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Baol-Baol : zoom sur un modèle économique qui résiste au temps

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Baol-Baol : zoom sur un modèle économique qui résiste au temps
Ce n’est plus un secret. Les « Baol-Baol » ont le goût et le flair du business. Et parfois, la baraka dans les diverses activités dans maints domaines. Le Soleil darde ses rayons sur un modèle économique qui repose sur le sacrifice, la sobriété et l’investissement participatif, mais aujourd’hui rattrapé par les exigences de l’économie moderne.

« Tu es Baol-Baol ». Cette raillerie est fréquente dans notre société. Dans la plupart du temps, elle fait allusion au sens du business, au flair pour les excellents coups de certains acteurs économiques, notamment ceux originaires de l’ancien Royaume du Baol.

Au parc Lambaye, niché en plein cœur de la banlieue, sur la route nationale à hauteur de Bountou Pikine, on se sent dans la capitale du Baol par le nom du site, mais également par la ferveur quotidienne.

En cette matinée du samedi, jeunes et vieux courent derrière les camions chargés de marchandises. De petits groupes d’hommes, au milieu de magasins de fortune, guettent les moindres opportunités.

Ousmane Mbaye se démarque par son sens de l’humour. « J’ai l’impression que tu nous photographies alors que nous sommes vilains », rigole le quinquagénaire, le bonnet penché vers l’oreille gauche.

Visage souriant, mais poussiéreux, l’homme de grande taille, à la silhouette frêle, vend des carreaux et des portes. Ses clients sont les menuisiers transformant le bois en divers meubles.

Ses débuts dans ce business datent de 1997. Quittant son hameau de Diourbel, il rejoignit, un vendredi, son oncle et son grand frère. Quarante-huit heures après, il entame auprès d’eux la vente de planches en bois et du zinc.

« Je n’avais pas 1000 FCfa en poche. J’ai quitté la charrette pour m’engager dans le commerce », se rappelle-t-il, tout gai, devant le regard admiratif de deux camarades.

Son réflexe n’était pas d’ouvrir un compte bancaire pour épargner. Il s’est senti suffisamment capable de garder lui-même son argent. Et c’était grâce à un coffre en bois où il mettait quotidiennement 750 FCfa.

En moins de cinq ans, il parvient à disposer de son propre magasin à côté de celui de son oncle. Des planches, il passe à la vente de carreaux.

« Je m’en sors bien jusque-là. J’ai investi mes propres économies, en plus d’un prêt consenti auprès de mon oncle. Je vaux, aujourd’hui, plusieurs dizaines de millions de FCfa et j’emploie quatre personnes », informe-t-il, définissant le modèle économique baol baol comme « l’amour du travail, un investissement permanent et l’engagement sans faille pour le gain licite ».

Assis en face de lui, Massamba Gaye, à l’aise sur un pneu, y ajoute quelques mots. « On gagne, aujourd’hui, 10 000 FCfa pour le réinvestir le lendemain. L’épargne dans le long terme, ce n’est pas trop mon affaire », signale-t-il.

Ayant débuté avec 5000 FCfa investis dans la vente de cola, il a ouvert, aujourd’hui, un magasin de carreaux cassés et de planches qui représente, selon lui, plus de 15 millions de FCfa.

« Le business marche actuellement. J’ai pu investir, étendre mon business et ouvrir mon magasin de carreaux à côté de la vente de planches. C’est, en partie, grâce à mes économies informelles et aux tontines », indique l’homme à la blouse bleue submergée de poussière.

La solidarité à la place des prêts bancaires

Si Massamba et Ousmane ont pu, en quelques années, passer de collaborateurs à entrepreneurs, puis employeurs, c’est parce qu’ils ont pu bénéficier de l’hospitalité d’un parent baol baol établi dans la capitale.

« Chaque acteur économique a pu compter sur l’aide d’un de ses parents, soit par un fonds pour démarrer ses activités ou par un emploi temporaire permettant d’économiser et de mobiliser un capital. C’est une chaîne de solidarité en marche », dit Ousmane.

Dans un coin jalonné de pneus, Abdourahmane Sèye, assis devant son magasin et vêtu d’une djellaba noire, a sous les yeux plusieurs paquets de tuiles en terre cuite, en plastique et en zinc.

Arrivé à Dakar en 2005, il dispose actuellement de deux magasins, dont l’un est aux Parcelles assainies. Se définissant comme un vrai Baol Baol, il a adopté le modèle. « Je me méfie des crédits bancaires. Je fais mon business, j’économise autant que possible pour l’élargir ».

Comme de coutume dans ce milieu où la solidarité est la règle, Abdourahmane Sèye tend la perche aux autres pour qu’ils puissent intégrer le système et se faire une place au soleil.

« J’accueille, chaque année, deux jeunes de mon village pour les intégrer en les formant, pour ensuite leur confier un magasin. C’est une solidarité qui permet de sortir nos familles de la pauvreté et de la dépendance », répète le commerçant qui, informe-t-il, a pu, grâce aux revenus de ce business, disposer d’une maison à Pikine.

À quelques mètres de lui, Matar Faye n’a pas encore ce confort économique. Il vient de rallier Dakar, il y a 11 mois. En plus de travailler dans le magasin de son frère, il joue parfois le rôle d’intermédiaire entre commerçants et clients.

À ses yeux, la pièce maîtresse du puzzle, c’est la solidarité. « On s’entraide pour compter par centaines les cas de réussite. D’ailleurs, dans plusieurs marchés, nos parents mettent en place une caisse de solidarité pour prêter de l’argent aux membres et surtout accueillir les nouveaux venus afin de leur permettre de développer des activités solides pour rembourser ensuite », explique-t-il debout devant une boutique non loin de la mairie de la ville de Pikine.

Plusieurs secteurs d'activités investis

Ils ont le flair, le sens du business et n’hésitent pas à embrasser large pour se faire beaucoup d’argent et réinvestir.
« C’est une culture ; nous préférons réinvestir au lieu de laisser l’argent dormir dans les banques », rit Ousmane Mbaye.

À l’en croire, ce modèle a permis à ses devanciers de contrôler plusieurs secteurs. « Aujourd’hui, je peux vous assurer que le marché de la vente et de la distribution des matériaux de contribution est contrôlé par les Baol Baol. Au début des années 2000, ils s’empressaient d’ouvrir des magasins dans les villes en développement. Ils ont été les premiers à s’installer dans des localités comme Keur Massar, Keur Mbaye Fall, Bambilor. Et aujourd’hui, leurs boutiques sont multipliées par 10 », relève Ousmane.

Pour lui, si les projets sont souvent des réussites, c’est parce qu’ils ont des capacités managériales malgré un niveau d’études quasi nul. D’après l’acteur économique originaire de Bambey, aussi incroyable que cela puisse paraître, ces businessmen se lancent, le plus souvent, sans aucune étude de marché, mais ils réussissent toujours à manager, à investir, à maîtriser le chiffre d’affaires.

« Même si la plupart n’ont pas fait d’études poussées en français, ils s’affirment comme d’excellents gestionnaires. Et c’est grâce à l’engagement et au goût du succès », analyse-t-il.

Ses propos font écho à ceux d’Abdourahmane. En plus du marché des matériaux de construction, il estime que le modèle économique baol baol domine le secteur de la vente en gros de denrées alimentaires.

« Aujourd’hui, ils investissent de plus en plus dans la vente de denrées, car le besoin est de plus en plus important. Comme nous ne nous préoccupons pas du paraître, c’est facile de développer nos activités. Tout ce qui compte, c’est la réussite des activités économiques. Même dans un vieux « Baye Lahat » (boubou ample prisé des Mourides, en référence au défunt Khalife Abdou Lahat Mbacké), nous nous sentons à l’aise », s’esclaffe l’homme de petite taille et à la forte corpulence.

Un système à l'épreuve du modernisme ?

Environ 97 % de l’économie sénégalaise est constituée d’entreprises informelles. C’est sans doute l’une des limites du modèle économique baol baol.

Massamba Gaye le reconnaît. Pour lui, si l’on veut grandir, il faut réussir la transition en se formalisant. « Le contexte économique a changé. Aujourd’hui, plusieurs denrées et produits alimentaires viennent de l’extérieur. Du coup, ceux qui veulent accroître leurs investissements sont obligés de se transformer en importateurs ou en industriels, et de s’acquitter des impôts et droits de douane », explique-t-il.

À en croire Massamba, ces derniers restent, malgré tout, fidèles aux fondamentaux du modèle économique baol baol qui, à ses yeux, est « la prise de risque, l’investissement sur fonds propres et la solidarité ».

Acteur du marché des bonbonnes de gaz, Gorgui Assane Touré s’est « modernisé ». À côté de l’investissement sur fonds propres ou le financement participatif, il s’est formalisé pour s’ouvrir de nouvelles portes : nouer des partenariats dans la sous-région.

« À un moment donné, il faut s’ouvrir et saisir les opportunités. C’est le contexte qui l’impose. Actuellement, j’ai des collaborateurs au Mali et en Mauritanie où je me rends souvent. En plus, je suis obligé de recourir à la bancarisation pour disposer de plus de fonds », souligne-t-il assis devant son dépôt à Poste Thiaroye.

Son voisin, Ousseynou Faye, est, lui, dans la vente de téléphones. Plusieurs appareils sont exposés dans les vitrines. « Je suis 100 % Baol Baol puisque je viens de Mbacké. Et j’ai démarré par la vente d’écouteurs et chargeurs », dit-il avec fierté.

Aujourd’hui, il ne se limite plus à l’investissement sur fonds propres ou fonds de solidarité, il sollicite, de temps en temps, des institutions de microfinance.

« Les valeurs restent les valeurs. Et elles ne bougeront pas. Mais, actuellement, vu le contexte économique et l’environnement concurrentiel, je n’hésite pas à travailler avec des structures bancaires. Après, je fais l’effort de travailler, de suer pour honorer mes engagements et augmenter mes revenus », confie le commerçant.

C’est également le chemin pris par plusieurs hommes d’affaires, selon l’économiste Moubarack Lô. « Certains ont même pu réussir la transition vers l’économie moderne, l’économie formelle. On peut citer Serigne Mboup de la Ccbm, Cheikh Sèye de Touba Gaz, Alla Sène de Sahel Gaz, Mbackyou Faye, etc. Tout ce monde-là a pu émerger et emploie, aujourd’hui, énormément de personnes. Dans les faits, le secteur informel paie les impôts à travers la Douane, mais aussi des impôts simplifiés », indique M. Lô.

Phobie du « haram » et des taux d’intérêt

Reconverti dans la vente de pneus, Mor, malgré ses 20 ans d’expérience, n’a jamais eu recours à un prêt bancaire. Et il ne manque pas de raisons. Jeune, se souvient-il, Mor avait entendu son père faire une petite simulation d’un éventuel prêt.

« Avec les intérêts et autres, il devait, en fin de compte, rembourser un peu plus du double. Ne voulant pas que son argent soit mêlé à de l’argent illicite, il a tout bonnement décidé de rester dans l’orthodoxie », se souvient Mor.

Pour lui, on ne change pas une méthode qui a porté ses fruits depuis des générations. Au-delà des rentrées d’argent du business, les tontines constituent, de nos jours, le seul moyen de renflouer les caisses.

Il y a une relation de confiance entre nous, renchérit Abdou Khadre, gérant d’une quincaillerie. « Au début, je vendais des pièces détaillées sur le pont de Colobane, mais quand j’ai voulu agrandir mon business, je me suis rapproché de mes aînés qui m’ont intégré dans une tontine vieille de plusieurs décennies. Le montant débloqué m’a permis de me lancer dans la quincaillerie », révèle-t-il.


10 Commentaires

  1. Auteur

    En Juillet, 2022 (06:26 AM)
    La plus grande partie des baol baols ,certes je ne dirai pas k ils sont tous des receleurs faussaires mais......
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  2. Auteur

    En Juillet, 2022 (06:52 AM)
    Dans ce reportage il y a un mot qui n'a pas sa place

    Licite 

     
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    Auteur

    Modou Modou

    En Juillet, 2022 (06:52 AM)
    C'est très instructif. Merci. J'hésite entre investir dans l'agriculture et le commerce.

    Qu'Allah bénisse toutes les personnes qui passeront par ici 🙏🏿
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    Auteur

    Ibrahim

    En Juillet, 2022 (06:59 AM)
    Voilà le genre d'articles que la presse sénégalaise doit mettre en avant pour montrer à la jeunesse sénégalaise que c'est possible de s'en sortir. En tout cas merci beaucoup, j'ai beaucoup apprécié et appri.

    Je réclame aussi des articles sur l'agriculture, l'élevage et la pêche... 
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    Auteur

    Diagna

    En Juillet, 2022 (07:41 AM)
    Ce modèle n'est en rien un exemple. Le secteur informel ne peut contribuer au développement du pays (pas d'impôts, pas de respect des règles de commerce et de vie publique). L'Etat doit surtout les encadrer, les éduquer et les former afin de capitaliser sur la motivation et dynamisme des baol baols. 
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    Auteur

    Sen

    En Juillet, 2022 (08:14 AM)
    Très bon article. Bravo les  baol baol

    Serigne touba ne demandait rien au blanc 
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    Auteur

    Gangrene

    En Juillet, 2022 (09:28 AM)
    Ils grangrenent bien les marchés publics Sénégalais. Avec des pots de vins, des dessous de tables, corruption etc.... ils arrivent à gagner des marchés. Le problème est qu'ils ne fournissent rien de bon après et c'est la population qui encaisse les pots cassés (exemples : transports, santé etc...).
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    Auteur

    En Juillet, 2022 (09:37 AM)
    Si tu vis pas avec ta famille chaque fin du mois tu leur envoies 10000f tu loues une chambre à 25000f que tu partages avec  4 autres ça tt le monde peut le faire seulement les autres ont privilégié l éducation de leurs enfants 
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    Auteur

    En Mars, 2023 (11:15 AM)
    B­­o­­­n­­­j­­­o­­u­r, j­e m'a­p­­­p­­­e­­lle Alisia, j'ai 21 ans) Dé­bu­t du mo­dèle S­­E­­X­­E 18+) J'a­ime êt­­re photo­­grap­­hiée n­­­u­­­e) Veuil­lez noter me­­­s phot­­os à l'adr­esse su­iva­­­nte --> W­­W­­W­­­.­­X­­2­­­1.­F­­U­N
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En Mars, 2023 (12:05 PM)
B­­­o­­­n­­j­­o­­­u­­­r, j­e m'a­­­p­­p­­e­­­lle Alissa, j'ai 21 a­­­ns) Dé­­bu­t du mo­­dè­le S­E­X­E 18+) J'a­ime êt­­­re pho­­­to­­grap­hi­ée n­­­u­­­e) V­­­e­­u­­i­­­l­lez no­ter me­­­s phot­­­os à l'adr­­esse su­­­i­va­­nte -> W­­­W­­­W­­­.­X­­2­­­1.­F­U­N id04681425
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