ACCUSÉS DU MEURTRE D’UNE DOMESTIQUE A SACRÉ-CŒUR 3 : Le fils d’un cinéaste sénégalais et son oncle de «marabout» devant la Cour d’Assises

Quand le fils d’un célèbre cinéaste Sénégalais, accusé de meurtre, défie ouvertement son oncle impliqué dans la même affaire de dire la vérité, c’est la Cour d’Assises qui se substitue à la famille pour laver le linge sale. Hier, c’était le déballage entre Abdel Mohamed Touré, principal accusé dans l’affaire du meurtre de la domestique Astou Sèye, et son oncle El Hadji Ameth Hanne, un As du cambriolage, mais également maître coranique à Rebeuss. Le procès se poursuivra aujourd’hui samedi.

Les faits

3 janvier 2000. À Sacré-Cœur 3, une domestique du nom d’Astou Sèye surprend deux malfaiteurs qui avaient fini d’escalader le mur du domicile de son employeur. Pris au dépourvu alors qu’ils avaient fini de mettre la main sur des objets de valeur, les deux malfaiteurs ne se font pas prier pour étrangler la domestique avant de la traîner dans une chambre où le corps de la malheureuse est recouvert d’un drap avant d’être abandonné. Un crime qui, à l’époque, avait fait beaucoup de bruit du fait du vent d’insécurité qui avait fini par s’installer dans les Sicap. Les enquêteurs de la police de Dieuppeul, qui se sont déployés très vite sur les lieux, découvrent, à leur arrivée, le corps de la domestique étendu sur le lit d’une des chambres de la maison cambriolée, les pieds attachés avec des fils électriques, les mains liées par un tissu et bâillonnée par un foulard. Après l’audition de l’employeur de la domestique tuée, les enquêteurs de la police de Dieuppeul bénéficient d’un coup de pouce en parvenant, après le témoignage d’un jeune garçon, à relever la plaque d’immatriculation d’un véhicule ayant servi à commettre plusieurs cambriolages à Sacré-Cœur 3 avec le même mode opératoire. Le propriétaire du véhicule, une journaliste du nom de Kanny Cissé, entendue par les enquêteurs, révèle à ces derniers l’avoir prêté pendant quelques jours au nommé El Hadji Ameth Hanne. Ce dernier, arrêté, passe très vite aux aveux et facilite ainsi l’arrestation de ses complices. Des arrestations en cascade qui ont permis aux limiers de la Sûreté urbaine et du Commissariat central de Dakar, à qui l’enquête avait été finalement confiée, de ramener dans leurs filets, le fils de Moussa Touré, un célèbre cinéaste sénégalais.

Abdel Mouhamed Touré -c’est son nom- est présenté, au cours de l’enquête, comme celui qui a étranglé la domestique avant d’être aidé par son complice Paul François Gama pour la ligoter avant de la bâillonner.

Comment une bande s’est constituée en prison ?

C’est connu, si certains détenus profitent de la prison pour se repentir et donner un autre élan à leur vie, d’autres en profitent pour tisser des liens et planifier des opérations qu’ils vont exécuter dès leur élargissement. C’est le cas d’El Hadji Ameth Hanne. Arrêté pour une affaire d’escroquerie portant sur le foncier, le bonhomme, placé sous mandat de dépôt à la prison de Rebeuss, y a rencontré un maître du cambriolage connu sous le nom de Baïdy Traoré. «Il vivait bien en prison et je l’entendais souvent parler de beaucoup d’argent, alors je lui ai demandé de me brancher», reconnaît El Hadji Hanne. Et c’est parti pour une collaboration qui, à leur sortie de prison, a débouché sur une série de cambriolages à Dakar. Ils seront rejoints par un autre détenu du nom de Paul François Gama rencontré également en prison.

L’oncle et le neveu dans une même bande      

Abdel Mouhamed Touré 31ans : Fils du cinéaste Moussa Touré, Abdel a la particularité d’avoir tenté deux évasions alors qu’il était détenu à Rebeuss. Deux tentatives qui lui ont valu d’être condamnés à 7 et 8 ans de prison. «J’étais dans la même chambre que Inno -grâce à qui j’ai commencé à prier- Pape Ndiaye et Abdou Konté. Ce sont eux qui m’ont mouillé, lorsqu’ils ont tenté de s’évader et qu’ils ont été repris. J’ai même refusé de m’alimenter pour qu’on m’enlève de cette chambre, mais en vain. Autre signe particulier d’Abdel : son pouce a été sectionné lors d’une bagarre.

El Hadji Ameth Hanne 48ans, le marabout auteur de plusieurs cambriolages : Mise impeccable, il est l’oncle d’Abdel Mouhamed Touré qu’il a initié au cambriolage avant que ce dernier, «téméraire et courageux», ne lui ravisse la vedette. Il semble être la tête pensante du groupe. Amateur de jazz, les binocles bien en place, il est né à Tivaouane et maîtrise à merveille  le Saint Coran. Il a initié beaucoup de détenus à la lecture du Coran. Il sait tenir son public en haleine, comme hier, lorsqu’il a choisi de dire toute la vérité. Les cambriolages, c’est son dada et à l’occasion, c’est lui qui conduit la voiture lors des opérations. Hier, il en a reconnu cinq. Il a longtemps tergiversé avant de reconnaître avoir bien participé à celui de sacré-Cœur 3. À la question de savoir ce qu’il fera à sa sortie de prison, il a répondu : «Je ne veux pas rêver.»

Paul François Gama 35 ans, «l’homme du peuple»

Teint noir, Paul François s’est converti à l’Islam en 1988 et a pris le nom d’un guide religieux Serigne Saliou Mbacké. Ce qui lui a valu d’être rejeté par sa mère, une décoratrice qui vit en Libye. «Ma mère m’a abandonné et a commencé à me créer des problèmes dès qu’elle a appris que je me suis converti à l’Islam.» Le bonhomme qui a porté les couleurs de la Jeanne d’Arc de Dakar se fait appeler «homme du peuple». Pourquoi ? À cette question du président Bara Niang, il s’est fendu d’un large sourire avant de lâcher ces propos : «Je suis le régulateur entre les détenus et les gardes. À chaque fois qu’il y a problème, c’est à moi qu’on fait appel.»

Thierno Konaté 51 ans globe-trotter et receleur 

Il a voyagé très tôt et a visité plusieurs pays Européens avant de revenir au Sénégal pour investir. L’enquêteur social le présente comme un «modèle de courage et d’abnégation». Cependant, à Colobane, il est connu  comme le receleur attitré des bandes. Ce qu’il a, du reste, nié malgré les déclarations d’El Hadji Hanne.

Aly Demba Dia 42 ans : Le peulh et la radio

Sa faute, c’est d’avoir acheté des bijoux en or issus des casses perpétrées par El Hadji Ameth Hanne. Il a été trompé par la bonne mine des malfaiteurs. «Baïdy était bien habillé et je ne pouvais pas imaginé que c’était un malfaiteur.» Il a bénéficié d’une liberté provisoire après douze mois passés en prison. Aîné d’une famille nombreuse, il est présenté comme quelqu’un de très calme qui s’est bien réinséré dans la vie économique. Quelque peu taquin, le président de la Cour a eu cette réflexion lorsqu’Aly Demba Dia, parlant de ses distractions, lui a dit qu’il est toujours dans son coin en train d’écouter la radio : «C’est vrai que les peulhs et la radio, c’est une longue histoire.» Les peulhs présents en grand nombre, hier, dans la salle vont apprécier.

Massamba Sèye 46 ans : Le monogame qui hésite

Poursuivi pour recel, lui également avoue avoir été trompé par la mise impeccable des cambrioleurs qui lui ont vendu un téléviseur. Fort heureusement pour lui, il avait exigé et obtenu un acte de vente et une copie des pièces d’identité de l’un des malfaiteurs. Timide, il n’a pas gardé un bon souvenir de son séjour en prison même s’il a bénéficié d’une liberté provisoire après un mois de détention. «C’était difficile, j’étais toujours calme  dans mon coin.» Monogame, il a beaucoup hésité lorsque le président lui a demandé s’il allait, comme le permet l’Islam, prendre d’autres épouses. «Oui, je veux bien», a répondu Massamba, après avoir promené son regard dans la salle. Renseignement pris, son épouse était dans l’assistance.

Baïdy Traoré et Fallou Niang.

Le  premier nommé est poursuivi pour vol en réunion et avait été arrêté puis placé sous mandat de dépôt, alors que le second devait répondre du meurtre de la domestique Astou Sèye. Hélas, ils ont échappé à la justice des hommes. Tous les deux sont décédés en prison. Leur ombre a plané, hier, sur la salle des Assises.