Mon intention est bien d’aller d’une idée à l’autre sans lien apparent. Inutile d’ergoter là-dessus. « Chaque vieux matou broie sa tête de souris, comme il lui plaît. » dit-on chez nous. L’important est d’attraper le rongeur : « jàppal ! » Le comble serait de se laisser prendre la queue dans le piège destiné à la proie…kaña gi rëccati nala... »
Ce n’est point hasard si je me sens des affinités électives et instinctives avec Souleymane Faye. Nous sommes deux petits laids, de teint noir. On est rétif au harnais et méfiant de l’Autorité qui tape d’abord et réfléchit ensuite. Nous avons le même âge et la même répulsion viscérale pour les larbins.
Apprends ! « Sëriñ bi baaxna xi kër gi- un précepteur maison, c’est utile. » Que les cancres se ressaisissent ! Ne serait-ce que pour savoir nommer, dans leurs langues nationales, les doigts de la main ou simplement les cinq sens. Je veux dire la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût. Oui, vous avez bien lu…
Une nation paye cher l’obstination à ses erreurs de jugement et de décision, avertit encore le chanteur-philosophe : « Yenn dëggër bopp yi jaay sa askan la… »
Au village on ne connaît que deux « doktoors » : l’un prend soin des humains, l’autre « wetarneer », des animaux. Ils exercent, chacun dans son domaine, sans porter ombrage aux « borom xam xam-détenteurs du savoir ancestral. C’est en ville que l’on trouve des docteurs en droit, linguistique, communication, etc. Les titulaires de ce titre prestigieux enseignent à l’université ou occupent le sommet de la hiérarchie professionnelle pour avoir étudié comme des forcenés pendant que d’autres buvaient du thé et se déboîtaient les hanches dans les Coladera et Foural-dansant. Ces « docteurs », éminences parfois prématurément grises sous le poids de leurs connaissances méritent leurs postes dans les cabinets ministériels. Mais, de grâce, n’en faisons pas des conseillers culturels. Ils ne parleront guère le même langage que les populations avec lesquelles ils sont censés conjuguer le Passé. D’où la nécessité de revoir la gestion des ressources humaines de notre pays. Que ce soit dans l’administration publique ou dans le secteur privé, nous avons adopté des systèmes de fonctionnement qui, parfois, n’ont rien à voir avec nos exigences de développement. La suggestion ne consisterait point à tordre les grilles de la fonction publique en abandonnant ces critères objectifs de recrutement que sont les diplômes. Disons qu’il ne serait pas saugrenu d’envisager une différente échelle de valeurs basée sur les connaissances orales. « -Xam sooga jëf mo gëna wóor-savoir avant d’entreprendre », redit Souleymane.
L’indépendance culturelle actionne tous les leviers d’émancipation d’un pays. A partir de cette logique, il est concevable, que dans un ministère chargé de la culture et des langues nationales, des dépositaires de valeurs traditionnelles authentiques comme Fallou Cissé de Radio Dunya soient chargés de mission. Ben Bass, son directeur, considère que le savoir-faire est plus sûr que le diplôme-« mën mën mo gëna wóor lijasa ». Le postulat fait recette dans cette radio station qui devrait inspirer le cabinet du nouveau ministre de la culture où les farouches secrétaires du prédécesseur traitaient les acteurs culturels traditionnels avec un injustifiable mépris.
Revenons à Jules Faye…
« Bo amee te xamulo
Ku joge ca all bi nëw jëriño
(De ton héritage abandonné
Se nourrit l’étranger)
Mais pourquoi donc me contraindrais-je à ces insipides traductions ? Et pour qui ? C’est comme si, inconsciemment, je me sentais redevable à ceux là dont j’emprunte la langue. N’est-ce point un signe d’inféodation intellectuelle ? Pourquoi les Occidentaux ne déploieraient-ils pas les mêmes efforts pour apprendre les langues de mon pays ? Des raisons commerciales, touristiques voire libidineuses devraient les y pousser.
Jurons de ne plus traduire ! Enfin… Teey lu leen…Buguñu ngeen gaañu. »
Pour l’instant, « La Grève des Báttus » serait suicidaire. Donnons leur un ultimatum…Jusqu’à la nouvelle génération qui ne voudra plus parler « xamnga-youno-cetadir », la langue des Wolofranglais, quoi…
Aux nouveaux Pages du Royaume, bienvenue à la Cour mais teey lu leen…Prudence…Gorgui kumu dogal tubéy, ngémb laa nga lay xaar-
A l’impossible traduction, nul n’est tenu. Retenez simplement que le cache-sexe de l’infortune remplace très vite le prêt-à-porter qu’offre Gorgui.
Interprète qui peut !
Ah ! J’oubliais…Selon des rumeurs généralement bien fondées, le Premier des Pages, en passation de service, aurait pris un vulgaire quidam pour Birago. Senghor ne lui aurait pas donné le temps d’étrenner son fauteuil « primatorial. »
Bien loin le temps où l’on testait les gardiens du Temple sur leurs humanités.
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