On dit de lui qu’il est un « florentin », une figure politique ambiguë, une « mosaïque faite homme », côté personnalité et qui serait insaisissable en politique qu’une « murène dans les roches enfouies des abysses ». « Cet homme pluriel qui parvient à se dédoubler pour conquérir plusieurs espaces différenciés », pour reprendre les termes de M. Amadou Lamine Faye, principal biographe du président Wade, a de quoi désarçonner ses plus irréductibles adversaires. Une chose est sûre, celui qui préside aux destinées du Sénégal depuis 2000 étonne souvent, irrite parfois, mais fascine toujours. Qu’on l’aime ou pas, il ne laisse personne indifférent. Tribun devant l’Eternel, il sait trouver les justes mots (souvent en wolof) pour parler au peuple et a, pendant longtemps, joué sur le registre de son charisme pour drainer des foules plus ou moins acquises à cause. C’est sans doute l’un de ses traits de caractère les moins connus, mais Abdoulaye Wade est un grand communicateur. Habitué à des décisions brusques et à des déclarations spectaculaires, il ne laisse jamais l’initiative à ses détracteurs, même quand il était dans l’opposition. Et ça, même ses opposants ont fini par l’admettre. S’il savait donner du fil à retorde au pouvoir, quand il était dans l’opposition, il savait aussi, quand la nécessité se faisait sentir, calmer le jeu pour préserver la stabilité du pays.
Ainsi s’explique ses différentes entrées dans le gouvernement socialiste de l’époque - comme en mars 1991 - dans le cadre de gouvernements à majorité élargie.
Sa capacité d’anticiper sur le réel, si mouvant, fait de lui, peut-être, comme le laisse entendre le philosophe Mame Moussé Diagne « l’un des rares disciples de Machiavel » sous les tropiques. Adulé par beaucoup, mais contesté par certains - comme dans toute démocratie - le président Wade, après plus de trente années d’action politique, dont dix ans au pouvoir, réserve toujours une part de mystère, qui se dérobe à l’analyse. Très souvent, les déclarations faites à son endroit sont soit panégyriques, soit relèvent d’un procès d’intention. Cependant, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que la fonction présidentielle a ceci de redoutable qu’elle est une sorte « d’innocence perdue », tel que le soulignait l’écrivain américain Tom Pain à l’endroit de George Washington, adulé par certains comme étant un grand homme, mais sur qui on a raconté des histoires de toutes sortes. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut s’astreindre à juger les dirigeants. Loin de là. Mais, seule l’histoire peut réellement juger un homme. Voilà pour ce qui est de l’homme Abdoulaye Wade.
Pour ce qui est de sa pensée politique et économique, l’essentiel se trouve dans son ouvrage-phare « Un destin pour l’Afrique », publié en 1989. Il a la particularité d’appliquer depuis dix ans les idées qu’il défend depuis la veille des indépendances et qui se trouvent dans ce livre. Opposant de longue date à la balkanisation de l’Afrique, Abdoulaye Wade posait déjà, en 1959, dans sa thèse de doctorat, le débat sur la pertinence de la réalisation d’un marché sous-régional intégré et en faisant la condition essentielle d’un développement accéléré.
Pour Amadou Lamine Faye, « il a eu raison des premiers dirigeants africains qui ont expérimenté le marxisme-léninisme au début des indépendances » (« le Soleil » du 19 mars 2010). En effet, très vite, Wade s’est démarqué des enseignements du célèbre « barbu de Trèves » en prônant le libéralisme. Panafricaniste et militant acharné de l’intégration africaine, il est le concepteur du Plan Omega qui donnera le Plan Nepad grâce à une fusion avec le Millennium african plan (Map), émanant des présidents Olusegun Obasanjo (Nigeria), Thabo Mbeki (Afrique du Sud) et Abdelaziz Bouteflika (Algérie). Toutefois, Wade lui-même reconnaît « un échec dans le management, pas la pertinence de l’idée » concernant ce projet. Parmi les autres initiatives de cet homme aux idées vraiment foisonnantes, il faut ajouter, entre autre, le Wade Formula. En bref, le « modèle wadien » se décline à identifier les secteurs prioritaires et stratégiques dans le cadre d’un Etat libéral interventionniste, avec à la base le développement des infrastructures, colonne vertébral du développement tout court.
« Goorgui » (le vieux en wolof), en infatigable combattant, n’entend pas se retirer de la vie politique. Il a déjà annoncé sa candidature pour les élections présidentielles de 2012, comme, du reste, le lui autorise la Constitution. Un défi de plus qui, une fois de plus, a surpris ses détracteurs politiques. Car selon eux, c’est tout simplement un défi contre la nature (vue son âge) ! Mais l’homme est habitué à relever des défis, en témoignent les « éléphants blancs ».
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