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Politique

ALBERT BOURGI, POLITOLOGUE, PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC À L'UNIVERSITÉ DE REIMS : « On ne peut bénéficier au Sénégal d'une légitimité politique du seul fait qu'on est le fils du president»

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ALBERT BOURGI, POLITOLOGUE, PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC À L'UNIVERSITÉ DE REIMS : « On ne peut bénéficier au Sénégal d'une légitimité politique du seul fait qu'on est le fils du president»

Observateur de la situation politique au Sénégal, Albert Bourgi disqualifie Karim Wade de la succession de son père à la magistrature suprême. Le politologue et professeur de droit public à l'université de Reims, qui se prononce par ailleurs sur l’état de la démocratie au Sénégal, a «du mal à imaginer que l'on puisse bénéficier d'une légitimité politique du seul fait qu'on est le fils du président de la République». Surtout dans un pays à l’histoire marquée de joutes électorales, qui «n'est ni le Gabon ni le Togo». 

Professeur, comment expliquez-vous la panne du dialogue politique au Sénégal ?

J'explique la panne du dialogue politique par le fait que le pouvoir qui est en place actuellement est trop sûr de lui. Et cette attitude renvoie inévitablement au mode d'exercice du pouvoir qui, on le veuille ou non, est un mode solitaire, et à la limite narcissique. Quand un chef de l'État est convaincu qu'il a raison, le parti qui est le sien estime lui aussi que ce qu'il fait est très bien, et autour du pouvoir, il y a toute une classe qui s'est créée et qui tire profit du système. Je crois qu'on ne pourra pas avancer, s'il n'y a pas de dialogue politique. C'est la pire des erreurs que commettrait le pouvoir en place de refuser le dialogue. D'autant plus qu'à l'évidence, après les Assises nationales, il y a eu une volonté d'ouverture quant à l'instauration de discussions qui pourraient peut-être poser finalement les prémices d'une vie politique beaucoup plus apaisée. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La vie politique au Sénégal est extrêmement tendue. Je crois qu'il n'y a rien de pire que des situations de ce type. Et ça nous renvoie un peu aux années 90, lorsque le pouvoir de Abdou Diouf a ouvert les vannes et a instauré ce dialogue qui a conduit à la mise en forme d'un nouveau Code électoral, d'une structure de supervision des élections, l'Onel etc. Un système politique, quel qu'il soit, a besoin de respiration. Le système politique actuel, sous-tendu par cette assurance que je viens d'évoquer, est convaincu d'être dans le bon droit. Et que, si on veut venir vers lui, il faut accepter, sans conditions, des discussions. Ce qui n'est pas possible. 

Est-ce à dire que la présidentielle qui se profile à l'horizon est à haut risque ?

Une élection, surtout présidentielle, n'est jamais gagnée d'avance. Il y a toujours les inconnues d'un scrutin. Il y a une nouvelle forme de contestation qui s'est développée dans le pays depuis quelque temps. C'est vrai que la cohésion actuelle de «Bennoo Siggil Senegaal» (ndlr : cadre unitaire de l’essentiel des partis politiques de l’opposition) risque, sans aucun doute, de poser des problèmes au candidat du parti au pouvoir. Si c'est le président qui est candidat à sa succession ou si quelqu'un d'autre est candidat, il trouvera en face de lui un candidat ou des candidats avec beaucoup plus d'assurance et s'adossant à des stratégies électorales beaucoup plus cohérentes qu'auparavant. 

On continue de prêter au président Wade l'intention de vouloir se faire succéder par son fils…

Le Sénégal n'est ni le Gabon ni le Togo. Au Gabon, c'est quatre cent mille électeurs qui se sont prononcés ; on a élu un gestionnaire de patrimoine privé. Des successions de ce type doit inévitablement renvoyer à l'histoire de ce pays. Franchement, l'histoire politique au Sénégal est jalonnée de compétitions électorales. J'ai du mal à imaginer que le président Wade puisse penser à cela. C'est vrai qu'on a l'impression que des choses se mettent en place pour cela. Mais, ça me paraît être une véritable hérésie politique. Et je souhaite que le Sénégal ne soit pas confronté à ce type de situation, où un chef d'État cherche à se faire succéder par son fils. 

Pourquoi ? 

Moi, je ne suis pas au courant que le fils du président Wade ait lui-même une histoire politique. Il est sans aucun doute aujourd'hui un ministre. Mais, il n'a pas eu de vécu politique, ni de vécu partisan. Ce n'est pas parce qu'on est le fils d'un tel, qu'on est nécessairement l'héritier d'une carrière et d'une histoire politiques. Il est sans doute le fils de son père, mais, certainement pas l'héritier d'une carrière et d'une histoire politiques. Il y a des compétitions électorales, il y a des structures auxquelles vous êtes habitués, vous avez, encore une fois, un vécu politique. Le Sénégal n'est pas le Gabon. Le Sénégal n'est pas le Togo. Quand on connaît l'histoire politique du Sénégal, avec ses joutes électorales, ses confrontations électorales, ses compétitions électorales, on voit mal comment est-ce qu'on peut être candidat, parce qu'on est le fils du sortant. En quoi l'héritage familial peut conférer une légitimité ? J'ai du mal à imaginer que l'on puisse avoir au Sénégal une succession préparée, comme l'a été l'élection présidentielle au Gabon. Le fils Bongo, il a été ministre depuis près de vingt-cinq ans : ministre des Affaires étrangères, ministre de la Défense, et il a plus de cinquante ans. Il a pris sa part dans le jeu politique gabonais. Je le répète, j'ai du mal à imaginer que l'on puisse bénéficier d'une légitimité politique du seul fait qu'on est le fils du président de la République.  

Aujourd'hui, quel regard jetez-vous sur la situation de la démocratie au Sénégal ?

La situation de la démocratie au Sénégal est aujourd'hui en reflux. Parce que, tout simplement, les institutions qui ont été mises en place sont une chose, mais, ceux qui les incarnent, précisément, ont des pratiques qui ne correspondent pas aux règles prescrites dans les Constitutions. Aujourd'hui, on est revenu à un présidentialisme aux couleurs de la démocratie. C'est là où les choses se compliquent, c'est par là que pêchent nos expériences politiques. La démocratie est un combat permanent.



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