammé. C’est cette capacité à changer de conviction qu’il appelle la « nuance ». Il veut tout réformer, alors que les Sénégalais lui demandent de se réformer. J’ai été fasciné par la précision avec laquelle nous reproduisons les crises qui ont marqué le Zimbabwé des dernières années : inflation difficile à maîtriser, chef d’Etat trop âgé et pour couronner le tout, une réforme agraire qui mène le pays au désastre. Mais il est si haut perché entre le ciel et la terre qu’il ressemble à une comète. Du haut de la planète mars, le Sénégal ressemble à un paradis bien mérité.



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