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Politique

ENTRETIEN AVEC…SOUTY TOURE, Secrétaire général du Parti socialiste authentique : «En l’an 2000, j’ai dit à Abdou Diouf qu’on va perdre»

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ENTRETIEN AVEC…SOUTY TOURE, Secrétaire général du Parti socialiste authentique : «En l’an 2000, j’ai dit à Abdou Diouf qu’on va perdre»

En parlant de votre formation politique, le Parti socialiste authentique (Psa), vous vous référez beaucoup à certaines valeurs de la gauche traditionnelle. Qu’est-ce qui explique donc le choix de cette dénomination ?

C’est un choix neutre, tout comme le vocabulaire. Tout de même, ce n’est pas inexplicable ; il n’y a pas de fétiche qui s’attache à cela. Nous sommes d’abord des socialistes et nous le disons. Notre environnement peut juger si nous sommes des socialistes, si dans notre comportement de tous les jours, notre rapport avec nos populations, nos environnements sociaux, nous avons une démarche de socialistes, c’est-à-dire des personnes attachées à faire prévaloir dans le fonctionnement de la société des valeurs de justice sociale, d’équité et de solidarité.

Des socialistes qui s’associent et forment un parti, qu’il s’appelle Parti socialiste, c’est normal. Et maintenant pourquoi authentique ? Nous ne voulons pas dire par là que d’autres ne sont pas socialistes. Le socialisme est une valeur universelle. De Karl Marx à aujourd’hui, il n’appartient à personne. De Lamine Guèye à aujourd’hui au Sénégal, il n’appartient à personne. Ce dernier est le premier à créer la section française du Parti socialiste (Ps). Ici, même si d’autres disent que c’est Senghor, c’est en réalité Lamine Guèye.

Pour reprendre vos propres termes, vous avez parlé d’un socialisme qui intègre la rigueur du Marxisme et du Léninisme, telle que léguée par Senghor…

(Rires) Oui ! Parce que c’est de l’histoire. Il y en a qui parlent du socialisme sénégalais, mais en surface. Le socialisme sénégalais, ce n’est pas un produit élaboré en 1948, tel qu’il se présente aujourd’hui. Non ! N’oubliez pas que le président Mamadou Dia était en 1948 avec le président Senghor. Donc, le Msu (Mouvement pour le socialisme et l’unité : Ndlr), est-ce qu’on peut l’exclure aujourd’hui du mouvement socialiste sénégalais ? Le Président Mamadou Dia apparaissait plus comme l’idéologue que Senghor. Alors, le socialisme sénégalais, c’est tout un processus. Et Senghor a dit : «Mon socialisme à moi rejette la dictature du prolétariat, la philosophie du matérialisme, mais accepte la méthode et la rigueur du marxisme-léninisme, à partir desquelles j’analyse la société sénégalaise. Je tire du fond de cette analyse les valeurs communautaires de la société sénégalaise. Voilà ce qui fait le socialisme.» Mais, ça a pris tout un temps. Et si vous quittez la surface, les slogans et les autoglorifications, c’est de l’enfantillage. Si vous analysez au fond, même tout au long de ce processus, Senghor s’est associé avec des gens qui étaient au départ des marxistes-léninistes, avec ceux qui étaient les tenants du socialisme autogestionnaire, comme Mamadou Dia.

Le Président Mamadou Dia est allé en 1961 ou 1962 en Union soviétique ; il est revenu. Après avoir visité les unités de production communautaires, il a dit : «Je suis revenu, pas converti, mais extrêmement impressionné.» Cela veut dire que le mouvement socialiste sénégalais a intégré des valeurs du marxisme-léninisme. Alors, vouloir faire des railleries, ironiser sur des gens parce qu’ils ont été au Pai (Ndlr : Parti africain de l’indépendance), mais Amath Dansokho y était ; Abdoulaye Bathily était aussi au Pai avec moi. Il y a bien des Pai aujourd’hui dans le Bureau politique du Ps ; même si certains n’y ont pas séjourné longtemps. Et je vais vous raconter une anecdote. Quand je suis sorti de prison, j’ai introduit par l’intermédiaire d’un ami co-prisonnier avec lequel j’étais dans le maquis, une demande de réintégration dans la Fonction publique pour enseigner, avec l’autorisation de mon parti le Pai. Le Dr Mamadou Ibra Wane, qui était ministre de l’Education nationale, a tout de suite fait de prendre une décision. Mamadou Amar de l’Urd était son directeur de cabinet. On m’a repris dans l’enseignement. Alors, je pense que quelques radicaux du mouvement des jeunes du parti de Senghor ont dû se plaindre, et le président Senghor a posé la question au ministre : «Mais pourquoi vous aidez de jeunes communistes ? Il parait qu’il est dangereux ; il vient du maquis et vous le reprenez.» Et le Dr Wane a répondu : «Ah oui, Monsieur le Président, moi je trouve dès lors qu’il a été relaxé…» Senghor lui dit : «Ah oui, il a été relaxé, parce que c’est au bénéfice de l’âge.» Après il a regardé le Dr Mamadou Ibra Wane qui m’a raconté l’anecdote et lui dit : «Mais au fond, c’est vous qui avez raison Monsieur le ministre parce qu’à cet âge, qui de nous ne pensions pas comme lui ?» C’est pour vous dire qu’à l’époque, c’était presque de la gloire que de se réclamer du mouvement révolutionnaire.

Aujourd’hui, vouloir dire qu’on est héritier exclusif de Léopold Sédar Senghor, il est loisible à chacun de vouloir s’approprier un bien, mais vouloir être le seul héritier du socialisme dans un pays, c’est quand même prétentieux ! Donc de grâce, qu’on cesse ces petites querelles! Il y a un débat de fond au plan théorique. Alors nous, on dira quelle est notre position. Mais, les petites querelles mesquines et superficielles n’ont pas de sens.

Vous étiez au Parti socialiste jusqu’à…

(Il coupe) J’ai été au Ps à partir de 1969. Et c’est parce que j’étais l’un des dirigeants locaux du Pai à Tambacounnda (…). Donc, j’ai commencé à militer au Ps avec un autre camarade, Sara Waly. Après lui, j’ai créé une tendance. Avec cette tendance, aux renouvellements de 1981, je faisais déjà 45%. Je pensais même franchement que j’étais majoritaire. Mais mon âge, mon tempérament étaient tels que le président Abdou Diouf et la direction ne voulaient pas que je prenne la Coordination tout de suite.

Et le 17 décembre 1982, le Président Abdou Diouf m’a reçu. Il m’a dit : «Il paraît que je vais être battu dans la zone de Tambacounda, si tu faisais des votes-sanction.» Je lui dis : «Non, Monsieur le président de la République, vous avez un discours aux accents nationalistes auquel j’adhère. Moi, je suis venu avec vous parce que vous êtes un homme de progrès». A l’époque, le Président Diouf recevait même des personnes issues du bas peuple, alors j’étais séduit. C’est comme ça que c’est parti, jusqu’en 1993. Quand on a gagné les élections haut la main, j’ai été nommé ministre délégué, chargé de la décentralisation. Le président de la République, quand il me nommait, m’a dit : «Vous avez une sensibilité particulière des régions périphériques. Donc vous devez pouvoir écrire les textes.» Nous avons écrit les textes et sommes allés à l’Assemblée nationale. Que je sache, à part le code électoral, c’est le seul texte législatif au Sénégal qui a été voté à l’unanimité avec l’accord de l’opposition.

Nous avons évolué comme au Ps, et en l’an 2000, dès qu’on a diminué le prix de l’arachide, j’ai dit au Président Abdou Diouf : «On va perdre.» Je lui ai dit que je n’avais jamais vu un pouvoir s’inscrire dans une logique de diminution du pouvoir d’achat de sa base sociale. Notre base sociale principale, ce sont les agriculteurs, les paysans. Il m’a dit : «Non, moi je ne partage pas le même sentiment que toi. Et pour preuve, je vais commencer la campagne chez toi.» On a commencé la campagne chez moi. Ce sont des anecdotes, mais qui ont une valeur d’explication. Il a été accueilli comme jamais cela n’a été le cas, selon ses propres expressions. Et là, il m’a dit : «Voilà, tu vois que tu dois reprendre courage !» Je lui dis : «Non ! Ici, tu vas gagner !» Donc cet homme-là, je suis allé avec lui aux élections et j’étais son ministre de l’Environnement et de la Protection de la nature. J’étais dans les honneurs et j’avais les honneurs du pouvoir. Lorsque nous perdons le pouvoir, les valeurs d’éducation que nous avons reçues, c’est d’assumer en mal et en difficulté aussi les conséquences de cette perte. Donc entre temps, je suis allé à mon village cultiver. En 2002, j’étais maire, mais j’ai abandonné presque. Les populations sont venues me voir par la suite au village pour me dire qu’elles avaient encore besoin de moi comme tête de liste aux élections municipales. J’ai abandonné les champs et je suis retourné, Dieu a fait que nous avons été élus.

Mais dès 2003, j’ai commencé à émettre des réserves par rapport aux méthodes de fonctionnement du parti qui manquait de solidarité, de collégialité, et où il y avait beaucoup de parti-pris fantaisistes dans le choix des décisions. Le type de direction ne me convenait pas. Et lorsque vous posez ce genre de problèmes, les gens ne les analysent pas de façon impersonnelle ; on les transforme en des problèmes crypto-personnels. Et j’ai pris du champ par rapport au Bureau politique.

Pour revenir un peu en arrière, en l’an 2000 déjà, quand le président Abdou Diouf a quitté, vous aviez gelé vos activités au sein du parti…

(Il coupe) Non ! C’est en 2003 que j’ai gelé. Et je n’avais pas gelé, je suis allé cultiver parce qu’il me fallait vivre. Au Sénégal, les comptes bancaires sont connus, et ce n’est pas aussi compliqué que ça. Je suis allé cultiver du gombo et de la banane. Et ça faisait bien mon affaire. En 2002, je suis revenu parce que les populations de Tambacounda avaient besoin de moi.

Mais à l’époque, il y a eu des moments où vous êtes revenus réintégrer le Bureau politique du Ps avant de repartir encore…

Le Bureau politique, je ne l’ai jamais quitté jusqu’en 2003. Mais, je n’étais pas assidu parce que tout simplement, je n’étais pas présent à Dakar.

Alors, à partir de 2003, quand j’ai vu qu’on a gelé les activités du Conseil d’orientation, j’ai fait mon analyse et j’ai déduit que les méthodes n’étaient pas bonnes. Et que le type de direction n’est pas correct. Même par rapport à la décision du boycott des élections, est-ce que les instances ont été convoquées pour décider ? Non ! Elles ont été convoqués pour prendre acte. J’ai fait des observations, malheureusement, je n’ai pas été entendu. J’ai continué à geler pour ne pas personnaliser ces divergences.

Cependant, après d’autres de vos camarades socialistes vous ont suivi dans cela…

Oui, j’échangeais avec tout le monde ! Avec Robert (Ndlr : Robert Sagna), Madia Diop aussi et d’autres. Et puis, nous avons formé le 4 janvier 2006, le Courant (Ndlr : Démocratie et solidarité), pour demander au parti de revoir un peu cet ensemble de problèmes. Malheureusement, les mécanismes et les instruments que nous avions pour la médiation et la conciliation politique n’ont pas fonctionné. Le Conseil des sages n’est pas parvenu à nous mettre ensemble. Et il y a eu une sorte de séparation, mais pas de cassure. Et nous avons dit que nous allions nous présenter séparément aux élections présidentielles. Mais personne n’avait encore écrit de lettre de démission. Personne n’avait encore dit, dans les radios ou dans la presse, qu’il avait démissionné. Nous avons posé cette candidature et chacun peut l’analyser de diverses manières.

Vous êtes allés à ces dernières élections avec Robert Sagna. Quel bilan vous faites de ce compagnonnage ?

C’est un bilan très satisfaisant. Robert Sagna a été d’une prestance acceptable, à la limite même, bonne (…).

Jusqu’à cette époque-là, vous espériez encore les retrouvailles de la grande famille socialiste. Mais qu’est-ce qui a coincé ?

Quand on a tiré le bilan des élections, nous avions dit d’abord que Robert devait reconnaître la victoire de notre adversaire. Mais aussi, il y a eu le constat que l’autre Ps (il insiste : Ndlr), non seulement n’a pas gagné, l’Afp non plus et nous Takku Defarat n’avons pas gagné, mais nous ne sommes même pas deuxième. Or, lorsqu’on additionne les résultats de ces trois partis issus de la même famille, nous devenons deuxième. Ce n’est pas rien ! Nos résultats ont donc donné l’urgence de retrouvailles de la grande famille socialiste. Robert Sagna a lancé cet appel, mais vous avez suivi les réactions, qui vont de l’injure au mépris hautain.

De la part de qui justement ?

(Sous un ton ferme) Mais, des autres socialistes. Ils nous ont injuriés.

A l’époque, Ousmane Tanor Dieng avait manifesté son ouverture, n’est-ce pas ?

Non ! Je crois avoir lu qu’il a dit ni de jour ni de nuit, il n’a contacté Robert Sagna et que ça, c’est derrière lui. C’est ça que j’ai entendu, pas autre chose. Et il faut en prendre acte. Si on veut que demain la gauche se retrouve, il faut qu’on arrête de se jeter l’anathème, par plaisir, par fantaisie et par caprice. Il faut avoir de la rigueur. L’important est que nous nous acceptions et que personne ne veuille exclure l’autre de cette valeur universelle.

En ce moment là, vous étiez dans la coalition Takku Defarat Sénégal. Pourquoi l’avez-vous quittée pour aller aux législatives sous votre propre bannière. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Non ! Ce n’est pas que quelque chose n’a pas marché. C’est que c’était une coalition pour défendre un candidat à la présidentielle, une compétition. Et j’ai dit à Robert Sagna : «Moi, comme je ne renonce pas à faire de la politique, et je n’entends pas faire de la politique seulement par élection, je crée un parti politique.»

A quelques semaines des législatives, il est à remarquer que vous n’avez pas adhéré au concept de boycott actif des élections par une frange de l’opposition. Quelle explication donnez-vous à votre refus ?

Ils sont libres de boycotter ces élections et d’en donner le contenu qu’ils veulent. Moi, je participe aux élections avec le Psa que j’ai formé avec des hommes de très grande valeur. Nous participons parce que le combat politique est un combat de tous les jours.

Et par rapport à leur requête pour une discussion sur le fichier électoral, que le président de la République n’accepte pas jusque-là ?

Le Sénégal est un pays qui a une tradition de dialogue. Le dialogue est justement une des valeurs du socialisme africain. Et pour ce qui est du fichier, mon parti n’était pas présent lors de son audit. Je ne peux donc pas dire s’il est bon ou mauvais. Je n’ai pas vu les rapports des experts de l’opposition. Quelle a été la conclusion de ceux-ci ? S’ils avaient dit que le fichier n’était pas bon, l’opposition n’aurait jamais dû aller aux élections présidentielles. Du point de vue de la cohérence et de la logique, certaines choses ne nous paraissent pas très élégantes.



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