COMMENTAIRE DU JOUR : Trop, c’est trop !

Deux textes de loi ont été votés le 6 février 2007, alors tous les députés étaient « en congé » de l’Assemblée nationale pour battre campagne. Seize parlementaires parmi les cent vingt (120) que comptait la dernière législature ont été cueillis quelque part, bien préparés certainement à jouer leur rôle, pour aller voter en moins de deux heures des lois qui engagent fondamentalement l’avenir de cette nation. Ce vote fera perdre au pays un investissement global d’un milliard de dollars, 600 milliards de FCfa, environ. 

Si ce n’est pas un crime de haute trahison, on ne sait pas alors qu’est ce qui pourrait bien être considéré comme tel dans ce pays. C’est presque sans débats que dix députés ont finalement adopté ces textes. Les députés de l’opposition nouvellement élus n’ont d’autre choix que de présenter devant la nouvelle Assemblée nationale des résolutions pour forcer le gouvernement à rouvrir la discussion sur ces deux textes de loi qui sont, non seulement contraires à la Constitution de ce pays, mais compromettent surtout et dangereusement l’avenir économique de cette nation. Les deux textes lois ont été rédigés dans la précipitation et par des gens qui n’ont rien appris ni compris de la règle de droit.

Ces textes sont mal faits, illisibles et dramatiquement contreproductifs pour cette nation. La loi autorisant la création d’une société anonyme dénommée Apix et la loi créant la Zone économique spéciale intégrée ne comportent pas d’exposés de motifs, ni de visas. C’est du jamais vu au Sénégal. Pire, elles comportent de nombreuses fautes de français, de syntaxe et autres contresens rendant les deux textes presque inintelligibles, alors qu’ils légifèrent sur des matières d’une importance capitale. Les deux lois sont des traductions littérales de certaines conclusions rendues en anglais de l’étude qui a été réalisée pour le compte du consortium Jafza pour la réalisation de son projet à Diamniadio.

Les erreurs de segmentation de l’étude ont été reproduites à l‘identique dans les deux lois. C’est une honte pour ce pays et pour l’Assemblée nationale. Sudquotidien se fera d’ailleurs le devoir de publier sur son site Internet les versions électroniques des deux lois et celle de l’étude réalisée pour Jafza. Ceux qui lisent l’anglais et le français pourront faire la comparaison et se rendre compte eux-mêmes de la légèreté avec laquelle les autorités de ce pays ont agi dans ce dossier.

Sur le plan à proprement parler de la technique législative utilisée, on peut se demander si un juriste a vu les textes qui ont été soumis au vote des députés. Le texte sur la zone économique spéciale ne peut être, en aucune façon, adopté autrement que le biais d’une loi organique. Le législateur a préféré à la place, voter une simple loi ordinaire qui a permis au gouvernement d’éviter de la présenter obligatoirement à la censure du Conseil constitutionnel. Si jamais le juge avait été saisi pour contrôle de constitutionnalité de la loi, il l’aurait sans aucun doute invalidé sur bien des aspects. Ce qui aurait retardé son adoption.

On connaît bien, compte tenu de l’expérience vécue avec lui dans un passé encore très récent, le manque d’audace du Conseil constitutionnel, son sens peu élevé de la notion de contrôle, mais ses juges ne pouvaient pas cette fois-ci laisser faire. Or, le gouvernement était manifestement pressé de faire adopter sa loi, comme si quelque part il était pris à la gorge par des impératifs et des pressions inavouables. Tous les citoyens qui seront demain expropriés et spoliés sur la base de cette loi pourront soulever l’exception d’inconstitutionnalité, en invoquant devant le juge sa non-application.

L’Apix est devenu pour les fossoyeurs de l’économie nationale un instrument privilégié de contournement de la loi et de maquillage d’opérations frauduleuses d’une extrême complexité. L’Anoci a embauché un expert financier du nom de Babacar Bâ détaché auprès de l’Apix. Ce dernier coordonne auprès de l‘instance le dossier Jafza. Or, l’Apix a été un partenaire privilégié du projet de réalisation de la plateforme multifonctionnelle de Diamniadio, depuis le début des opérations. Cela pose à la fois un problème d’éthique et de cohérence dans la politique de recherche et de promotion d’investisseurs étrangers dans notre pays. Le problème est suffisamment grave pour ne pas soulever l’ire des Américains. Aujourd’hui, paradoxe suprême : l’Apix est au cœur d’extraordinaires controverses au sein de la communauté des bailleurs de fonds présents au Sénégal. Comment comprendre la privatisation de cette instance gouvernementale pour le seul bon plaisir des investisseurs arabes et pour celui de leurs amis sénégalais, avec comme objectif final la mise à la disposition de Jafza de la plateforme multifonctionnelle de Diamniadio.

Les Sénégalais devront bien un jour se réveiller et se convaincre que ces deux instances que sont l’Anoci et l’Apix sont les deux instruments par lesquels des affairistes veulent prendre le pays en otage, privatiser les leviers de l’économie nationale pour le seul bénéfice de leurs amis et associés en affaires.

Trop, c’est trop !