Un mort à zéro

« Quand on aspire au pouvoir, 
les meilleurs alliés, ce sont les besogneux »
SENEQUE

Que dire, sinon qu’en perdant Aminata Tall, Abdoulaye Wade ne perd pas seulement une femme. Inutile de dire, pour reprendre les termes du chef de l’Etat, que le Pds, parti sur lequel il a régné pendant 37 ans, vient de perdre son « âme » et à quel diable il l’a vendu. Son cœur a cessé de battre pour celui qu’il avait… élu. En voulant régner sur tous les corps, le président de la République s’est retrouvé son âme en errance. La reine a maté le roi, pour ainsi dire. Epatante, cette longue partie d’échec que décrit cette femme originaire du Walo à ses partisans du Baol, ce jeu de rôles incessant entre le maître et la maîtresse qu’il voulait prendre comme une esclave, chacun voulant garder la main, placer le dernier coup. Pour revenir à ce petit champ de bataille bordé de huit cases de chaque côté inventé dans les cours orientales, la reine a repris l’initiative et a mis le roi séducteur en échec. Chapeau bas, votre altesse ! De toutes, vous avez été la meilleure.

Car pareille chose ne s’était jamais produite. Jamais, dans ses combats épiques contre ses lieutenants, Abdoulaye Wade n’a perdu l’initiative. Quand il était vaincu, le Parti socialiste devenait le comploteur désigné. Quand il a pris le pouvoir, il ne trouvait plus de bouc émissaire. Le comploteur devenait le « fautif » lui-même. En l’espace de dix ans, il perdu tous ses suivants immédiats, sur la liste de son secrétariat national qu’il prend le soin de confectionner lui-même. Idrissa Seck en était le numéro deux, Macky Sall le numéro trois, Aminata Tall le numéro quatre. Même s’il était admis par tous, que sur le registre du cœur, la responsable des Femmes venait en tête. « Aminata est Tout », s’amusaient à dire ses courtisans. La particularité, dans cette partie qui vient de se terminer, c’est que l’initiative a toujours appartenu à l’ancienne mairesse de Diourbel. Avant sa nomination au poste de secrétaire général de la présidence de la République, elle s’était illustrée par une sortie que nul autre dans le Pds ou dans le pays ne se serait permis contre le président de la République. Abdoulaye Wade avait fini par céder. Les attaques d’Awa N’diaye, les injures de Farba Senghor, commandées par Viviane Wade, ont fini par avoir raison de sa détermination à jouer les premiers rôles. Le président Wade lui a avoué, au cours d’un tête-à-tête, qu’on l’avait obligé à la faire partir. Mais le vieillard conquérant, qui a toujours pensé que le pouvoir est avant tout question de séduction et de virilité, ne venait-il pas d’avouer son impuissance ?

J’ai toujours admiré Aminata Tall pour cette grandeur d’âme qu’Abdoulaye Wade trouvait en elle. Voilà qu’elle fait preuve d’une grande intelligence et surtout d’une grande indépendance. En refusant d’occuper le ministère de la Fonction publique, elle a tenu à garder l’initiative jusqu’au bout et surtout à commander l’agenda présidentiel. Refuser un poste ministériel, quel qu’il soit, c’est déjà faire preuve d’une grandeur qui manque souvent à nos gouvernants. Idrissa Seck avait attendu d’être démis de toutes ses fonctions. Macky Sall avait faire preuve de plus de courage, en se démettant de tous ses mandats électifs, après avoir perdu sa position au sein du Pds. Aminata Tall a non seulement refusé d’être ministre, mais elle démissionne alors qu’elle est encore responsable des femmes du parti au pouvoir. La famille présidentielle a tenté, à plusieurs reprises, de la faire remplacer par une autre femme. Mais Awa Diop pèche en civilité, Awa N’diaye en légitimité et Awa Guèye Kébé en crédibilité. Aminata était tout en même temps. Bientôt viendra le discours sur l’ingratitude. Il a trouvé une orpheline dans une pouponnière, l’a élevée, lui a tout donné et maintenant elle l’abandonne. Ca ne fonctionnera pas !

L’effort que le président de la République déploie pour détruire un parti qu’il a mis des décennies à construire est considérable. Jusqu’au bout, tous ceux qui l’ont secondé ont été chassés comme des malpropres, obligés de se cacher pour survivre. Tous, à l’exception de Pape Diop, qui sait maintenant que si Abdoulaye Wade reste au pouvoir au-delà de 2012, Karim Wade se paiera sa tête. Le président de la République le pousse à la sortie, quand la « Génération du concret » le combat sans ménagement. Souleymane Ndéné N’diaye a été gardé à la Primature pour qu’il ne tombe pas dans les bras de son « ami » Macky Sall, qu’il est appelé à combattre dans le Sine. Abdou Fall a été rappelé pour casser son alliance stratégique avec Idrissa Seck. Mais ils savent tous que leur mission est impossible. Les wadistes eux-mêmes ont perdu la foi. Ils n’ont plus aucun responsable d’envergure nationale capable de les conduire à la victoire. Ils critiquent de plus en plus ouvertement la stratégie désastreuse de leur chef, qui a consisté à tout soumettre aux ambitions de son fils, incapable de gagner la moindre bataille. Les choix du général ne sont pas infaillibles, puisqu’ils se traduisent depuis mars 2009 au moins par de cuisantes défaites. Obnubilé par ses desseins monarchiques, il n’a pas vu le mal qu’il faisait à son parti, en voulant le bien de son fils. Occupé à sa statue et à ses « merveilles », Abdoulaye Wade en a oublié qu’il dirige des hommes et non des choses. 

Personne, malheureusement, dans son nouvel entourage, ne viendra interrompre sa rhétorique vénéneuse, pour lui dire que sa politique est un désastre, que son règne est devenu chaotique, qu’il a perdu son dernier combat avant de l’avoir livré. Quand l’ambition et l’intérêt commandent, le larbinisme prend le dessus. La détermination avec laquelle ses courtisans assurent que leur « vieux » est toujours « jeune » rappelle les peintres de Louis XIV, qui louaient la vigueur physique du roi quand bien même, dominé par la maladie, il se faisait transporter sur une chaise. Et dans cet art, les anciens socialistes qui composent sa nouvelle cour sont passés maîtres. Ils savent que dire au président de la République ce qu’il veut entendre est le meilleur moyen de s’en approcher. Vaine tentative ! Je ne vois pas ce qu’il peut gagner en s’offrant les services d’hommes comme Mamadou Diop et Alassane Dialy Ndiaye, devenus de véritables zombies, au risque de perdre ceux qui, depuis 1993, se sont battus pour assurer ses victoires à Dakar. Je pense à Adama Ba, à Pape Kane, à Ndèye Maguette Dièye, à Abdoulaye Faye, qui sont devenus sans mots.

La propagande sopiste promet la riposte, mais il n’y en aura pas. S’il y a une riposte qui se prépare, c’est celle d’anciens wadistes désabusés qui veulent eux aussi crier : « Y en marre. » Tous les libéraux, et Babacar Gaye a trouvé les mots pour le dire, sont attristés par la tournure que prennent les évènements. Le porte-parole du Pds a lui-même connu sa part de traversée du désert, quand la présidence de la République a lancé le cabot Aliou Sow à ses trousses. Il a été si instruit par son passé qu’il ne veut pas insulter l’avenir. 

Le mouvement de révolte est d’une si grande ampleur, que nous en sommes surpris, nous tous qui vantions les capacités de ce peuple à se relever. Dans le Pds, au sein des organisations de la société civile, parmi les jeunes rappeurs, les femmes, le pays tout entier s’est mis debout pour se défendre contre ce monarque et sa tribu. Aucun interdit moral ne l’arrête. Pour conserver son pouvoir, tous les moyens semblent bons. Mais une telle clameur venue du peuple, il ne l’attendait pas. Quand, il y a quatre ans, des journalistes du Figaro attiraient son attention sur les souffrances des populations, il répondait péremptoirement que ce peuple ne soulèverait jamais contre lui. Erreur, les peuples se sont même soulevés contre leurs Dieux ! 

SJD