[ CONTRIBUTION ] Au Feu !

«Presque tous les hommes, frappés par l’attrait d’un faux bien ou d’une vaine gloire, se laissent séduire, volontairement ou par ignorance, à l’éclat trompeur de ceux qui méritent le mépris plutôt que la louange.»

Nicolas Machiavel

 Après Guédiéwaye, ce furent Pikine, Parcelles-Assainies et l’Université de Dakar qui, les premiers, permirent à Béthio Thioune de se faire connaître, en le présentant d’abord comme un talibé et cheikh de Sérigne Saliou avant de le déclarer Sérigne Touba lui-même, puis représentant du prophète (psl) sur terre. Drapé de son boubou de nouveau prophète, il pêche sur tout le territoire national et au-delà, avec ce seul et simpliste discours : « Sérigne Saliou dit que quiconque voit Béthio ira au paradis». Soubhanallahi! Et comme chez les païens des périodes antéislamiques, on trouve encore dans ce Sénégal dit «éclairé par la lumière» de ses nombreux saints, et en ce troisième millénaire, des gens assez bornés pour le croire et le suivre dans ses hallucinations. Considéré au début comme un troubadour, il a peu à peu pris du galon, quitté la banlieue où un arrêt de car rapide porte son nom, pour le quartier résidentiel de Mermoz où, tous les samedis, des dizaines de personnes en provenance de tous les coins de Dakar viennent empêcher de paisibles citoyens de dormir sous le fallacieux prétexte de lui rendre hommage. Hommage à la djahilia, à l’idolâtrie et à l’obscurantisme. Il ne parle ni du Coran ni de la Charia. Béthio Thioune n’est pas comme ces érudits enturbannés qui psalmodient des versets coraniques sans jamais se conformer à leurs enseignements. Lui, c’est un recyclé de l’administration qui a trouvé protection chez les enturbannés. C’est un « Thiédo» des temps modernes comme en trouve encore chez les «Nianthio», en Casamance. Sa religion est toute simple : il faut juste chanter Sérigne Saliou et danser le «doukat». Dès qu’on meurt, on va au paradis ! Et ça  marche. Ça a si bien marché que lorsqu’en 2007, le chef de l’Etat avait demandé aux services de renseignements de lui faire l’état des lieux sur les menaces que pouvait encourir le pays au lendemain de l’élection présidentielle, ces derniers, sans sourciller, ont tous désigné les «Thiantakounes». Dans leurs rapports, en plus de Béthio, les agents ont fait savoir que les talibés de Modou Kara disposent de tout l’arsenal d’un combattant et ils sont entraînés aux techniques militaires. Mais, au lieu de donner aux services les moyens d’infiltrer, de combattre ceux-ci et de les mettre hors d’état de nuire, Wade s’est tout simplement attaché les services de Béthio et de Kara Mbacké qui, du coup, sont devenus ses meilleurs griots. Comme quoi, il paye le prix de sa tranquillité, abandonnant le peuple à la merci de ces milices privées. Avant lui, ce fut Senghor, ensuite c’est Abdou Diouf qui a cédé sous la pression d’une bande de Baye Fall qui menaçait d’assaillir Reubeus si leurs copains, arrêtés pour dégradation de lieu de culte, n’étaient pas libérés. Abandonnant ces milliers de jeunes endoctrinés, enrôlés parfois contre leur volonté, manipulés par des hommes mus que par le gain facile, l’Etat se désengage de son devoir d’éducation et de protection de la jeunesse laissant les familles sans recours. Mais en gardant la stricte neutralité sur ce qu’il veut faire passer pour une affaire privée, en refusant de régler ce problème de constitution de milices privées, l’Etat risque de se retrouver avec une situation ingérable. C’est trop facile, «louy ram, thi niakh bi ladiem». Et ça ne va pas tarder. Déjà en 2005, voyant que ses nombreuses demandes d’emploi adressées à la Présidence et à de nombreuses agences de l’Etat étaient restées sans suite, un jeune talibé de Béthio avait attendu Aminata Niane de l’Apix devant son bureau, lui a demandé des comptes sur les raisons de sa non-sélection avant de l’attaquer au couteau. Elle n’a du son salut qu’à la prompte intervention des gendarmes en faction à la Primature. Et le jeune homme, présenté au procureur, a fini par être placé à l’hôpital psychiatrique de Mbao. Dans ses affaires, nous avions trouvé de nombreux documents distribués par les «Thiantakounes» et appelant à tuer quiconque contredirait Béthio. Plus proche de nous, un ancien commissaire divisionnaire de la DIC dont je vais taire le nom avait, lui aussi, fait les frais des agissements de Béthio. Son fils promu à un bel avenir et qui a réussi à trouver du travail au ministère français de l’Intérieur a, du jour au lendemain, décidé d’abandonner son appartement mis à sa disposition, son travail et sa famille pour se consacrer aux courses de Béthio à Paris.  Informé de cette situation, le commissaire qui a compris que son fils est sujet à la manipulation a tenté de faire revenir son enfant pour le faire consulter par un psychiatre sans résultat. Il a fallu qu’il aille voir Béthio pour que le jeune homme finisse par accepter de prendre l’avion et de rejoindre Dakar.  Il est, depuis son retour, interné, lui-aussi, à Mbao. Comme on le voit, nul n’est à l’abri de ces endoctrinés. Les derniers événements de Dakar avec la mort du Sapeur-pompier comme celui de Nice avec l’escroquerie en bande de jeunes étudiants Sénégalais, s’il se confirmait, doivent être l’occasion d’en finir avec cette secte. L’Etat doit investir les campus universitaires, interdire toute manifestation religieuse et renvoyer les étudiants à leurs fascicules. Eduquer, c’est former la société de demain. C’est ce que l’empereur Soundiata Keïta a compris dès le XIIIe siècle lorsque, dans la charte du Mandé, il stipulait en son article 9 que : « L’éducation des enfants incombe à l’ensemble de la société.»

Babacar Touré
Journaliste-écrivain
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