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[ Contribution ] Sénégal : ordre ancien ou nouveau ?

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[ Contribution ] Sénégal : ordre ancien ou nouveau ?

En raison de sa grande complexité parce qu’il se ramène à la quintessence de la vie simplement, le processus du développement socio-économique et culturel ne saurait être réduit à la litanie de chiffres surfaits et de comptes d’épiciers qui nous sont servis rituellement. Les statistiques relatives au nombre d’écoles, de dispensaires, de puits, de casseroles, etc, ne signifie strictement rien en économie politique. Les raccourcis pris par certains pour analyser l’histoire politique recente ne sont pas davantage utiles à la cause du mouvement democratque national. C’est pourquoi, je ne m’arrêterais pas à ces considérations.  

Depuis longtemps, je ne cesse de dire que le système politique en cours au Sénégal est un système hybride de quasi-dictature, c’est-à-dire, une “magistrature exceptionnelle attribuant tous les pouvoirs à un seul homme” pour une période de temps donné. Cette notion de dictature  renvoie à un “régime politique arbitraire et coercitif dans lequel tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d'un seul homme, le dictateur”, ou d'une fratrie, les pouvoirs n'étant ni partagés, ni séparés, ni contrôlés, ni sanctionnés par des élections véritablement libres et une Constitution à l’abri de manipulations partisannes, les libertés individuelles et collectives n'étant pas suffisamment protégées des crimes économiques et de sang ainsi que des dérives juridiques, de l’arbitraire et de l’oppression.  

La dictature s’opposant à la démocratie du peuple par le peuple ne peut dans ces conditions que se maintenir par la force, celle rendue possible par le contrôle des forces armées, policières ou de gendarmerie, et , de milices (genre “calots bleus”), d’un parti “dominant” autour duquel se vassalisent, par pur opportunisme ou par intérêt, d’autres partis périphériques ou subordonnés, ainsi que des groupes religieux ou sociaux insatiables quant à la recherche de places dans l’appareil d’Etat et de richesses acquises par le pillage systématique et organisé des biens publics. Cette définition de la dictature correspond singulièrement au système en cours dans notre pays. 

En edulcorant légèrement cette notion, on pourrait également caractériser le système politique en cours de despotisme, entendu au sens d’une “forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté est exercée par une autorité unique (une seule personne ou un groupe restreint) qui dispose d’un pouvoir absolu” que l’on pourrait légitimement caracteriser de pouvoir à la fois autoritaire, arbitraire, oppressif et tyrannique.  Cette forme de despotisme a été décrite par Montesquieu comme une forme de cancer, un “mal absolu” émanant de l’exercice solitaire du pouvoir, “sans règle, si ce n’est celle du bon plaisir d’un seul homme”. C’est d’ailleurs cette définition de son pouvoir à laquelle M. Abdoulaye Wade a préféré adhérer en décrivant de manière biaisée les raisons pour lesquelles, par la ruse, comme il l’admet, il s’est servi de l’opposition de 2000 pour prendre le pouvoir en signant un programme commun de gouvernement qui n’a été à ses yeux qu’un bout de papier sans aucune sorte d’importance. Pour mieux masquer cette forfaiture, M. Wade estime qu’il tire sa légitimité du fait que les suffrages électoraux présidentiels se seraient portés sur lui seul et non sur la coalition de partis qui l’a portée au pouvoir après l’avoir tiré de sa retraite parisienne où il se morfondait.   

Une parenthèse s’impose ici, même si elle a déjà été ouverte par plusieurs critiques. Premièrement, la signification profonde du vote sanction des Sénégalais, le 22 Mars 2009, est parfaitement illustrative de ce que le régime de M. Wade appartient déjà au passé. La victoire du 19 Mars 2000 quant à elle, a été dévoyée de sa trajectoire démocratique par Abdoulaye Wade mais aussi par certains de ceux-là même qui aspirent aujourd’hui à la charge suprême. Ce sont, Macky Sall, comptable de longues années d’éxécution de l’ajustement structurel masqué et des frasques dictatoriales du Chef de l’Etat qui s’est servi de lui pour liquider tour à tour Idrissa Seck et toute la camarilla politique qui aurait pu porter ombrage à Karim Wade ; Idrissa Seck perdu dans son éternel jeu de Collin Maillard avec un mentor à qui il doit tout, y compris son goût immodéré pour les lambris dorés du pouvoir et les fonds politiques maquillés. La récente sortie de l’un des lieutenants de Macky Sall revendiquant l’appartenance de l’APR au camp libéral et reconnaissant la statue de la honte comme une grande réussite donne sûrement à réfléchir aux membres de la Coalition Benno.   

Deuxièmement, si cette tendance lourde relative au rejet de la ligne politique libérale se confirmait, le véritable débat à l’ordre du jour, serait de savoir sur la base de quel programme les parties prenantes de l’opposition et des citoyens impliqués dans les Assises nationales pourraient s’engager durablement dans un contrat social tenant compte des intérêts supérieurs de la nation et du peuple sénégalais. 

Il serait instructif tout d’abord de savoir si le programme de l’opposition est un véritable programme de rupture par rapport à l’odre ancien ou si, au contraire, il s’agit d’un programme de compromis marqué dont les principes et l’agencement ne se démarquent pas suffisamment du “consensus” pensé par les institutions de Bretton Woods, consensus, rappelons-le, basé sur un système de domination quasi-colonial construit autour du pillage de nos ressources et de la soumission aux stratégies d’appauvrissement accéléré et continu des populations.  

C’est à l’examen de cette question essentielle que devraient bientôt répondre les conclusions des Assises nationales dès qu’elles seront rendues publiques. Le condensé des discussions hâtivement qualifiées de “conclusions” par certains ne vont certainement pas épuiser le dialogue politique, loin s’en faut. La population électorale non partisane et toutes les voix dissonantes au sein et en dehors des partis politiques et de la société civile ne manqueront pas d’exprimer leurs préoccupations légitimes et, par dessus-tout, leur aversion du capitalisme quasi-colonial qui les enferme dans l’enfer quotidien de la prise de decision néocoloniale et un système économique dans lequel le Sénégal n’a aucune chance d’embrasser un nouvel ordre socio économique en rupture par rapport à l’ordre ancien. Il faudra donc éviter de céder à la tentation d’enfermer le dialogue politique national dans un espace allergique à toute critique constructive. Il conviendrait peut-être de permettre aux parties prenantes une possibilité réelle d’apporter leur contribution même tardive ou d’exprimer leurs réserves profondes dans un débat des plus complexes, comme le montrent les procès-verbaux des consultations citoyennes régulièrement publiées dans le site web des Assises nationales. Ces procès-verbaux sont d’ailleurs étonnament incrits dans les présupposés idéologiques et d’ajustement de l’ordre interne à l’ordre externe, impérial. Il n’est pas possible dans le cadre d’une tribune comme celle-ci de presenter les arguments relatifs à ce constat. Nous nous y attèleront dès que les circonstances le permettront. 

Echec total du système en cours 

La preuve de l’accélération de la pauvreté au Sénégal nous est donnée par l’accroissement de la pauvreté dans une proportion qui dépasse l’entendement (avec 63 % de la population vivant avec 1 ou 2 dollars par jour, selon les chiffres mêmes de la Banque mondiale). A cet effondrement social est venu se greffer la liquéfaction du système de commecialisation arachidière, la faillite des principaux attelages d’une croissance annuelle prétenduement élevée (6% avait-on dit alors que le niveau réél du Sénégal comme celui de la sous-région ne dépasse guère 1,5 à 2,5 % en étant généreux) et la détérioration constante des prétendus “équilibres” macro-économiques, c’est-à-dire les rapports de force entre les puissances étatiques, commerciales et financières globales coalisées contre notre pays enfermé dans un système de pillage qui se perpétue à vrai dire depuis au moins quatre siècles. A cela s’ajoute un taux de chômage qui dépasse, selon certaines sources, la barre des 40 % et une monnaie prisonnière d’accords qui mettent à la disposition des banques françaises la presque totalité des devises étrangéres et donc des avoirs extérieurs des pays anciennement colonisés par la France. 

L’encerclement militaire de la France orchestré contre ses anciennes colonies a fait le reste. Nous avons été transformés en un sanctuaire jalousement gardé par la France comme son pré-carré parce que guarantissant sa propre souveraineté et sa place dans le concert des nations.  Les discussions en cours ne sont rien d’autre qu’un trompe-l’oeil destiné à endormir l’opinion. M. Wade a certainement l’intention de donner droit aux prétentions scandaleuses et cyniques de la France sur les installations et les terres où elle a implanté son appareillage militaire de destruction humaine et d’hégémonisme. Cette forfaiture qui se prépare doit être rejetée sans appel.  

A l’occasion de la célébration honteuse de la néocolonisation française, la grande masse des Sénégalais est profondément déçue par l’étalage scandaleux de l’obséquiosité diplomatique libérale et de sa propension à vouloir épater son monde par de faux scoops plutôt que par une politique mûrement réfléchie, instruite par les  faux-départs enregistrés au cours d’un demi siècle d’échecs retentissants et de violations sans précédent des droits humains en Afrique.  

A l’échelle internationale, le commerce africain ne peut guère se prévaloir de plus de 2 % des échanges mondiaux, ce qui place 53 Etats pris ensemble au même niveau que la Belgique et en-deça d’un petit pays comme la Suisse.  Le commerce sénégalais ne représente au plus qu’un fétu de paille dans ces conditions. Ces questions sont rarement débattues en profondeur à travers les offres politiques en cours. Or ce sont elles qui déterminent, dans une très large mesure, l’avenir du pays et du continent. C’est pourquoi il est essentiel, au moment des “bilans” de montrer en quoi la rupture avec l’actuel ordre économique et culturel national et mondial est une nécessité et par quelles voies en sortir.  

Examiner l’offre politique 

Or, de ce point de vue, l’offre politique et économique qui se profile derrière les compte-rendus de consultations populaires ne répond pas concrètement à ces questions. Comment sortir du système d’accélération du sous-développement auquel est soumis notre économie ? Comment combattre l’ajustement structurel en faillite que représentent les prétendus Documents de stratégie de réduction de la pauvreté avec un retour à peine déguisé du colonialisme à travers la mise en place de privatisations carnassières et de “partenariats public-privé” qui ne peuvent que se ramener aux crimes économiques d’envergure que représentent l’APIX ou les nombreuses agences présidentielles hors-budget ? Est-il possible de concevoir le “développement” en dehors des sentiers extrêmement dangereux que nous réservent des universités incapables de former l’artillerie intellectuelle et conceptuelle indispensable au progrès ou des politiques de substitution d’importation qui font la part belle aux sociétés étrangères, principalement françaises et de plus en plus moyen-orientales ou chinoises, assurées de retours sur investissements colossaux à notre détriment ? Est-il possible de tourner le dos définitivement à un système étatique et de gouvernance instruit par la dictature d’une seule personne sur tous, la prévarication des maigres biens publics, la corruption et la privatisation du suffrage universel ? 

Nous devons continuer de réfléchir sur ces questions mais sans perdre de temps dans des querelles stériles qui perdureraient, assurant par là-même au pouvoir absolu en place une chance, si minime soit-elle, de survie.  

En discutant récemment avec des observateurs privilégiés de la scène politique, je me suis rendu compte à quel point nous sommes encore mentalement colonisés. Pourquoi s’empresser d’aller chercher dans les sytèmes européens ou américains les modèles institutionnels de rupture dont nous avons besoin pour instaurer un nouvel ordre économique, politique et social dans notre pays, comme si l’Afrique n’était pas suffisamment riche de ferments ou de modèles démocratiques dans sa longue histoire ? Le nouvel alphabet démocratique dont nous avons besoin devra être inventé par les Africains eux-mêmes, sans bien sûr prétendre réinventer la roue sur des questions qui appartiennent à present au patrimoine démocratique universel. Les problèmes relatifs à la séparation des pouvoirs, à l’exercice effectif du pouvoir par le peuple (notion à revisiter de toutes façons), à la démocratisation réelle de la prise de décision sous toutes ses formes et la mise en place de mécanismes éprouvés de contrôle des démembrements de l’Etat par le peuple, la gestion du travail, du capital et des fruits du travail de tous, le contrôle des budgets et leur priorisation, le partage équitable du pouvoir entre les différentes couches de la société, etc, sont autant de sources de préoccupation non seulement pour les Sénégalais mais pour tous les peuples africains.         

Nous savons bien que le système de dictature masquée de M. Wade est agonisant parce que tous ceux qui hésitaient encore à s’engager pour différentes raisons ont décidé de s’engager dans la bataille politique pour en finir avec un système vieillissant.  

Mais il serait naïf de penser que la bataille est gagnée d’avance. Il reste entendu que nous ne pouvons recommencer éternellement le même manège : transformer les forces vives du pays en marche-pieds commodes pour la prise du pouvoir et ensuite laisser à une seule personne, un cartel ou une oligrachie le soin de gouvernenr le pays.  

Personne ne devrait plus accepter de s’inscrire et d’inscrire le pays dans une logique aussi dévastatrice. Les conditions d’une offre politique novatrice et de rupture sont à présent réunies. Il suffit simplement d’en faciliter l’expression puis la mise en oeuvre sans céder à la tentation de l’activisme petit-bourgeois, de la ruse, de la naïveté ou de l’insouciance.  Il faudra également rompre avec les dénonciations fallacieuses et ciblées dès lors que des voix dissidentes s’élèveraient pour pousser davantage la réflexon en cours au sein des forces vives du pays.  

Car une nouvelle décennie perdue serait sans doute la décennie de trop et qui pourrait nous être fatale pour une longue période à venir. 

Jacques Habib Sy

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