Maodo à Blaise Diagne : ’’ le pouvoir, on ne l’exerce pas seul, on ne s’en donne pas tous les droits et on ne le connaît pas seul ’’

Dakar, 6 mars (APS) – Autant fut pleine de subtilités l’audience avec le Gouverneur de Saint-Louis, autant la rencontre entre Blaise Diagne venu solliciter auprès de El Hadj Malick Sy des conseils en tant que politicien désireux de faire une percée fut une mémorable joute oratoire à l’issue de laquelle le saint homme édicta à son vis-à-vis des règles dignes du lexique du vrai démocrate.

Le dialogue reconstitué d’après les révélations de Souleymane Paye ’’Billy’’, président de la dahira Moutahabina Filahi de la Patte d’Oie, donne à peu prés ceci :

 Blaise Diagne : Je suis un politicien qui convoite un pouvoir et je viens vous demander conseil comme Faidherbe l’avait fait auprès de Cheikh Sidya.
 Maodo : Vous me parlez d’un tête à tête entre deux hommes à la peau claire, or moi je suis noir
 Blaise Diagne : Quand vous ramassez un diamant enrobé dans un tissu noir, qu’est-ce que vous dites ?
 Maodo : J’ai un diamant
 Blaise Diagne : Hé bien, c’est la même chose avec vous. Un métal précieux est en vous. Conseillez-moi
 Maodo : Le politicien qui n’a pas de pouvoir agit toujours dans le sens souhaité par les populations, mais dés qu’il en dispose il s’en sert pour sévir. Le pouvoir a perdu beaucoup de politiciens. Cela dit retenez ceci : ne connaîs pas le pouvoir tout seul (boul ko kham yaw rek), ne t’en donne pas tous les droits (boul ko sagne yow rek), ne l’exerce pas tout seul (boul ko dieufé yow rek).

El Hadj Malick Sy, explique M. Paye, a posé à l’occasion trois grands principes démocratiques liés à la bonne gouvernance, la démocratisation des institutions et la décentralisation. En effet, quand Maodo s’érige contre la connaissance exclusive du pouvoir il entend par là l’association des populations à la manière de gouverner en leur évitant l’obscurantisme, de même lorsqu’il lance qu’il ne faut pas s’en donner tous les droits il introduit la notion de contre pouvoirs et leur indépendance.

Enfin, il se prononce pour la décentralisation, quand il met en garde contre l‘exercice solitaire du pouvoir.

Commentaire de Souleymane Paye : ’’de nos jours, ce sont là les principaux critères d’éligibilité imposés aux Etats surtout ceux en voie de développement pour avoir accès aux concours du FMI et de la Banque mondiale. Il a fallu 122 ans après la disparition de Maodo pour que les institutions de Bretton Woods arrivent à une telle trouvaille’’.

Pour M. Paye, la faute relève de ‘’nos hommes politiques qui ont le complexe de s’inspirer d’un enseignement pareil lequel est de chez nous et puise donc dans nos propres valeurs’’.

Au demeurant, la vision de El Hadj Malick ne saurait surprendre car outre l’enseignement la formation qui fondaient sa démarche, il aimait particulièrement les lettres —d’où les livres rares meublant sa bibliothèque— et s’était rendu dans beaucoup de pays étrangers.

A ce propos, Souleymane Paye révèle que profitant de son voyage à la Mecque en 1888, Maodo est allé jusqu’en Russie et a au passage ouvert en Alexandrie le même séminaire que celui de Ndiarndé.

Pendant trois ans, il a fourni sur place en Egypte un encadrement de qualité orienté en direction de l’Europe et de l’Asie, ‘’mettant la main sur des Bulgares, des Albanais, des Roumains, des Tchétchènes et des Chinois’’, soutient M. Paye qui signale que des habitants de Bakou effectuent périodiquement une ziarra à la tombe d’un moukhadam de El Hadj Malick Sy.