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Politique

MAMADOU NDOYE, ANCIEN MINISTRE ET MEMBRE DU COMITE CENTRAL DE LA LIGUE DEMOCRATIQUE : « Pour Wade quand on a l’argent et l’armée on gagne les élections »

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MAMADOU NDOYE, ANCIEN MINISTRE ET MEMBRE DU COMITE CENTRAL DE LA LIGUE DEMOCRATIQUE : « Pour Wade quand on a l’argent et l’armée on gagne les élections »

Sénégalais de la diaspora et membre du comité central de la Ligue démocratique (Ld), Mamadou Ndoye ancien ministre de l’éducation de Base, ne semble pas du tout optimiste quand à l’avenir du pays en cette veille d’élections législatives et présidentielle couplées.
De son point de vue, « l’avenir est très obscurci », s’il en juge, dit-il, par les échos qu’il reçoit de la presse sénégalaise et de quelques compatriotes de passage à Paris.
Son sentiment est que « Le Sénégal vit une des pages les plus noires de son histoire ». Il l’explique par plusieurs constats : « les bases de l’économie sont en train de s’effondrer, la démocratie est malmenée, les jeunes, au péril de leur vie, sont en train de fuir le pays… ». Plus grave encore, selon lui, le Président Wade nous a déjà préparé à accepter une issue des élections qui lui est, à tout prix favorable, quand il a déclaré au Togo « Pourquoi Faure Gnassimbé se pressait-il. A l’adresse de ce dernier, il disait « Vous avez l’armée, vous avez l’argent c’est sûr que vous allez gagner les élections ». Par conséquent, selon Mamadou Ndoye qui se confie à Sudquotidien, en marge des travaux de l’Atelier sous-régional du Réseau pour l’éducation pour tous en Afrique (REPTA), tenu à Ougadougou les 28, 29 et 30 novembre dernier, « c’est sûr que Wade n’est pas prêt à perdre les élections par les urnes ».

En tant que sénégalais de la diaspora et membre du comité central de la Ligue démocratique, parti acteur de l’alternance, en mars 2000, qu’elle lecture faites-vous du climat politique qui prévaut au pays à trois mois des échéances électorales ?

D’après les échos que je reçois par l’intermédiaire de la presse sénégalaise et des personnes de passage à Paris, mon sentiment est que nous vivons les périodes les plus noires de l’histoire politique de notre pays. Les preuves sont là tangibles. Les bases de l’économie nationales sont en train de s’effondrer :
1/ La quasi faillite des industries phares du Sénégal ;
2/ Les campagnes agricoles désastreuses et successives accumulées pendant cette période dite de l’alternance ;
3/ Les secteurs qui étaient considérés comme sources principales de l’économie du pays sont en déclin. Nous n’arrivons plus à retrouver les 400.000 touristes par an, parce que simplement un président qui sait tout, tout seul, s’est levé un beau jour pour dire que le tourisme n’est plus important pour le pays.
4/ La pêche qui était un secteur florissant est en grande difficulté.
Sans compter évidemment le déficit chronique d’énergie qui pénalise les ménages et tous les secteurs de l’économie et qui, parfois même nous créé des problèmes de santé. J’ai entendu un ministre déclarer que le choléra à Touba, c’est à cause des problèmes d’eau rencontrés dans la zone et qui sont dus aux pannes d’électricité. Je pense que les Sénégalais sentent dans leur chair toutes les souffrances quotidiennes en ville et à l’intérieur du pays. La circulation à Dakar est bloquée. Les gens arrivent péniblement à rallier leurs lieux de travail.
A cela s’ajoutent les régressions dans la construction démocratique de notre pays qui a été terriblement malmenée.
Les libertés fondamentales, -- de presse, d’opinion, de manifestation -- sont aujourd’hui remises en cause à travers une criminalisation et l’institution pratiquement d’une police politique qui harcèle les journalistes, les hommes politiques, les syndicalistes, les chefs d’entreprises et les simples citoyens qui osent dire ce qu’ils pensent pour témoigner de ce qu’ils vivent.
A cela il faut ajouter les manipulations pré-électorales. La régularité et la transparence du scrutin -- qui permettent au peuple de choisir librement ses dirigeants -- ont été perverties par des pratiques anti-démocratiques. La volonté de contourner le nécessaire consensus entre les acteurs sur les règles du jeu est là très manifeste à travers les passages en force.
Pour la première fois de notre histoire, un président de la République a osé reporter la date des élections législatives et prolonger le mandat des députés en violation flagrante de la Constitution et du calendrier électoral républicain. En décidant de joindre les deux élections législatives et présidentielles, il a ajusté le calendrier républicain en fonction de ses calculs politiciens.
Aujourd’hui, malgré la demande insistante, l’opposition n’a toujours accès au fichier électoral et de nombreux citoyens n’arrivent pas à retirer leurs cartes électorales alors même qu’il y a des distributions clandestines dénoncées dans la presse. Tout cela pour dire que l’horizon du Sénégal est très obscurci. C’est pourquoi les Sénégalais ou les amis du Sénégal, disons la plupart, expriment une profonde inquiétude en ce qui concerne l’avenir du pays.
Quand on observe ce qui s’est passé avec ces jeunes qui défient l’Océan au péril de leur vie pour fuir leur pays, ce n’est plus l’expression d’une inquiétude mais c’est un cri de désespoir. Malheureusement, soit par incapacité, soit par manque de sensibilité et de valeurs simplement humaines le leadership de ce pays semble être sourd à toutes ces manifestations d’angoisse et de désespoir. Pire, il parle tranquillement de pays émergent lorsque celui-ci sombre. Il parle de mobilité urbaine quand tout est bloqué à Dakar. Il parle de minorité de jeunes émigrants quand on sait que c’est 90% au moins des jeunes qui seraient partis s’ils en avaient les moyens. Voilà le Sénégal tel qu’il est, voici le Sénégal tel que le présente le pouvoir de Wade mais évidemment le peuple et le pouvoir ne semblent pas vivre le même Sénégal.

La situation du pays n’est certainement pas si aisée mais ne pensez-vous que le Président, avec ses nombreuses relations à travers le monde, peut toujours trouver des financements qui pourraient l’aider à dépasser cette phase difficile ?

Moi comme les autres sénégalais, nous gardons toujours à l’esprit ce que disait Wade au lendemain de son accession au pouvoir. Il disait qu’il ne fallait pas compter sur l’aide publique au développement. Que le Sénégal ne devait plus compter sur l’aide des bailleurs. Mais par ironie du sort, aujourd’hui que ça sent du vinaigre dans l’économie, il ne compte plus que sur les partenaires étrangers. Et c’est au moment même où ces derniers semblent plus ou moins se retenir en attendant d’avoir une idée sur ce que demain sera fait dans notre pays.

Dans votre réquisitoire contre le Président Wade, vous semblez l’accuser de privilégier la politique sur le droit. Que voulez-vous insinuer par là ?

Ce que je dis, tout le monde au Sénégal en est témoin. Car sans vouloir innocenter Idrissa Seck, je pense que la politique a pris le dessus sur le droit dans le conflit qui les oppose. Sinon pourquoi n’avoir laissé les procédures judiciaires suivre leur cours jusqu’au bout au lieu de recourir à des négociations pour l’aboutissement de l’affaire des chantiers de Thiès. D’ailleurs la religion que je me suis faite avec cette affaire c’est que le pouvoir exécutif ne respecte plus l’indépendance de la justice de notre pays. Et qu’on ne respecte plus les droits élémentaires des citoyens y compris le droit de disposer du passeport ordinaire du pays. D’ailleurs, à propos de passeport, l’incurie du gouvernement est à ce point qu’il n’arrive même plus à les renouveler pour nos compatriotes qui se trouvent à l’extérieur du pays. De ce fait, certains se trouvent aujourd’hui en situation irrégulière dans les pays de résidence.

A trois mois des élections législatives et présidentielles couplées, êtes-vous alors optimiste que la démocratie sénégalaise pourra s’en sortir grandie, comme au lendemain du 19 mars 2000 ?

Si je m’en tiens au comportement que nous avons observé de la part du pouvoir politique, c’est-à-dire le recours au harcèlement policier, les agressions physiques contre les leaders politiques, le passage en force sur les questions électorales légitimes, les privilèges octroyés aux forces de répression, à l’encadrement territorial et aux magistrats. Et si je m’en tiens aussi par analogie à la déclaration faite par le chef de l’Etat au moment du conflit togolais sur la succession s’interrogeant : « Pourquoi Faure GNASSIMBE, le fils de feu EYADEMA se presse-t-il ? ». Et sa réponse affirmant que de toute façon, il gagnera les élections puisqu’il a l’argent et l’armée. Donc j’en conclus que pour Wade c’est l’argent et l’armée qui font gagner les élections. A cet égard, je ne peux m’attendre que ce pouvoir accepte d’organiser des élections qu’il peut perdre. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne va pas perdre les prochaines élections. Car dans l’histoire, il y a eu beaucoup de cas de régimes qui n’acceptaient de perdre par les urnes mais qui finalement l’ont accepté même si le coût a été très élevé pour leurs peuples.

Si le Président Wade et son parti, le Pds, ne semblent pas vous inspirer confiance, pourquoi alors, l’opposition que vous formiez ensemble en 2000 (entendez la formation politique à la quelle vous appartenez), avait accepté consensuellement d’ailleurs, de l’avoir propulsé au devant de la scène?

Il y a quelque chose qu’il ne faut pas regretter. Je ne partage pas le point de vue selon lequel il ne fallait pas l’alternance. Nous avons vécu 40 ans avec le même régime qui avait épuisé son potentiel d’engagement et de générosité pour la cause du peuple. Il fallait créer un nouvel enthousiasme, un nouvel espoir et un nouvel engagement social. Vu sous cet angle, je pense donc c’est une bonne chose que d’avoir fait l’alternance.
Au moment où nous le faisions nous n’avions pas d’autre choix que Wade. La seule chose que je regrette cependant c’est que les forces de gauche qui ont soutenu Wade n’aient pas eu une plate-forme commune pour peser suffisamment sur le cours politique. Il y a eu un fractionnement qui les a affaiblies ce qui a permis à Wade de les éliminer l’une après l’autre. Ainsi le programme commun qu’il avait accepté, il l’a finalement mis à la poubelle.

Justement, on a comme l’impression que le même Président Wade qui avait réussi à imposer son rythme à l’opposition après le 19 mars 2000 a réussi aujourd’hui encore, suite à son appel lancé le jour de la Korité, après la prière à la mosquée Gouye-Mouride, à engranger des points en élargissant son gouvernement à d’autres formations politiques, à quelques encablures du scrutin de février 2007 ?

Je ne sais vraiment pas quelle est la motivation de cet appel, mais il paraît curieux qu’un président appelle à un gouvernement d’union nationale juste à trois mois de la tenue d’élections législatives et présidentielle. Certainement il a voulu diviser ses adversaires. Ainsi, il a sans aucun doute engrangé des points car en matière politique, il ne faut négliger aucune force.
Toutefois même s’il arrive à gagner quelques points, je pense qu’il complique la donne au niveau interne. Dans son camp, y compris son propre parti, il y a des conflits internes, en s’ajoutant les forces d’appoint il les exacerbe. C’est le partage du gâteau qui est à l’origine des problèmes et plus il y a de candidats en partage, plus la tâche se complique. Beaucoup de gens de son parti voient en effet d’un mauvais œil les nouveaux venus. Il y a donc comme un mouvement pour rejeter tous ces nouveaux arrivants. Je veux dire que je ne suis pas sûr que cette addition arithmétique lui soit vraiment favorable, parce qu’elle affaiblit l’unité de son camp.
L’enjeu réel des élections n’est pas dans ces manœuvres. Wade est suffisamment rusé pour calculer que ces forces lui serviront surtout à améliorer une image pour justifier des résultats électoraux injustifiables.

Quid de la candidature unique de l’opposition ? Quels peuvent être ses avantages ?

La candidature unique de l’opposition est une option politique que tous ceux qui militent pour le changement souhaitaient. Si les élections législatives et présidentielles étaient organisées selon le calendrier initial, la séparation des deux scrutins aurait pu rendre compréhensible des candidatures multiples dans la logique d’engranger le plus de voix possibles pour l’opposition afin d’imposer un 2ème tour victorieux. Mais le projet de présenter une liste unique aux législatives serait contradictoire avec les candidatures plurielles aux présidentielles alors que les élections se passent le même jour. Mener en même temps pour les mêmes partis de la CPA une campagne et des meetings unitaires d’un côté, une campagne et des meetings concurrentiels de l’autre côté, est difficilement compréhensible. Il existe un risque sérieux de brouiller l’esprit de l’électeur et de semer la confusion dans l’opinion.

Qu’est-ce qui peut se passer avec le scrutin en vue ?

Si les élections se déroulent normalement, si la CPA présente une liste unique aux législatives et un candidat unique aux présidentielles, l’opposition doit sortir victorieuse du scrutin. Dans le cas contraire, avec l’éclatement des voix et avec le scrutin départemental et majoritaire, le pouvoir permet de remporter la plupart des départements grâce à une majorité.
Pour la présidentielle, la question se pose dans les mêmes termes. Réunis autour d’un candidat unique, la moindre performance pour la CPA serait d’aller au 2ème tour avec Wade. S’il y a des candidatures multiples, nous ne savons pas ce qui va se passer d’autant que jusqu’ici Wade n’est pas clair sur les réformes qu’il veut entreprendre sur le scrutin.
On ne sait toujours pas si après la suppression du quart bloquant, il ne va pas également faire sauter le 2ème tour. Dans ce cas, ce sera la majorité relative qui risque encore de prévaloir. Au-delà des intérêts partisans et des ambitions personnelles par ailleurs fort légitimes, la responsabilité de l’opposition devrait se mesurer à la priorité qu’il accorde à la délivrance du pays. La réélection du pouvoir actuel doit être évitée à tout prix, quitte à sacrifier les intérêts partisans.

Propos recueillis par Mamadou Mika LOM
(Envoyé Spécial à Ouagadougou)

Les exergues :
1-« L’avenir du pays est obscurci »

2-« Le pouvoir exécutif ne respecte
pas l’indépendance de la justice »

4- « En élargissant son gouvernement
Wade gagne des points, mais il complique
la donne »

5-« Pour Wade quand on a l’argent et l’armée
on gagne les élections »

3« Quand nous faisions l’alternance
on avait pas d’autres choix que Wade »



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