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DÉBAT : LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT, Un moyen de combattre la corruption

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DÉBAT : LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT, Un moyen de combattre la corruption

La notion de corruption renvoie à l’idée d’altération. Altération de valeurs professionnelles et/ou éthiques qui fait abuser d’une position de confiance, dans le but d’un avantage injustifié.

La corruption recouvre aussi bien l’initiative de la personne qui est en position de confiance et on parle alors de corruption active ; que l’acceptation par elle d’une offre faite, et il s’agit alors de corruption passive.

Généralement commandée par un intérêt immédiat et stricto personnel dans le cadre d’opérations de tous ordres, la corruption est presque omniprésente. On la relève dans le milieu des affaires aussi bien que dans la vie politique, dans la bureaucratie comme dans la police, au sein de la justice, etc.

Elle se manifeste sous diverses formes allant de ce qui est communément appelé « dessous de table » ou « bakchich » souvent tolérés dans les pays pauvres, aux relations douteuses entre les entreprises et les autorités qui influencent les contrats gouvernementaux, sans oublier les « petits cadeaux » qui finissent par ancrer le mal. La liste est longue, des types de corruption.

Combattre la corruption impose que des poursuites soient engagées conformément aux dispositions pénales incriminant et réprimant ce comportement préjudiciable aux collectivités. Et c’est la que se dégage le premier défi en ce que l’acte de corruption n’est pas facile à déceler, et lorsqu’on y parvient, encore faut-il l’établir. Ce caractère diffus, point commun avec l’acte de blanchiment, fait que les outils pour débusquer celui-ci contribuent incidemment, comme souligné plus loin, à mettre à jour des actes de corruption.

L’autre rapport étroit avec le blanchiment est que les fonds de la corruption empruntent forcément les chemins du blanchiment pour avoir une apparence légitime. La corruption constitue ainsi un acte délictuel sous-jacent au blanchiment. De ce fait, il est opportun d’établir en quoi et comment la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites peut aider à lutter contre la corruption.

Pour cela, nous évoquerons les dispositifs en place dans un premier temps, avant de nous pencher sur le rôle de la Cellule de renseignements financiers (Crf) en tant que pilier de la lutte anti-corruption.

I. Les dispositifs de lutte anti-corruption :

En décembre 2003, la Convention des Nations Unies contre la corruption, dite Convention de Mérida, est devenue le premier instrument international contre la corruption ouvert à tous les Etats. Elle est entrée en vigueur en 2005. Les Etats signataires doivent incriminer et sanctionner pénalement la corruption active d’agents publics nationaux, internationaux et étrangers (l’incrimination de la corruption passive d’agents publics étrangers est facultative). Cette convention organise également la restitution des avoirs détournés ou blanchis et l’extradition de personnes convaincues de corruption.

Nous pouvons aussi citer les initiatives de la Banque mondiale, des banques régionales de développement et du Fonds monétaire international, de l’Organisation des Etats Américains, de l’Union africaine et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. La Banque mondiale a fait de la lutte anti-corruption l’un de ses axes majeurs. Il est arrivé qu’elle suspende ses prêts pour la corruption excessive dans un pays asiatique et dans un pays d’Afrique centrale.

En Afrique, la corruption est d’autant plus destructrice qu’elle frappe des pays aux structures administratives peu aguerries, aux ressources très limitées et aux équilibres économiques assez fragiles. Le continent devait réagir et c’est ce qui se fait au cours de ces dernières années.

Ainsi, en juillet 2003, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine ont adopté la convention sur la prévention de la lutte contre la corruption. Cette convention préconise un certains nombres de mesures :

-   une politique pénale commune qui intègre l’adoption par chaque Etat de mesures législatives appropriées, mais favorisant entre les Etats une coopération et une entraide judiciaire.

-   un véritable partenariat entre les gouvernements et tous les secteurs de la société civile dans le but de promouvoir et d’entretenir l’Etat de droit et la bonne gouvernance.

-   La mise en place d’un comité consultatif sur la corruption et les infractions assimilées au sein de l’Union africaine dont la mission est celle de suivi et de conseil des mesures de lutte contre la corruption sur le continent.

De même, lors du 6e Sommet du Comité des chefs d’Etat et de Gouvernements, en mars 2003 à Abuja, chargé de la mise en place du Nepad, il a été pris l’engagement de travailler ensemble en vue d’atteindre un certain nombre d’objectifs, entre autres :

-   la démocratie et la bonne gouvernance politique, c’est-à-dire le renforcement des libertés individuelles et collectives, la mise en place d’une fonction publique responsable, assurer l’indépendance de la justice pour combattre la corruption et l’abus de pouvoir ;

-   la bonne gouvernance économique et financière à travers la transparence fiscale, budgétaire et l’acceptation reconnue des normes de l’audit, etc.

Le protocole contre la corruption adopté par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est aussi à retenir. Il fait suite à la déclaration d’Accra de mai 2001 sur la coalition contre la corruption. Ce protocole appelle à l’harmonisation des règlements contre la corruption entre les Etats membres. Les chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao l’ont finalement adopté lors de leur réunion tenue à Dakar, en décembre 2001.

D’autres initiatives non étatiques ont aussi vu le jour. On retient en particulier :

-  Transparency international (Ti), principale organisation de la société civile contre la corruption et la Chambre de Commerce internationale (Cci). Ces deux organisations ont élaboré des directives pratiques et des instruments destinés à aider les entreprises à prévenir activement la corruption. Il s’agit des règles de conduite de la Cci contre la corruption (1999) et des principes directeurs de Ti pour lutter contre la corruption (2003). En 2005, le Gafi a décidé d’étudier les liens entre les phénomènes de corruption, de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, en partenariat avec le Groupe Asie-Pacifique sur le blanchiment d’argent. Ceci dans le but de déterminer dans quelle mesure l’expérience du Gafi en matière de blanchiment et de financement du terrorisme pourrait contribuer à la lutte contre ces menaces.

Notre pays, le Sénégal, est classé 99e au rang mondial, selon le rapport 2009 de l’Ong Transparency international sur l’Indice de perception de la corruption (Ipc). Ce résultat le place dans la zone rouge des pays les plus corrompus. Pourtant, beaucoup d’efforts ont été fournis pour sortir de cette zone. Nous disposons d’une Commission nationale de lutte contre la corruption et la concussion.

A n’en pas douter, c’est une multitude de mesures qui vient d’être présentée. Mais, pour ce qui est de leur efficacité, la prudence est de rigueur. Les initiatives internationales n’ont aucun effet sans le consentement et le ferme engagement des Etats. Or, dans la pratique, beaucoup d’obstacles se dressent sur leur chemin.

A part la puissante commission indépendante de lutte contre la corruption de Hong Kong (Independent commission against corruption -Icac), qui est dotée de pouvoirs juridiques conséquents et d’un effectif impressionnant de spécialistes, les agences nationales de lutte contre la corruption sont souvent soumises à certaines contraintes qui les rendent inefficaces.

D’ailleurs, les critiques mettent l’accent sur le décalage qui existe entre le discours anti-corruption et l’impunité dont jouissent souvent certaines personnes.

Des études menées par Transparency international indiquent que le bon fonctionnement d’une agence de lutte contre la corruption suppose :

-   l’accès à la documentation et le pouvoir d’interroger des témoins ;

-   le soutien politique non seulement du président d’un pays, mais aussi d’un large éventail de responsables politiques nationaux ;

-   l’indépendance politique et opérationnelle requise pour enquêter aux plus hauts niveaux de l’Etat ;

-   l’intégrité des hauts responsables.

Au Sénégal, le forum civil souhaite que la Commission nationale de lutte contre la concussion et la corruption (Cnlcc) soit remplacée par une agence totalement indépendante pouvant saisir le tribunal et s’autosaisir. Pourquoi ne pas renforcer les moyens des Cellules de renseignement financier (Crf) une bonne fois ?

Le lien entre le blanchiment et la corruption invite à la réflexion sur l’apport d’une Crf à la lutte contre la corruption. On peut même, à bon droit, se demander si les Crf ne constituent pas le maillon le plus important de la lutte contre la corruption ou, à la limite une véritable alternative aux Commissions nationales de lutte contre la corruption et la concussion.

II. La cellule de renseignement financier (Crf) en tant que maillon du dispositif de lutte contre la corruption :

La lutte anti-blanchiment aide à crédibiliser les institutions financières et les gouvernements, favorisant ainsi l’investissement et la stabilité. Dans cette logique, la corruption n’a pas sa place. Elle doit être combattue avec toute l’énergie nécessaire. La Crf en tant que maillon fondamental du dispositif de lutte anti-blanchiment pourrait être d’une grande utilité, car la corruption est une infraction sous-jacente du blanchiment. Les fonds issus de la corruption sont réintroduits par les personnes corrompues dans les circuits financiers officiels. Et c’est justement à ce niveau que l’intervention de la Crf est efficace.

Dans la lutte contre blanchiment, la Crf bénéficie d’atouts importants, à savoir une parfaite indépendance dans la plupart des cas, un droit de communication étendu et l’inopposabilité du « secret professionnel ».

Cela dit, les fondamentaux de la lutte anti-blanchiment deviennent des pistes intéressantes à explorer dans la lutte contre la corruption. Il s’agit :

A- La prévention :

Elle permet de sensibiliser, à l’instar de la lutte contre le blanchiment, l’opinion et les acteurs politico-économiques et financiers sur les effets néfastes de la corruption. De même, les dispositifs anti-blanchiment des institutions assujetties pourraient constituer un premier filtre du fait qu’ils incluent des mesures d’identification des clients et ayants droit économiques, des mesures de surveillance particulières de certaines opérations et de certaines personnalités politiquement exposées (Ppe), mais aussi des mesures sur la conservation et la communication des documents. A ce stade, on peut dire que ces dispositifs constituent un élément de prévention de la corruption.

Par ailleurs, il est à noter que, sans une connaissance approfondie de modes et méthodes utilisés, les efforts de lutte risquent d’être anéantis. Les Crf, grâce aux exercices de typologies, apportent, une fois de plus, une réponse concrète. Ces exercices permettent de mieux comprendre les causes, les manifestations et les formes de corruption et d’en décrire les pratiques.

B. La détection :

Une fois que les fonds issus de la corruption sont versés, les bénéficiaires ont besoin de réintroduire ces montants dans les circuits financiers officiels en vue de leur conférer une apparence légale. Aussi la mise en place des contrôles sur les flux financiers tout en améliorant leur traçabilité, les politiques et mesures anti-blanchiment se posent-ils comme un véritable filtre et permettent de détecter les opérations « suspectes ».

L’obligation de déclaration à la Crf qui en résulte, permet à celle-ci de mettre en branle tout l’arsenal de moyens juridiques d’investigation mis à sa disposition en vue de déceler l’origine des fonds et d’en faire rapport, selon les cas, à l’autorité judiciaire compétente si des faits susceptibles de constituer l’infraction de blanchiment sont mis en évidence. A ce stade, il est permis de penser à l’approfondissement des relations entre les Crf et les Commissions de lutte contre la corruption. Un véritable partenariat pourrait être établi entre elles, à défaut d’en faire des assujettis.

Si la commission n’est pas assujettie, elle ne peut pas transmettre une déclaration de soupçon. Dans ce cas, l’interpellation de la Cellule de renseignements financiers sur des questions de blanchiment avec la corruption comme infraction sous-jacente sera considérée comme une simple information pour l’enrichissement de sa base de données. Au regard des normes internationales et des législations en vigueur, les Crf ne peuvent pas s’autosaisir.

C. La Coopération internationale :

Le caractère transnational du blanchiment de capitaux a facilité la coopération internationale entre Crf avec comme objectif fondamental : l’échange d’informations utiles à une bonne appréciation du délit de blanchiment.

A ce niveau apparaît toute l’importance que revêt cet outil dans la lutte contre la corruption.

Pour le continent africain, cette coopération est très importante quand on sait que l’Union africaine, généralement très prudente, estime que Cent quarante huit (148) milliards de dollars ($) quittent chaque année le continent pour se réfugier dans le système financier des pays développés et que les élites africaines à elles seules entretiendraient Sept cents (700) à Huit cent (800) milliards de dollars ($) dans les comptes à l’étranger.

A ce propos, il est important de souligner que la coopération entre Crf dans la lutte contre le blanchiment de capitaux a permis récemment à une Crf d’un pays africain de fournir des informations très utiles, dans des délais relativement courts et en dehors des contraintes de la coopération judiciaire, à une Crf d’un pays développés. C’est dans le cadre d’une enquête sur le blanchiment de fonds issus de la corruption dont une personnalité politiquement exposée appartenant à un pays africain extrêmement pauvre serait l’auteur.

Ces fonds une fois restitués pourront aider à endiguer la pauvreté dans le pays où ils ont été soutirés.

D. La répression :

A ce niveau, il convient de souligner a priori que dans la plupart de nos Etats, la loi anti-blanchiment étend le périmètre de la déclaration de soupçon à tout délit et crime. Cela fait ressortir tout l’intérêt consistant à faire participer le dispositif anti-blanchiment à la lutte contre la corruption.

La répression du blanchiment de capitaux, en plus des sanctions administratives et disciplinaires, prévoit des sanctions pénales. Ainsi, au délit de corruption viendra s’ajouter celui du blanchiment de capitaux qui, dans notre législation, peut aller de trois (3) ans à sept (7) ans d’emprisonnement et d’une amende égale au triple de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.

De plus, les fonds et les biens mobiliers et immobiliers issus du blanchiment sont confisqués au profit du Trésor public.

Il est indispensable de poursuivre les efforts déployés pour lutter contre la corruption. Les Crf ont aussi beaucoup d’atouts pour renforcer cette lutte. Oui, elles peuvent jouer un rôle important et ouvrir beaucoup de portes.

Enfin, cette lutte doit s’inscrire dans une démarche participative où tous les acteurs seraient impliqués : société civile, média, secteur privé, pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et même le citoyen lambda. Il faudrait, peut-être, orienter des réflexions dans ce sens. 

Ngouda Fall KANE

Président de la Cellule nationale de traitement des informations financières « Centif »



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