L'espoir pour Roméo Langlois mais l'inquiétude pour tant d'autres

 

Dominique Gerbaud, président de reporters sans frontières (RSF) est rassuré par la libération imminente de Roméo Langlois. Il reste néanmoins inquiet sur la façon dont la profession est de plus en plus malmenée.

 

Toutes les conditions sont-elles remplies pour la libération de Roméo Langlois??

 

Dominique Gerbaud?: « Son arrestation est survenue dans un contexte plutôt favorable, suite à la décision des Farc – par ailleurs en mauvaise posture politique – de ne plus détenir de civils. De plus, toutes les conditions sont remplies. L'armée colombienne, à la demande des Farc, a libéré la zone. La Croix-Rouge est sur place avec le représentant de François Hollande, Jean-Baptiste Chauvin, et de France 24 (l'employeur de Roméo Langlois). Sauf incident, cette libération devrait intervenir cette nuit. On sait qu'il n'y a pas eu de demande de rançon et que Roméo tient le coup. »

La détention de civils reste impopulaire dans l'opinion publique internationale??« Elle le reste seulement dans les démocraties. Au Maghreb islamique, en ce moment, les gens sont tout à fait indifférents aux pressions internationales. En Syrie, lorsqu'il a fallu libérer les otages, ça n'a pas été avec l'aide du pouvoir politique en place. »

 

Le contexte a changé depuis les printemps arabes??

 

« Les jeunes démocraties n'ont pas toujours immédiatement compris que la liberté de la presse était l'un des éléments d'une vie démocratique normale. Quand on voit, par exemple, qu'en Tunisie, le ministre des Droits de l'homme a demandé à un syndicat de journalistes de lui livrer les noms des journalistes qui ne sont pas favorables à la révolution tunisienne, ça montre bien que la liberté d'informer a encore des progrès à faire. »

 

En France aussi (nous ne sommes que 38e dans le classement de RSF)??

« La France est une démocratie où on peut encore enquêter librement, interpeller le pouvoir ou qualifier un président de la République de voyou. Mais ce qui est significatif ici, c'est qu'il existe un climat qui se détériore continuellement, depuis des années, entre le pouvoir politique et les journalistes. A droite comme à gauche, dès qu'un politique a maille à partir avec la presse, il s'empresse de qualifier les journalistes de tous les noms d'oiseaux. Il n'y a plus ce respect vis-à-vis de la profession qui existait parce que la liberté de la presse était considérée comme une chose avec laquelle on ne transigeait pas. Si on peut, par le biais de communicants bien formés, influencer les journalistes, on n'hésite plus et quand on veut obtenir des informations sur la manière dont les journalistes enquêtent, on va même jusqu'à fouiller dans leurs relevés téléphoniques (les fadettes) pour savoir qui sont leurs informateurs. Et les politiques estiment qu'ils ont le droit de le faire. »

Et dans le reste du monde??

« Certains pays s'éveillent à la démocratie et laissent travailler leurs journalistes. Certains pays d'Afrique ou l'Amérique du Sud laissent la presse s'organiser librement. Mais les principales inquiétudes sont d'une part les milices, comme celles des islamistes en Somalie, où nous en sommes au sixième journaliste tué depuis le début de l'année, et les mafias, comme celles de la drogue, par exemple en Amérique centrale. Et j'en reviens à Roméo Langlois, qui en est l'exemple?: il a été capturé parce qu'il voulait surtout regarder où en étaient les Farc avec le commerce de la drogue. D'autre part, la deuxième évolution qui nous inquiète concerne Internet?: de plus en plus de moyens sont mis en place, y compris par les pouvoirs politiques, pour contrôler le Web. En Chine, 40.000 fonctionnaires sont payés pour surveiller ce qui s'y échange. Notre job, à RSF, sera de plus en plus de défendre la liberté de circulation de l'information sur le Net. »

Propos recueillis par Christophe Colinet