WADE ACCEPTE DE DIALOGUER AVEC L’OPPOSITION - « En fait ce n’est pas un oui, c’est une ruse de plus », selon Latif Coulibaly

Après plusieurs mois de refus, le chef de l’Etat accepte le dialogue avec l’opposition, comment analysez-vous cela ?

Je ne crois pas que le président de la République accepte au fond ce que l’opposition avait demandé. L’opposition avait demandé au président de la République, en tant qu’institution et premier responsable du pays, de discuter des problèmes du pays de façon fondamentale. Elle avait demandé également au chef de l’Etat de considérer en fait un certain nombre de problèmes qui sont d’une gravité extrême pour notre pays. Sous ce rapport, le président de la République n’a absolument rien accepté. Je crois que s’il avait accepté la position de l’opposition, cela aurait été très bien de désigner tout de suite une délégation qui doit le représenter au niveau des Assises nationales. Ce qu’il n’a pas fait. Je pense que si l’opposition n’est pas dupe, et les Sénégalais ne le sont pas du tout, le président de la République ruse. Je pense que le meilleur cadre aujourd’hui qui est défini pour dialoguer avec l’opposition, ce n’est pas un tête-à-tête au palais de la République, c’est plutôt de désigner immédiatement une délégation de haut niveau et de la faire représenter au niveau des Assises nationales.

Le fait pour Me Wade de dire « oui » ne serait que de la poudre aux yeux ?

Le président de la République n’a jamais considéré un instant qu’il y avait une opposition dans ce pays et qu’il serait prêt à dialoguer avec les forces consistantes de ce pays-là. Il s’est enfermé dans une tour d’ivoire, convaincu qu’il sait tout faire, qu’il fera tout et voilà. Personne n’est important dans ce pays sauf lui.

L’opposition peut-elle fermer les portes et refuser de répondre positivement ?

L’opposition n’a pas fermé les portes, au contraire, l’opposition est très ouverte et a dit : « j’organise des Assises nationales ». A moins d’y aller et de dire : « Monsieur le président, désignez la délégation qui se rendra aux Assises nationales ». Le président lui-même ne peut pas régler toutes les questions du pays à son niveau, parce qu’il a reçu l’opposition dans son bureau. Il faudrait que nous soyons beaucoup plus réalistes par rapport aux problèmes qui se posent dans ce pays-là. Je pense que le meilleur cadre que les gens auront eu pour dialoguer, c’est que le président de la République dise à l’opposition : « Banco, d’accord, je vous envoie une délégation aux Assises nationales », et la question serait vite réglée. Tout le reste, c’est de la diversion politique, comme ce pouvoir-là a toujours fait. Depuis 2000, rien n’est important, sauf ce que le président de la République a décidé que c’est important. Et, tout cela dépend des humeurs du moment, mais ça ne va pas plus loin que ça.

Je pense que c’est nous les journalistes, comme toujours d’ailleurs, qui sommes vraiment emballés par ce oui-là. Mais, en fait, ce n’est pas un oui, c’est une ruse de plus. Et le contexte s’y prête très bien d’ailleurs, parce que nous allons vers le sommet de l’Oci ; il y a tellement de problèmes, il y a tellement de craintes qu’il y ait des couacs et des problèmes au niveau de la représentation des chefs d’Etat, c’est la seule préoccupation du moment. Le président de la République n’a aucune préoccupation par rapport à ce que l’opposition demande, ni d’ailleurs par rapport à ce que la majorité des Sénégalais demande. Son seul problème, c’est de savoir comment faire en sorte que dans deux semaines, qu’il y ait une Oci réussie. Et là également, je pense que c’est toujours dans ce que j’appelle la politique de fuite en avant.

Pendant cinq ans, on nous a demandé d’organiser une conférence, nous n’avons pas été capables de le faire ; au bout de trois ans, nous avons demandé un report et aujourd’hui on prie dans les mosquées pour que la conférence réussisse. C’est comme si on dormait pendant cinq ans, qu’on se réveille et qu’on dise à Dieu « il faut faire en sorte que le travail que nous n’avions pas fait correctement, que vous le fassiez à notre place ». Vous pensez que Dieu est dans ces considérations-là ? Non, il faut être sérieux. De ce point de vue-là, je pense simplement qu’ils se sont rendu compte aujourd’hui que tout ce qui a été préparé a été un échec total par rapport à la volonté de son fils, à la volonté de son entourage de dire que « voilà, nous avons une conférence nickel ». Toutes les visites de chantiers entrent dans ce cadre-là. Et la ruse de plus qui est aujourd’hui brandie, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas de couacs. Même si l’opposition se réunit quelque part, les journalistes qui seront présents ici seront préoccupés par le sommet, certes, mais ils vont également se rendre pour écouter là où l’opposition va parler, ça c’est clair.

C’aurait été un formidable coup pour l’opposition de réussir à faire les Assises nationales pendant que le sommet de l’Oci se tient, c’est ça qu’on ne veut pas justement.

Que Amadou Makhtar Mbow, personnalité internationalement reconnu, préside le comité (pour les Assises nationale) n’est-il pas pour déplaire à Wade ?

Ce qui déplaît surtout au président de la République, ce n’est pas que Makhtar Mbow veuille accepter, parce que Makhtar Mbow, c’est une force personnalité. Le plus important, c’est que toutes les forces vives de la nation aient dit : « oui, nous sommes d’accord avec la proposition de l’opposition, que nous allons y participer ». On parle de Makhtar Mbow, certes, mais moi je suis remarquablement impressionné par le fait que la société civile, des gens de très grande valeur, ait accepté d’aller à cette conférence. Je pense à un ami personnel, Mohammed Mbodj (du Forum civil) qui accepte de coordonner et on ne devrait même pas parler des assises de l’opposition, on devrait parler des assises de la nation, parce que toutes les forces vives de la nation soutiennent - sauf le Parti démocratique sénégalais, au pouvoir - ces assises-là qui vont se tenir. Et c’est heureux qu’il en soit ainsi aujourd’hui.

C’est vrai, Makhtar Mbow, c’est un symbole assez fort, mais le plus fort ce n’est pas ça. Le plus fort, c’est que l’opposition ait réussi à convaincre toute la société civile quasiment et toute les organisations d’importance dans ce pays-là à se rendre au niveau des Assises nationales et de discuter ensemble des questions qui interpellent les Sénégalais et qui aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, qu’on le veuille ou non, posent de sérieux problèmes pour l’avenir du Sénégal.