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Politique

HARCÈLEMENT JUDICIAIRE : Sommes-nous en sursis ?

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HARCÈLEMENT JUDICIAIRE : Sommes-nous en sursis ?

Les portes de la prison sont-elles si béantes sous le régime Sopi qu’il suffit d’un rien pour y entrer ? C’est en tout cas ce que laisse penser la détention pour le moins arbitraire du maire de Bambey. Les juges sont-ils donc si prompts à décerner un mandat de dépôt au point que nous soyons tous en sursis ? Voici quelques éléments de réponse.

 

«Durant toute ma carrière, à chaque fois qu’il m’est arrivé de décerner un mandat de dépôt, le prévenu et ses avocats pouvaient être certains de ne pouvoir échapper à une peine ferme, une fois devant le tribunal », confie un magistrat instructeur à la retraite. Plus explicite, il avance : «A l’époque, chaque magistrat mettait un soin particulier à bien instruire tout dossier à lui confié avant de décider, dans son intime conviction, si le prévenu mérite réellement ou non d’être retenu dans les liens de la prévention». A croire qu’on a donc affaire aujourd’hui à une génération de juges beaucoup moins consciencieux et plus prompts à envoyer d’un simple trait de plume en prison quiconque a la malchance de se retrouver en face d’eux. Et le plus grave dans cette propension à décerner à tout-va des mandats de dépôt est que nombre de prévenus ont dû vivre les affres de la prison, pour une durée plus ou moins longue, avant de se voir purement et simplement relaxer par le tribunal.

Il en a été ainsi de tous ces responsables de sociétés nationales qui, au lendemain de l’alternance ont dû faire les frais de la vaste opération d’audits lancée par les nouveaux tenants du pouvoir en 2000. Envoyés en prison sans même pouvoir assurer, pour la plupart, leur défense, Mbaye Diouf, ancien Dg des chemins de fer, Adama Gaye, ancien patron du quotidien national « Le Soleil », Abdou Aziz Tall (ex-Lonase), Khady Diagne (ex-Sodida) et autres Ousmane Diallo (ex-Sodefitex) ont tous été traînés devant les tribunaux, puis longtemps emprisonnés sur la base de chefs d’accusations par trop compromettants. Pour ensuite bénéficier tous, et comme par enchantement, d’une relaxe pure et simple. De la même manière que la fameuse opération d’audits, lancée à grand renfort de publicité, avait vite enflé pour tenir longtemps en haleine l’opinion publique avant de se dégonfler comme un ballon de baudruche. Et à ce sujet, le cas de l’ancien patron de la SNCS et responsable socialiste à Thiès, Mbaye Diouf, a été sans conteste le plus étonnant. Inculpé d’escroquerie portant sur des deniers publics, de détournement de deniers publics, de faux usage de faux en écritures publiques et d’abus de biens sociaux, puis jeté en prison sans avoir eu la possibilité de contester le rapport provisoire relatif à l’audit sur sa gestion, Mbaye Diouf était manifestement dans de sales draps. Et l’acharnement dont il avait été ainsi l’objet avait laissé croire qu’il boirait le calice jusqu’à la lie. Mais quelle ne fut donc la surprise des Sénégalais de le voir bénéficier de la relaxe pure et simple, le 29 novembre 2005 ! De quoi faire accroire qu’il ne s’était agi que pour le nouveau régime en place de se défaire d’un redoutable adversaire afin de permettre à l’ex-numéro deux du Pds, Idrissa Seck d’aller en roue libre à la conquête de la mairie de Thiès. D’autant que, arrêté à la veille des législatives d’avril 2001, l’ancien boss des chemins de fer ne sera élargi qu’au lendemain des élections locales de mai 2002. Après que l’ancien second de Wade eut tout le loisir de faire basculer la cité du rail dans l’escarcelle du Pds.

Quant aux politiques, ce sont des accusations beaucoup moins corsées, parfois même fantaisistes, qui leur auront valu un séjour en prison. Après que Mahmout Saleh eut ouvert le bal pour « outrage à un garde pénitentiaire », Abdourahim Agne pour «appel à la sédition», Yankhoba Diattara pour «troubles à l’ordre public et voie de fait», et plus récemment Ibrahima Sène pour « diffusion de fausses nouvelles » et Jean Paul Dias pour «offense au chef de l’État» ont tous fait l’objet de mandat de dépôt après leur passage devant le juge.         

La détention du maire de Bambey, Pape Diouf, pour arbitraire qu’elle soit, n’aura donc surpris que ceux qui croyaient encore à une justice impartiale et éloignée des contingences politiques. Car, à vrai dire, rien dans les actes commis par l’édile de Bambey dans l’exercice de ses fonctions et dans le cadre de sa circonscription ne le prédestinait à se voir jeter en prison. Le procureur de Diourbel en a pourtant décidé autrement à la faveur d’un mandat de dépôt, s’immisçant ainsi maladroitement dans le conflit politique qui oppose visiblement le pro-Idrissa Seck au ministre de l’Urbanisme Assane Diagne, auteur de la plainte déposée pour voie de fait et qui avait auparavant juré de le faire emprisonner. Voilà donc autant de faits qui fondent même certains acteurs de la justice à douter de son impartialité.

 

De la prééminence du juge

« Il y a une tendance à un usage abusif du mandat de dépôt », déplore ainsi un avocat. Une situation d’autant plus alarmante qu’elle viole l’esprit et la lettre de la loi pénale. Car, précise notre source, « il y a un principe général du droit selon lequel la liberté doit être le principe et la détention, l’exception ». Certes, l’article 63 du code de procédure pénale permet au juge « après avoir recueilli les déclarations de la personne conduite devant lui et le cas échéant les déclarations de son avocat de la mettre sous mandat de dépôt motivée ». Mais faudrait-il que ce juge à qui il incombe de disposer de la liberté de toute personne puisse agir en toute indépendance et décider dans son intime conviction de son sort. Ce qui, hélas, n’est toujours pas le cas. Pis, la conscience qu’a le juge qu’il peut décider du sort des justiciables comme bon lui semble sans encourir le moindre risque est la porte ouverte à toutes les dérives. « Le problème au Sénégal, c’est que la justice est rendue impunément en ce que le magistrat n’est passible d’aucune poursuite  », précise un avocat.

Or en France, c’est justement pour éviter certains abus dans l’administration de la justice que des prévenus victimes d’un fonctionnement défectueux de la justice ont la possibilité de se faire indemniser lorsque l’abus est avéré. C’est tout le contraire au Sénégal où « le principe de l’irresponsabilité du parquet » est même consacré par le code pénal. Mieux ou pis, chef des poursuites en matière pénale, c’est le parquet qui détermine la procédure à imprimer à toute affaire. Or, recevant ses instructions du ministère de la Justice, l’on peut comprendre aisément qu’il soit toujours enclin à aller dans le sens souhaité par le pouvoir ou ses suppôts.

En tout cas, sauf dans les cas de détournement de deniers publics ou de délits tombant sous le coup du fameux article 80 relatif au trouble à l’ordre public où le mandat de dépôt est obligatoire, c’est à la seule conscience du magistrat instructeur de juger de l’opportunité ou non de placer un prévenu en détention. Ainsi, dans la fameuse affaire dite des « faux bons à enlever » qui a vu plusieurs douaniers séjourner longtemps en prison avant d’être finalement relaxés, le magistrat instructeur n’avait pas obligation de les mettre en détention. N’empêche, malgré tout le préjudice subi, il n’est pas permis à Mbaye Diouf Dia, ex-patron de la brigade du Môle 8 d’exercer aucune poursuite, ni même de se faire indemniser, par l’institution judiciaire. Et c’est là que gît réellement le danger qui guette tous les justiciables sénégalais. Avec des juges qui, sans encourir le moindre risque, peuvent disposer de la liberté de qui ils veulent sans que même, en cas d’abus avéré, cela ne puisse tirer aucunement en conséquence. Ainsi, à défaut d’ôter au juge son pouvoir prééminent, devrait-on au moins, comme c’est le cas en France, songer à instituer « le juge de la liberté ». Puisqu’il s’agit là d’une disposition permettant, une fois que la personne est déférée devant le juge d’instruction, la tenue d’une audience pour décider dans le cadre d’un débat contradictoire entre la partie civile et la défense si elle doit être ou non placée sous mandat de dépôt. N’est-ce pas donc que la liberté d’une personne est tellement fondamentale qu’on ne doit point badiner avec. À moins qu’on ne veuille nous mettre tous en sursis. Ad vitam eternam.



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