S’il est vrai que le processus de décomposition/recomposition rythme la vie de tous les partis politiques sénégalais, comment expliquer le fait qu’aucun des fils exilés ou révoltés de Wade n’ait jamais réussi à avoir une existence autonome pérenne là où, des flancs du Pai originel, sont nés quand même l’essentiel des partis qui constituent la ‘Gauche’ actuelle ? Il faut noter qu’à la différence des partis d’inspiration marxiste, le Pds, bien que se réclamant du libéralisme, a cette spécificité d’être pensé, conçu, modelé, financé et façonné par un seul homme. Au contraire des partis marxistes, Wade a édifié un parti en le fortifiant sur la base du charisme et du mythe d’esprit encyclopédiste de son fondateur.
Les militants marxistes se retrouvaient dans des partis ou se séparaient en fonction du repère idéologique : la seule constante ici était la ligne idéologique du parti ; de sorte que les motifs de séparation étaient plus idéologiques que personnels. Dans le parti de Wade au contraire, la seule constante, le seul repère, le seul motif d’adhésion ou de départ, c’était Wade lui-même. Bref, le Pds est, qu’on le veuille ou non, né de la volonté de Wade et a été façonné à l’image de ce dernier : les raisons qui ont rallié les militants au Pds sont plus d’ordre émotionnel (l’enthousiasme et l’admiration que suscite son leader) que rationnel et idéologique.
La tradition marxiste sénégalaise a ceci de particulier qu’elle développe une pathologie politique qu’on pourrait appeler une ‘démocratie aristocratique’ : les instances dirigeantes de ces partis fonctionnent avec une certaine démocratie, dont est malheureusement exclu le peuple. Les élites pensantes de ces partis élaborent démocratiquement leurs stratégies, mais celles-ci sont ‘imposées’ aux masses toujours destinées à consommer et à entériner les belles et bonnes décisions des chefs qui ont une sorte de sagesse infaillible. Ce n’est peut-être pas la seule explication de la fécondité mortelle du Pai originel, mais le fait qu’un tel parti ait permis la naissance de plusieurs autres partis viables à voir avec leur structuration qui permettait au moins une contestation du leader.
Il ne faut pas croire que tous ceux qui sont morts pour les idées marxistes savaient les théoriser ; peut-être même qu’ils n’en comprenaient pas grand-chose. Il ne faut pas croire que tous les martyrs qui ont accompagné l’odyssée des Prophètes et des Saints étaient mus par des raisons d’ordre idéologique ou rationnel. Il y en a, parmi nous, qui luttent et meurent pour des idées et il y en a qui agissent et sacrifient leur vie pour le triomphe de leur idole.
S’il fallait faire une classification des militants des différents partis politiques au Sénégal, on se rendrait compte que la majorité est constituée de gens qui militent en fonction des hommes et non en fonction des idées et programmes. Idrissa Seck a sorti un concept lourd de significations inconscientes en parlant d’’actionnaire majoritaire’ dans le Pds. Dans l’univers intellectuel et politique des libéraux, un tel concept est banal, mais dès qu’on ramène ce concept dans le contexte actuel, une lumière nouvelle se profile à l’horizon dans l’intelligibilité du paysage politique actuel. En amont et en aval de leur départ, ils ont des actions et des passifs en fonction desquels leur place et leur réintégration dans le Pds se feront.
Le grand historien Thucydide a dit avec beaucoup de profondeur qu’il ‘est dans la nature de l'homme d'opprimer ceux qui cèdent et de respecter ceux qui résistent’. C’est là un précepte qui ne manque pas de guider la facilité avec laquelle Wade retrouve ses fils qu’il avait auparavant reniés : les fils égarés ne retournent pas nécessairement comme ils étaient partis, car leur expérience et leur fortune politique hors de l’univers de Wade sont aussi des ’actions’ dans la grande ‘firme’ politique dirigée par Wade. L’exemple de Modou Diagne Fada est symptomatique de cet état d’esprit. Serigne Diop, Me Doudou Ndoye, Ousmane Ngom, Jean-Paul Dias, Idrissa Seck et récemment Macky Sall, n’ont pas fréquenté le Pds de la même façon ni pour les mêmes raisons : ils n’ont pas non plus quitté le Pds de la même façon ni dans les mêmes contextes. Ils ne le rejoindront jamais aussi de la même façon et suivant le même profil.
C’est vrai que tous sont partis sur la base d’une rupture de confiance avec Wade, mais les raisons de cette rupture qui a motivé leur départ sont parfois très différentes. Dans l’histoire du Pds, c’est la même logique qui a prévalu : la ‘maison du père’ a été toujours ou le plus souvent brûlée et abandonnée par des ambitions devenues fondamentalement incompatibles avec la personnalité et l’ambition politiques de Wade. Le fait qu’aucun des ‘fils’ de Wade n’ait jamais réussi à constituer un parti électoralement compétitif et durable n’est quand même pas fortuit : c’est là une espèce de sentence qui a soldé un conflit, dont les motifs ont été pour la plupart liés à des ambitions personnelles. Wade lui-même aime raconter une anecdote simple, mais pertinente pour expliquer l’impossibilité fatale dans laquelle se trouvent ses ‘fils’ de la battre politiquement. C’est l’histoire d’un vieux champion de lutte qui avait formé un jeune lutteur en lui inculquant toutes sortes de prises techniques toujours fatales à ses adversaires. Nanti de toutes ces prouesses techniques que leur maître lui a inculquées, le jeune champion a vite fait le vide autour de lui, en battant tous ses alter ego. Et comme il n’avait plus d’adversaires, il revint vers le maître pour le défier, mais malheureusement, ce dernier le défit vite par une prise qu’il ne lui avait jamais apprise.
Ainsi, lorsqu’il fit observer au maître qu’il avait oublié de lui apprendre cette prise, ce dernier lui répondit qu’il s’est abstenu de lui inculquer cette dernière prise, justement parce qu’il savait que, tôt ou tard, son poulain finirait un jour par le défier : il avait jalousement gardé cette prise secrète par prudence. Ousmane Ngom, Idrissa Seck, et récemment Jean-Paul Dias etc., n’ont jamais réussi à inquiéter véritablement Wade parce qu’ils n’avaient d’autre inspiration que le wadisme lui-même. Ousmane Ngom l’a implicitement reconnu dans la mesure où il a avoué après sa rupture avec Wade que s’il était un produit manufacturé, on aurait pu inscrire sur lui l’étiquette ‘made in Wade’.
Les anecdotes révèlent toujours des vérités profondes derrière leur trivialité et, sous ce rapport, l’anecdote du vieux champion et son poulain nous donne davantage d’éclairage sur la manière typiquement africaine, dont Wade façonne ses poulains. Les retours actuels dans les rangs du Pds de Serigne Diop, Doudou Ndoye, Massokhna Kane, Ousmane Ngom, Idrissa Seck et bientôt Jean-Paul Dias ne témoignent pas seulement d’une victoire politique qui absout définitivement Wade, c’est également le témoignage de sa capacité à forger un destin à chacun de ses fils même si c’est dans la douleur et dans le déchirement. Sénèque a vu juste en affirmant : ‘La plus belle œuvre, c'est de sauver même ceux qui ne le désirent pas, malgré eux.’
Pape Sadio THIAM Journaliste
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