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Pour sortir de l’illusion, Par Babacar Sall, sociologue-écrivain

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Pour sortir de l’illusion, Par Babacar Sall, sociologue-écrivain

C’est en tant qu’éditeur et membre de la diaspora sénégalaise que vous m’avez demandé d’intervenir dans votre édition spéciale. Je commencerai par l’engagement éditorial qui a permis l’édition de près d’une dizaine d’ouvrages, afin d’attirer l’opinion nationale et internationale sur les dérives de l’action publique au Sénégal. Le but étant de renforcer la documentation citoyenne sur la gestion délictueuse des deniers publics, de contribuer à la lutte contre l’impunité  et enfin, de placer l’édition au service du combat démocratique et du respect des droits citoyens.
Cet engagement nous a valu des entraves - dont des procès en cours -que nous abordons avec la ferme conviction qu’il ne faut jamais céder  devant les lignes de vérité qui charpentent les fondements moraux de notre pays.   Et quel qu’en soit le coût, il faut tenir. L’interdiction de fait de nos ouvrages au Sénégal, les pressions répétées sur  nos auteurs, les libraires de la place, et sur nous-mêmes, la mise en scène forcée et spectaculaire des livres favorables au président de la République auprès de ces mêmes libraires, soulignent l’étrange conception de la liberté dans notre pays. Mais l’important pour nous n’est pas seulement la bataille pour les livres, mais la contribution à la formation d’une conscience citoyenne capable de servir de rempart contre de telles dérives.
Nos publications en question sont envisagées comme des prises de risques nécessaires. Les procès qui en découlent nous coûtent au moins cinq fois plus que ne nous rapportent les livres édités. Aucune économie d’entreprise ne peut fonctionner durablement de la sorte si elle ne met en avant l’engagement et la conviction.
Il s’est produit, par ailleurs,  dans le courant de l’année 2007 deux phénomènes significatifs qui vont considérablement influer sur notre avenir proche et lointain : l’émigration massive de nos jeunes vers l’Europe -qui a débuté bien avant- et les signes de relâchement  de notre diaspora par rapport au pays, suite à l’élection présidentielle de février dernier.
L’exode de nos jeunes montre qu’ils ne croient plus en la capacité de nos dirigeants à construire un avenir probant. Pis, qu’ils n’envisagent plus une alternative d’avenir  dans leur propre pays. Chose inédite, c’est que cette quête d’un ailleurs meilleur passe par une mise en scène du désespoir ultime, alimentée par les économies domestiques. C’est l’épargne familiale qui a financé ces tentatives de la dernière chance.  Un cran dans cette tragédie centrifuge est l’apparition dans ces convois de la mort d’enfants de moins de dix ans, sans lien filial avec les cargaisons humaines en déperdition dans les mers profondes et lointaines. Lorsque l’aspiration collective à une vie meilleure passe par la mort, c’est que les individus en question ont déjà épuisé dans leur lieu de vie habituel tout leur gisement d’espérance.
Dans ce nouveau paradigme du temps humain, tout paraît dérisoire : la politique et ses promesses, l’arithmétique des experts, les projets de développement, la religion des rentiers de la croyance. Nous sommes arrivés à une fin de monde et il va falloir s’en persuader ou disparaître. Notre monde de certitudes, notre économie de la mendicité a atteint ses limites. Ces vestiges surannés tels que l’ANOCI et autres attrape-prébendes sont le liquide inflammable qui brûle le cœur révolté de notre jeunesse. Bientôt le monde entier en verra les flammes vives. Comment peut-on prendre en otage des années durant un peuple en arrêt de développement pour une conférence, fût-elle celle de sommités ? Le sommet de l’OCI ainsi posé par le régime présidentiel est plus un problème qu’une solution pour notre pays. Le Sénégal y laissera des plumes, mais d’autres en mal d’envol y trouveront un nouvel élan.
Par ailleurs, notre diaspora, dans des proportions significatives, a exprimé suite aux résultats controversés de l’élection présidentielle, sa volonté de ne plus subventionner, par l’envoi de mandats,  les avatars et inconséquences d’un Etat prédateur et sociophage. C’est un signe, mieux une alerte. Déjà, il y a quelques années, on remarquait dans la région parisienne, au niveau des associations de ressortissants, une baisse substantielle des cotisations pour les caisses de solidarité villageoise. Il y a, là, une amorce de la crise du partage et de la solidarité envers les pays d’origine- et en particulier le Sénégal- qui nous préoccupe tous et dont les ressorts reposent sur le comportement inqualifiable et ruineux des autorités dirigeantes.
Il y a certainement une corrélation à établir entre cette politique « feu de paille », l’exode tragique de nos jeunes et la crise de l’économie du partage qui prévaut dans la diaspora.
Alors quelle perspective d’avenir faudrait-il ouvrir suite à ce constat ? Une alternative à la prébende et au désespoir ne peut se construire que sur la base de ruptures :
-rupture avec la croyance qu’on peut accéder au mieux être individuel ou collectif sans le travail. Notre société actuelle valorise un modèle de réussite qui passe par la disqualification du travail, entretenue par un système élitaire qui vit de prébendes, de courtage, d’influence et d’allégeance. Or, c’est par le labeur que tout devient possible : la paix, la solidarité, la souveraineté et la durée ;
-rupture avec l’économie mendicitaire de l’Etat sénégalais par laquelle s’affichent les humiliations et les postures d’indignité. On peut le déplorer, mais dans les relations internationales, comme domestiques, celui qui donne a toujours raison sur celui qui reçoit.
-rupture avec la confiscation et le détournement des instruments démocratiques à des fins partisanes ou familistes par l’instauration et le renforcement d’institutions garantes des droits, de l’équité et de l’éthique.
-rupture avec la centralité de la politique dans nos sociétés qui fait que toute la vie sociale et économique reste suspendue à l’activisme politique. Or, dans notre pays, la politique ne produit pas la richesse, elle en consomme- et même trop. Il faut redéfinir dans  le cadre d’un nouveau contrat public et social la place de nos  institutions  (la politique, la culture, l’économie, la sociabilité, etc.) en fonction des problèmes prioritaires de notre pays à savoir les besoins fondamentaux (la santé, l’alimentation, l’éducation, le travail, l’élimination de la pauvreté, la valorisation de notre patrimoine historique, etc.)
De ces ruptures, parmi tant d’autres, naîtront de nouvelles façons de penser et d’agir avec lesquelles nous pourrons  bâtir une modernité authentique et établir un partenariat honorable et durable avec le reste du monde.      

 Babacar SALL

Sociologue et écrivain

 

 

 

 



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