Serigne Fallou Dieng préfère parler en tant que petit-fils de Serigne Touba, même si son statut de président du Cercle des intellectuels soufis du Sénégal (Ciss) le lui permet. Pour avoir plus de liberté à se prononcer sur l’agression d’un journaliste par des supposés talibés mourides, dit-il. Et dire ses vérités sur ce qu’il pense de Cheikh Béthio Thioune et de l’affaire du Ranch Dolly.
Des supposés disciples de Cheikh Béthio Thioune ont agressé un journaliste. Comment, en tant que petit-fils de Serigne Touba, vous analysez cette situation ?
Je voulais, avant tout, parler de Cheikh Béthio. Il est vrai qu’il est dans la voie du mouridisme, qu’il a la bénédiction de Serigne Saliou Mbacké pour rassembler des disciples, mais il n’est pas le créateur de la voie du mouridisme. Serigne Touba a créé le mouridisme en 1883 et Serigne Saliou est devenu le 5e khalife en 1990. Il serait donc intéressant de clarifier les agissements de Béthio. Quand on s’intéresse à l’histoire de l’Islam, on retrouve un personnage qui lui ressemble beaucoup : Marwane Ibn Hakam. Permettez-moi de faire un peu la corrélation entre les deux personnes. Cheikh Béthio joue, à côté de Serigne Saliou, le même rôle que Marwane a joué à côté de Ousmane, 3e khalife du Prophète (Psl).
En avril 1998, le khalife général avait dit qu’il n’a rien à ajouter, comme il n’a rien à soustraire de l’Islam et il reste fidèle à ce discours, aujourd’hui. Il a dit encore, dans la même année, qu’il n’a pas de préférence pour les candidats à la Présidence. Il prie pour que le victorieux soit le meilleur pour le Sénégal. Il ne s’est jamais impliqué dans la politique. Si Cheikh Béthio bénéficie de la confiance de Serigne Saliou, qui a sous sa tutelle l’ensemble des disciples de Serigne Touba, il ne doit pas verser dans la politique politicienne car, entre deux adversaires politiques qui s’affrontent à Thiès, le nom de Serigne Touba ne doit pas être utilisé pour aider l’un des protagonistes.
On se rappelle que pendant la Coupe du monde de 2002, Cheikh Béthio a affirmé, ici, au nom de Serigne Saliou, qu’elle allait venir au Sénégal. Ensuite, ses disciples avaient trouvé la famille de Abdoul Aziz Sy en train de faire leur zikr, pour les perturber. Ils avaient aussi fait de même avec la famille de Thierno Mountaga Tall. D’ailleurs, on se rappelle que le Serigne Mountaga avait prié pour que le Sénégal ne gagne pas la coupe. En 2001, lors du magal, quand le khalife l’a nommé, il y avait d’énormes difficultés liées à des pénuries d’eau. Quand il a envoyé 500 Dakarois à Khelcom, ils ont fini par tabasser les disciples mourides qu’ils ont trouvés sur place. C’est vous dire que Cheikh Béthio est un mal qu’on doit extirper du mouridisme. Il parle trop et il est ignorant ; c’est pourquoi il cause tous ces dégâts.
Comment vous jugez l’agression de journaliste par des présumés disciples de Cheikh Béthio ?
Je n’étais pas informé de cela, mais force doit rester à la loi, comme le disait le général Niang. Comme c’est lui, Cheikh Béthio qui a réussi à avoir le rang qu’il a dans le mouridisme, au point de tutoyer et de snober les mbacké-mbacké, il doit admettre qu’il ne doit plus y avoir d’intimidation envers le journaliste. Personne n’est au-dessus de la loi. Ni un mbacké-mbacké, ni personne d’autre, ne doit intimider les journalistes. S’il est avéré que c’est lui qui a commandité cette agression ou s’il s’agit de ses talibés, la Justice doit trancher.
Cette semaine, on a soulevé encore l’affaire du Ranch de Dolly.
C’est la manière dont on a octroyé le terrain au khalife qui est anormal. Le mérite de Serigne Saliou dépasse le Ranch de Dolly. On a vu l’exploitation qu’il a faite des terres à Khelcom, qui est bénéfique pour tous les Sénégalais. Il a diversifié les cultures avec la production de beaucoup de variétés. Donc, l’octroi des terres au marabout se justifie. Mais, il y a la manière. Abdou Diouf était un républicain, un visionnaire. Quand il a attribué les terres de Khelcom au marabout, il y a eu beaucoup de remous, mais finalement tout est rentré dans l’ordre. Pourtant, Khelcom est beaucoup plus grand que le Ranch.
Quand Wade est arrivé au pouvoir, il a agi sous le coup de l’euphorie. Il n’a pas fait des études pour comprendre ; il voulait juste rivaliser avec Abdou Diouf. Ce qu’il voulait surtout, c’est que le marabout l’appuie et crée un nouveau concept : «Président, talibé de Serigne Touba.» Wade a donné les terres sans mesurer les conséquences ; aujourd’hui, il veut se rattraper. Je suis convaincu que c’est Wade qui avait envoyé Djibo Kâ. Et puis ces terres-là, c’est une bombe à retardement. Maintenant, c’est un grand problème qui peut entamer, demain, la cohésion sociale, parce que les mourides n’accepteront jamais de perdre la face et les Peuls ne renonceront pas, non plus.
Vous avez toujours défendu la culpabilité du maire de Thiès, Idrissa Seck, et maintenant qu’il est blanchi par la Justice ?
J’avais dit dans des journaux de la place que Idrissa Seck est un voleur, qu’il a bel et bien détourné. En fait, je justifiais cela par plusieurs considérations. D’abord, c’est le président de la République, lui-même, qui l’avait nommé Premier ministre qui l’a accusé sur la base d’un prétendu rapport de l’Ige. Idrissa Seck, dans l’affaire Khadim Bousso, durcissait le ton. Je me rappelle, que, dans sa déclaration de politique générale, il disait qu’il allait combattre Ndioublang et aider Goorgoorlou. C’était normal qu’on s’acharne sur lui. Mais, maintenant, quand on dit qu’il est voleur, c’est normal qu’on le dénonce. Aujourd’hui, la Justice l’a blanchi ; ce même Abdoulaye Wade qui l’avait accusé l’a aussi blanchi. Donc, si on est franc avec nous-même, on doit affirmer devant tout le monde son innocence et dans les médias, de la même manière qu’on l’avait accusé, comme le recommande Serigne Fallou Mbacké dans de pareilles circonstances. Idrissa Seck n’y est pour rien dans l’affaire Khadim Bousso, comme le problème du Ranch de Dolly.
D’ailleurs, je voulais faire des commentaires sur l’attitude du Président Wade qui monte des chefs religieux contre Idrissa Seck. Tout cela ne fera que renforcer Idrissa Seck. Tous les vrais petits-fils de Serigne Touba vont l’appuyer, ne serait-ce que par mépris pour ces faux marabouts qui galvaudent la voie du mouridisme. Il peut également bénéficier de l’appui des étudiants et des universitaires à qui le discours d’Idrissa Seck promet un lendemain meilleur, au moment où les ndiguëls (consigne donné par un marabout à son disciple : ndlr) s’affaiblissent.
Mon analyse est qu’il peut gagner les élections d’autant plus qu’il ne reste plus beaucoup de temps à Wade. Me Wade a un visa. Comme le disait Jean de la Fontaine, les gens partent comme ils sont venus. Wade est arrivé au pouvoir à la surprise générale, il repartira à la surprise de tout le monde. Je ne dis pas qu’il va perdre les élections, mais même s’il gagne, il ne va pas durer, car son visa tire à sa fin. Les gens qui connaissent savent que Wade n’est pas un homme qui va durer au pouvoir.
Ensuite, Il faut remarquer que ces marabouts à qui l’on remet de l’argent pour qu’ils parlent ne font que renforcer la démocratie. Plus ils parlent, les gens se rendront compte qu’ils ne valent rien. Et comme disait Abdou Diouf, le ndiguëul affaiblit la démocratie. Il faut que les citoyens désavouent les ndiguëul des marabouts pour avoir une conscience libre, afin que le vote ne soit pas subordonné aux exigences d’une personne. Les faux-marabouts vont se discréditer, à cause leurs propres propos, car qui parle se découvre.
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