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Politique

Mamadou DIOUF (Professeur au Michigan University) : ‘Ce serait tragique pour les Sénégalais si leur choix se limite à WADE et IDY

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Mamadou DIOUF (Professeur au Michigan University) : ‘Ce serait tragique pour les Sénégalais si leur choix se limite à WADE et IDY

A quelques mois des élections législatives et présidentielle programmées le 25 février prochain, l'historien sénégalais du Michigan University pose un regard critique sur son pays en analysant la situation socio-politique. Mamadou Diouf affirme que l'alternance n'a pas tenu ses promesses. Concernant la gestion du pays de 2000 à nos jours, il renvoie dos à dos Wade et Idrissa Seck. Pour le Pr Diouf, les dérives qui caractérisent l’espace public sénégalais trouvent leurs fondements dans les propres contradictions de la société sénégalaise. Pour sortir de cette situation, il propose une refondation morale.

Walfadjri : Quelle appréciation faites-vous de l'évolution des institutions de l'Etat après l'avènement de l'alternance ?

Mamadou Diouf : Je pense qu’un large consensus peut se dégager sur le constat suivant : les institutions de l’Etat ont été malmenées après l’avènement de l’alternance, autant à cause de l’amateurisme de ceux qui ont pris l’appareil d’Etat (l’administration et les sociétés publiques et parapubliques), mais aussi pour des raisons politiques et de construction d’une clientèle au service des appareils des nouveaux leaders. Guidé beaucoup plus par des logiques mercenaires qui se déclinent par la récompense ou la punition, le pouvoir de l’alternance n’a pas respecté sa promesse de récompenser la compétence et de punir l’incompétence et la corruption. Cette démarche a eu une conséquence désastreuse sur l’appareil administratif, en particulier en favorisant l’introduction de non fonctionnaires dans le système, bouleversant et la hiérarchie administrative et celle des salaires. A la sur-administration de l’économie et de la société sénégalaise qui a caractérisé l’époque du Parti socialiste s’est substitué un dédoublement des structures administratives par des structures formelles (agences) ou informelles qui, progressivement, récupèrent les fonctions, missions et responsabilités de l’Etat sans être comptables devant les institutions représentatives et les organismes publiques de contrôle.

Walfadjri : Quelle lecture faites-vous de l'état du processus démocratique et des libertés fondamentales ?

Mamadou Diouf : Dans la situation actuelle, nul ne peut douter que le processus démocratique et les libertés fondamentales sont, eux aussi, dans une situation assez délicate. Certains acquis des luttes menées au cours des années 80 (dans lesquelles Wade et le Pds ont joué un rôle non négligeable et parfois assuré le leadership) sont remis en cause pour des raisons plutôt opportunistes que pour la recherche de l’établissement d’un pouvoir autoritaire fort. Et c’est cela qui explique la danse effrénée des mesures prises et abrogées d’une semaine à l’autre. On assiste à une instabilité institutionnelle quasi permanente. Une telle situation empêche la mise en place d’une règle qui s’applique à tout le monde, une charte fondamentale qui ne peut être l’objet de multiples lectures et de manipulations. Elle masque en même temps l’importance de certains acquis de l’alternance, en termes de libertés d’associations, de manifestations et d’expressions.

Walfadjri : A quelques mois des élections, les divergences se font encore jour sur certaines questions essentielles relatives au fichier électoral, au cautionnement des partis politiques, etc. Pensez-vous que ce soit le meilleur tableau pour aller vers des élections normales et régulières ?

Mamadou Diouf : Il est évident que les conditions ne sont pas réunies pour des élections transparentes et crédibles, pour des raisons matérielles, logistiques et institutionnelles. On n’est pas loin de revenir à la période du contentieux électoral qui a dominé les années 80 et 90 autour du fichier électoral, de la carte d’électeur et l’administration des élections. On connaît malheureusement les conséquences de telles situations. Il est urgent pour les acteurs politiques, l’Etat et la société civile de se retrouver autour d’une table, chacun dans son rôle et jouant sa partition, pour créer les conditions d’élections normales et transparentes comme en 2000 pour éviter les contestations et la violence.

Walfadjri : Le cautionnement a été justement porté à un niveau record (40 millions pour les législatives et la présidentielle). Est-ce un critère pour renforcer la démocratie au Sénégal ?

Mamadou Diouf : La question du cautionnement est une décision administrative qui relève plutôt de l’autorité de l’Etat et des assemblées représentatives, même si l’on peut déplorer l’absence de concertation entre toutes les parties concernées. Personnellement, je pense qu’un cautionnement aussi élevé pourrait permettre de faire le tri relativement à la multiplication des candidatures. Limiter le nombre des candidatures à celles qui sont les plus représentatives, tout en renforçant le débat public au cours de la campagne électorale, participe du renforcement et de la crédibilisation de la démocratie sénégalaise.

Walfadjri : Le retour sur la scène politique intérieure de l'ex-Premier ministre Idrissa Seck semble être en ce moment plus médiatique que programmatique. Quelle appréciation en faites-vous ?

Mamadou Diouf : Ce serait la plus tragique des situations si le choix des Sénégalais se limitait au président Wade et à son ex-dauphin putatif, Idrissa Seck. Ce dernier est autant responsable de la tournure prise par l’alternance que son ancien mentor. N’a-t-il pas joué un rôle dans l’explosion de l’alliance qui a conduit la coalition du Sopi au pouvoir ? N’a-t-il pas joué un rôle dans le choix des leaders, des fonctionnaires et des politiques qui ont pris en charge le pouvoir de mai 2000 à son départ de la Primature ? Il faut espérer que d’autres voix et d’autres candidatures émergent pour ouvrir un vrai débat démocratique sur le rôle des uns et des autres au cours du premier mandat du président Wade. Ce débat est indispensable si l’on ne veut pas que les mêmes erreurs se répètent. On ne peut pas donner un chèque en blanc à un président de la République, surtout lorsqu’il se prend pour l’homme providentiel. La leçon a été déjà administrée par Wade ; elle ne doit pas être répétée, y compris par Wade. Tout élu doit être comptable devant ses mandants. Et ceux-ci doivent s’assurer, par un contrôle vigilant, de la validité et légitimité des actes et décisions de leurs mandataires.

Walfadjri : On reproche souvent à la classe politique de ne pas s'occuper des problèmes quotidiens des Sénégalais qui font face à la hausse des prix, au délestage, au réchauffement du front social. Cela traduit-il la faillite des hommes politiques incapables de se redéfinir par rapport à un nouveau discours ?

Mamadou Diouf : On ne peut pas blâmer exclusivement la classe politique des dérives qui caractérisent l’espace public sénégalais. Ils ne font que prendre avantage de la liberté qui leur est laissée par les sénégalais. La société sénégalaise est aujourd’hui malade de ses propres contradictions. Elle accepte l’inacceptable et paraît avoir fait sauter les limites de la moralité et de la décence. L’argent et les honneurs ont pris le pas sur toute autre considération. Tout s’achète et tout se négocie et sur la place publique. On n’a même plus la décence de se soustraire au regard parce que, nulle part, la sanction administrative, sociale, pénale, religieuse n’existe. Le Sénégal a plus besoin d’une refondation morale, d’une reconstruction des idées de bien commun, de bien public, de sanction positive ou négative que d’une réforme politique ou de nouveaux discours. Les institutions sont là, mais les mentalités, les attentes et les discours ne suivent pas. Le préalable de la refondation morale est plus que jamais une exigence pour que la transhumance politique devienne impossible en même que la responsabilité et le pouvoir des leaders soient validés à la fin de chaque exercice, par le débat démocratique lors des élections et les audits.

Walfadjri : Comment appréciez-vous les actions posées par la société civile ? Sont-elles suffisamment fortes pour susciter une plus grande adhésion des masses ?

Mamadou Diouf : Je ne crois pas à une société civile qui agit et se positionne comme les partis politiques. Je crois à la communauté d’une société tout entière se fixant les règles de son propre fonctionnement pour agir sur sa classe politique. La refondation morale de la société sénégalaise qui est l’exigence de l’heure, ne peut pas être l’œuvre de la société civile qui ne me paraît pas plus représentative que la société politique sénégalaise. Qui constitue aujourd’hui la société civile sénégalaise demeure la question à trancher



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