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Politique

ENTRETIEN AVEC…Mohamadou MBODJ, président du Forum civil : «Aujourd’hui, l’activité la mieux rétribuée, c’est de soutenir le pouvoir»

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ENTRETIEN AVEC…Mohamadou MBODJ, président du Forum civil : «Aujourd’hui, l’activité la mieux rétribuée, c’est de soutenir le pouvoir»

Lors de la dernière présidentielle, le Parti démocratique sénégalais (Pds) et son n°1, Abdoulaye Wade, se sont distingués par une surprenante propension à dégainer de l’argent à tour de bras. Pour les législatives, l’orgie de millions continue de faire la loi sur le terrain électoral, sans aucune orthodoxie. Mohamadou Mbodj, président du Forum civil fait le constat de cet envahissement de l’argent dans le champ politique, sans règles bien fixées et sans contrôle. Autre constat fait par M. Mbodj : l’origine de cet argent vient de l’Etat, du parti ou des partis au pouvoir. Le président du Forum revient ici sur l’initiative qui avait été prise par le Président Diouf sur le financement des partis politiques et plaide pour un plafonnement des dépenses à ce niveau.

Lors de la campagne pour la présidentielle, il a été question de dépenses faramineuses au point de susciter un débat sur la question. Et pour la présente campagne aussi, l’argent revient de plus belle, et il semble qu’il n’y a aucune loi qui encadre ces dépenses dites politiques.

Le premier commentaire à faire sur cette question, c’est de confirmer ce constat. C’est que l’argent a envahi la politique, et cela, depuis très longtemps. Cela date de bien avant l’alternance. Ce qui est nouveau probablement, aujourd’hui, ce sont les proportions prises par ce phénomène qui n’est même plus caché. A la limite, la politique a un coût. Pour comprendre ce phénomène, on peut tenter une approche normative. C’est-à-dire prendre une loi, des décrets, mettre une institution, réprimer, fixer des règles. Et peut-être même, fixer un contrôle sur le respect de ces règles.

Cependant, dans le cas du Sénégal, ce phénomène est complexifié davantage par deux choses. Souvent, les gens qui analysent cette question voient l’offre d’argent. Qui fait l’offre d’argent ? C’est l’Etat. C’est le parti au pouvoir ou les partis au pouvoir. Parce que l’argent souvent, on le tire de la proximité du pouvoir. Les partis d’opposition, même s’ils s’adonnent à cela, c’est encore à un niveau faible, parce qu’ils n’ont pas assez de ressources. Donc, on ne regarde dans l’analyse de l’offre, alors que quand il y a une offre, il y a une demande, parce qu’il y a des citoyens qui sont prêts à se faire acheter. Souvent on dénonce l’achat des consciences, mais il y a la vente des consciences aussi de l’autre côté. Cela veut dire qu’il y a une sorte de légitimation de ces pratiques répréhensibles moralement. Si on peut trouver un écho favorable à l‘offre d’achat de consciences et que la société l’accepte, il s’installe une sorte de légitimation de ces mauvaises pratiques dans notre champ social. Et ça rend plus compliqué le traitement de la question. Cela fait qu’on ne peut plus s’arrêter à l’approche normative pour dire qu’il faut des lois, parce que c’est les valeurs et les contre-valeurs. Cela veut dire que si on va plus loin que ces constats pour essayer de comprendre ces mécanismes, on bute sur la réalité de la pauvreté dans nos sociétés. Nous devons ré-analyser le système, les pratiques politiques et institutionnelles au Sénégal à l’aune de ce paradigme de la pauvreté.

Juste avant l’avènement de l’alternance, le Président Abdou Diouf avait commandité une étude sur le financement des partis politiques, pour voir l’opportunité de réglementer la question. Mais, avec le changement de régime, cela semble être mis aux oubliettes…

Oui, c’était sous l’angle du financement et de la médiation. Et c’était une approche intéressante, parce que ce dont on discute présentement relève indirectement du financement, mais on y reviendra. La question de l’achat des consciences, qu’on le dise ou pas, qu’on finance les partis politiques ou pas, le parti au pouvoir, qui a l’essentiel des ressources politiques, a un énorme levier d’instrumentalisation des comportements des citoyens. Et quand on parle d’achat des consciences, on parle de clientélisme. On ne parle plus de citoyenneté ni d’engagement politique gratuit ou d’altruisme pour la collectivité.

Aujourd’hui, l’activité la mieux rétribuée au sens économique du terme, c’est de soutenir le pouvoir. Si vous le faites aujourd’hui, demain, vous verrez un ministre arriver dans votre quartier. Vous venez d’accéder à l’occasion à des opportunités de développement et à des infrastructures.

Il semble donc que le pouvoir joue sur la situation précaire….

(Il coupe) Oui ! Ils (les hommes du pouvoir : ndlr) instrumentalisent. Ce qui intéresse les politiques, ce n’est pas de convaincre le secteur privé afin qu’il vote pour eux, mais de convaincre tous les pauvres à venir prendre leurs cartes et voter pour eux. Maintenant dans cette période, beaucoup d’argent va être distribué pour que ces gens règlent certains problèmes ponctuels. Ce sont de rares moments d’accéder à des revenus intéressants pour ces populations. A mon avis, il faut plafonner les dépenses électorales ; ce qui n’a rien à voir avec le financement des partis politiques. Aujourd’hui, qui sait d’où vient cet argent ? (…)

Il faut créer de nouvelles règles. Ça, c’est la première approche stratégique. La deuxième est qu’il faut travailler sur l’environnement global de l’ordre économique. La démocratie est presque incompatible à une situation de pauvreté généralisée.

La provenance du financement de la campagne du Pds a posé beaucoup de questions, à cause surtout de la distribution de faramineuses sommes d’argent. Quelle lecture en faites-vous ?

Au-delà de la réglementation aujourd’hui, prenez le parti au pouvoir, vous y enlevez Abdoulaye Wade pour y mettre n’importe quel autre, l’ancien pouvoir faisait d’ailleurs la même chose : utiliser les voitures de l’administration pour la campagne.

Aujourd’hui, quelle est l’attitude de ce pouvoir face aux règles qu’il est censé faire respecter ? En 2001 par exemple, le Conseil constitutionnel avait dit à Wade que son image ne devait pas figurer dans les documents de campagne, lors des élections législatives. Vous voyez bien que sa photo est encore là ! Où sont les moyens du Conseil constitutionnel pour contraindre le président de la République à respecter ces règles-là ? C’est beau de se doter de règles constitutionnelles et juridiques, mais quels sont les mécanismes en dehors du parlement, pour faire prévaloir ces règles ?

Est-ce à dire qu’il y a là l’opportunité de se pencher sur cette dernière question ?

Mais oui ! Parce que quand on nous dit que tel ministre a utilisé les véhicules de l’administration pour la campagne, vous l’avez suivi dans la presse ! C’est le cas de Farba Senghor. Quels sont les moyens aujourd’hui de ces hautes structures de l’Etat chargées de veiller à cela ? C’est une question d’éthique.

 



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