Election Présidentielle : Votez pour …

(Note : Dans mon texte, la forme masculine a valeur de genre neutre et désigne aussi bien les femmes que les hommes)

Je n’ai jamais milité dans un parti politique ou soutenu une personnalité politique mais j’ai essayé, autant que possible, de m’impliquer dans la vie politique du Sénégal. J’ai été très actif dans les mouvements élèves et étudiants au début des années quatre vingt dix, je vote depuis que j’ai atteint l’âge requis, j’ai été plusieurs fois observateur de l’ex ONEL (Observatoire national des élections) et je suis très attentivement l’évolution de notre pays. Au-delà du devoir civique, c’est surtout parce que je crois profondément que les pays sous-développés comme le nôtre ne connaîtront jamais un réel développement sans de sérieux  progrès en matière de bonne gouvernance politique et économique. Et les acquis louables de notre pays en matière de démocratisation, que nous devons impérativement préserver et approfondir, ne constituent que les tous premiers pas vers la véritable bonne gouvernance politique et économique.

À deux semaines de l’élection présidentielle du 26 février 2012, et de l’étranger où je vis depuis treize ans, j’ai constaté que beaucoup de Sénégalais, pourtant détenteurs de leurs cartes d’électeurs, sont encore très indécis vis-à-vis des candidats.  Plusieurs de mes proches et amis, au Sénégal et en dehors du pays, m’ont demandé avis ou conseil pour choisir un candidat. Loin de moi la prétention d’appeler à soutenir un des candidats en lice d’autant plus que je ne peux pas dire que j’ai déjà pu identifier avec certitude la personne qui répondrait le mieux aux critères que je propose ici. Cela dit, ceci n’est qu’une modeste contribution au débat politique en cours qui vise à partager mon idée de la personne pour laquelle je conseillerais de voter.

Le profil que je recommande pourrait paraître « idéal », mais contrairement à ce que beaucoup de gens suggèrent, à ce stade de l’évolution de notre pays, je m’intéresse plus au profil, et surtout à la personnalité des candidats, qu’à leurs « programmes ».

En réalité très peu de sénégalais se donnent la peine, ou ont le temps et la capacité, de lire, comprendre et comparer les programmes des candidats, à supposer même qu’ils arrivent à se les procurer. Au contraire, beaucoup d’électeurs votent sur la base de considérations personnelles (charisme, éloquence, liens de parenté, amitié, sympathie, loyauté…), d’avantages matériels reçus ou promis, d’affinités idéologiques, de calculs politiques, des œuvres sociales ou autres réalisations du candidat, etc. D’ailleurs, les « programmes » des candidats que j’ai pu parcourir pour le moment ressemblent plus à des listes d’intentions très ambitieuses (et au demeurant assez louables) et ne sont pas des ensembles d’actions cohérentes, concrètes et réalistes (avec des chiffres fiables à l’appui) visant le développement socio-économique du Sénégal (c’est ce que je considère comme un vrai « programme »). Lors des meetings que je suis à la télévision, la plupart des candidats se bornent simplement à décrire les problèmes des populations et à conclure, avec un brin de populisme : « …si je suis élu président, je vous promets de régler ce problème… ».  Il faudrait donc avoir la franchise de reconnaître que le contenu et la pertinence des programmes sont des critères vraiment négligeables, voire insignifiants, dans le choix d’une grande majorité d’électeurs. A mon avis, pour les électeurs encore indécis qui cherchent à faire un vote patriotique et judicieux, le meilleur critère de choix pour cette élection présidentielle est le potentiel d’un candidat à être un véritable leader une fois élu président. Et je suis persuadé qu’un véritable leader (déterminé, pragmatique et rassembleur), n’aura pas de problème à faire appel à toutes les compétences sénégalaises disponibles afin de définir et mettre en œuvre une stratégie susceptible de faire avancer notre pays. De ce point de vue, les conclusions des Assises Nationales constituent une bonne base sur laquelle on pourrait raisonnablement s’appuyer (mes sincères félicitations aux initiateurs et participants !).

Dés lors, la vraie question pour moi (et le défi pour notre pays) est de savoir quel candidat présente le meilleur potentiel pour être un « leader » efficace pour le Sénégal. Pourquoi cette question?

C’est parce que je considère que notre pays a surtout besoin de véritable leadership. En fait, le constat presque unanime est que  l’ensemble du continent africain souffre terriblement du manque de leadership à la hauteur de nos défis de développement. J’ai eu la chance de travailler avec les gouvernements d’une quinzaine de pays africains (dans le cadre de  la promotion de l’entreprenariat privé) et je suis absolument convaincu que c’est la qualité du leadership politique qui est, de très loin, le facteur le plus déterminant pour le progrès socio-économique de l’Afrique Subsaharienne. Je pense que, quel que soit le potentiel de développement d’une nation, aucune richesse (compétences humaines de qualité, ressources naturelles abondantes, avantages géographiques ou historiques, ….) ne pourra être efficacement mise en valeur, pour le bien-être de l’ensemble de sa population, si cette nation ne peut pas se choisir un leader légitime à la hauteur de la tâche.

Le leader auquel je pense n’est pas une sorte de « messie » sauveur qui « connaît tout et a des solutions pour tous les problèmes du pays ». L’histoire politique nous a montré que cette idée de « messie » est une utopie très dangereuse. Il s’agit plutôt du leadership, au sens anglo-saxon du terme, qui va au-delà du simple concept de « dirigeant » ou de « gouvernant ». Par exemple, c’est le sens employé aux Etats-Unis lorsque les américains demandent parfois à leur président de « faire preuve de leadership » (« to show leadership »). A mon avis, le véritable leader politique est une personne qui, par l’exemple de ses actions et de sa parole, peut inspirer toute une nation à vouloir constamment se dépasser, à se mobiliser autour d’une cause, à accepter des sacrifices et à viser l’excellence dans tous les domaines. Ce type de leader n’est pas un simple sélectionneur à la tête d’une équipe, ni un de ces « hommes forts », nombreux en Afrique, et dont les principales qualités sont d’être « puissants, autoritaires et craints ». Pour le Sénégal, ce type de leader serait une personnalité capable d’être le « catalyseur » du dynamisme de notre pays et qui permettra de le mettre sur la voie d’une réelle émergence économique durable.

Pour choisir le prochain leader du Sénégal, un examen du parcours (professionnel, politique et personnel) de chaque candidat et une bonne analyse de ses déclarations et actions pendant la période électorale devraient permettre de se faire raisonnablement une idée du type de leader qu’il pourrait devenir une fois élu. A défaut de cela, toutes les belles déclarations d’intentions que nous entendons actuellement vont inéluctablement déboucher sur une catastrophique déception nationale. Une simple « adhésion », aussi solennelle soit-elle, à la Constitution du Sénégal et à la Charte de gouvernance démocratique des Assises Nationales, restera un vœu pieux si la personne qui sera élue président n’a pas de fortes prédispositions personnelles pour traduire cet engagement dans ses actions à la tête du pays.  Hélas, notre pays regorge d’hommes et de femmes politiques qui n’hésitent pas à renier leurs engagements les plus solennels, violer leurs serments les plus sacrés, et à changer leurs positions les plus affirmées lorsque cela les arrange.

Je tiens à souligner que je suis un ardent défenseur de la nécessité absolue d’avoir des institutions légitimes, fortes et stables et de l’Etat de Droit. Mais, à mon avis, ce qui nous fait encore terriblement défaut au Sénégal, ce ne sont pas les textes et les arrangements institutionnels, c’est plutôt le leadership. Nous avons certes besoin d’institutions fortes, mais elles ne nous serviront pas à grand chose tant que nous n’aurons pas un leader digne de nos aspirations. Il est donc capital de bien choisir notre futur leader. Et quelque que soit la solidité, actuelle ou future, de nos institutions, je crois que le « leader » dont le Sénégal a présentement besoin devrait présenter un profil qui réunit la plupart, voire l’ensemble, des principales qualités que je propose ci-après (sans ordre d’importance).

Être un vrai patriote et un démocrate convaincu : Une telle personne sera capable de toujours mettre l’intérêt national devant toute autre considération et travaillera à consolider notre démocratie et à renforcer nos institutions plutôt qu’à les affaiblir en les manipulant au gré d’intérêts partisans. Cette personne aura également  un sens très fort de ce que les anglophones appellent « accountability » c’est- à -dire  une profonde conscience d’être tenue pour responsable des actions de son gouvernement et du devoir d’en rendre compte devant les Sénégalais. Et surtout, avec une telle personnalité ayant un sens élevé de l’Etat et de la dignité de la charge présidentielle, le pays sera moins exposé aux risques d’accaparement, d’abus ou de personnalisation du pouvoir.

Avoir une vision pragmatique et une bonne capacité de communication et de persuasion: Une telle personne aura la capacité d’inspirer la nation  et de définir des politiques ambitieuses et innovantes, cohérentes et réalistes. Elle aura également  un sens aigu des priorités et une capacité d’organisation exceptionnelle. Déterminée et rigoureuse, décisive et dynamique, elle aura l’audace et le courage d’opérer les ruptures fondamentales nécessaires (sociales, institutionnelles, économiques…), surtout en période de crise.

Avoir une parfaite intégrité et une forte éthique professionnelle : Une telle personne sera en mesure d’épargner le pays des jeux honteux de compromission, de reniement, de « deal » et autres combines auxquels un très grand nombre de politiciens nous ont hélas habitués depuis si longtemps. Elle sera également en mesure de promouvoir un credo du travail honnête, du mérite, de l’excellence et de la gestion saine et transparente ; des valeurs qui nous permettront de lutter contre la corruption, les malversations, l’impunité, le népotisme, l’arrivisme, le favoritisme, le clientélisme, l’affairisme et autres comportements néfastes qui gangrènent la société sénégalaise. Et surtout, une telle personne, constante dans ses principes, ses convictions et ses engagements, pourra inspirer confiance et respect, deux denrées qui sont malheureusement devenues très rares dans la classe politique sénégalaise actuelle. Enfin cette personne aura l’autorité morale et la crédibilité nécessaires pour inculquer aux Sénégalais les valeurs civiques et sociales dont notre société a tant besoin.

Avoir une compétence incontestable dans la gestion publique et/ou privée : Les affaires du pays sont trop importantes et complexes pour servir de lieu d’apprentissage ou  d’expérimentation. L’histoire de notre pays a montré qu’il est très dangereux de les confier à des novices, des amateurs, ou pire, des incompétents avérés (même animés des meilleures intentions patriotiques). Un vrai leader doit avoir déjà fait ses preuves avant de prétendre à des fonctions présidentielles. Une certaine connaissance du fonctionnement de l’administration publique est un avantage qui pourrait être décisif dans le choix. Je pense qu’il en est de même des connaissances en matière économique et de l’appréciation de la contribution du secteur privé dans le développement du pays.

Être une personne humble : Une telle personne sera avant tout consciente de ses limites (et de celles de son camp politique) et fera preuve d’une grande ouverture d’esprit et d’une tolérance qui encourage les échanges d’idées contradictoires et rejette l’arrogance et l’exclusivisme étroit. Consciente de ne pas avoir le monopole de la vérité ou des connaissances, cette personne saura consulter et écouter. Elle  se comportera en serviteur objectif et responsable du peuple sénégalais plutôt qu’en mégalomane à l’ego démesuré, aveuglé par ses ambitions personnelles et friand de flatteries et d’honneurs. Notre société qui sombre de plus en plus dans l’extravagance, la vanité, et le « bling bling » a bien besoin d’une telle personne pour servir d’exemple.

Être très bien ancrée dans la diversité culturelle sénégalaise et pleinement appréhender les enjeux d’une mondialisation économique croissante:

Une telle personne donnera le bon exemple en encourageant le respect mutuel et la tolérance dans notre jeune nation, riche de sa diversité traditionnelle et religieuse, mais encore en construction. Cette personne ne se risquera pas à  saper la cohésion nationale, en créant des divisions dangereuses ou en attisant certains clivages de façon purement opportuniste. De même, une telle personne comprendra que  la globalisation de l’économie mondiale offre aux pays comme le Sénégal d'excellentes opportunités d'accélérer leur développement économique. Elle mettra donc tout en œuvre pour sérieusement doter le pays, surtout sa jeunesse connectée au reste du monde, les atouts nécessaires à sa participation dans le processus de mondialisation qui nous oblige à être très compétitifs dans notre sous-région et au-delà, et à arrêter de nous flatter d’être une « exception démocratique ».

En résumé, nous avons besoin d’un leader qui va enfin nous permettre de traduire les remarquables réussites individuelles des sénégalais, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, en un grand progrès collectif, un pas de géant vers l’émergence économique!