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DAKAR - Impact de la crise économique : Grandir, un écueil pour la jeune génération

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DAKAR - Impact de la crise économique : Grandir, un écueil pour la jeune génération

La récente vague d’émigration des jeunes n’est pas le fruit du hasard. Sous l’effet de la crise chronique qui étrangle le pays depuis le début des années 80, passer à l’état adulte et acquérir un statut social devient de plus en plus difficile pour les jeunes. Et c’est dans l’agglomération dakaroise que le retard de croissance des jeunes se fait le plus sentir. Le constat a été établi par un sociologue-démographe, Alioune Diagne. Le chercheur a pointé «le mal de grandir» qui frappe la jeunesse urbaine dakaroise dans une thèse soutenue à l’Institut de démographie de l’Université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). Intitulée «L’entrée en vie adulte à Dakar», l’étude cherche à rendre compte de l’évolution des conditions et des modalités du passage de l’état de jeune à celui d’adulte. Elle s’appuie sur l’expérience de trois groupes de générations (1942-1956, 1957-1966 et 1967-1976) pour constater que du fait de la crise économique, les jeunes dakarois sont de plus en plus contraints à différer les différentes étapes marquant la fin de la jeunesse et le début de la vie adulte (mariage, travail, logement).

Pour plus du quart des jeunes sénégalais nés entre 1967 et 1976, devenir grand a été une longue épreuve. Le passage à la vie adulte a été pénible : sans boulot, sans logement propre, sans femme à 25 ans passés. Cette situation est commune à une bonne partie de la jeunesse urbaine. Mais obligés de grandir, les jeunes de Dakar mettent en place de nouvelles stratégies, procédant par étapes pour racoler la voie qui mène à la vie adulte. Car sur ce chemin, les rites de passage semblent changer. Finis la circoncision, l’initiation et autres rites qui marquaient jadis le passage à la vie adulte.

Grandir est devenu avant tout une question de moyens : boulot, mariage, logement sont les parchemins utiles pour jouer dans la cour des grands. Ce sont les trois critères (mariage, travail, autonomie résidentielle) retenus par le démographe Alioune Diagne pour étudier le passage des jeunes à la vie adulte. Dans une thèse soutenue en avril dernier à l’Université de Paris I Sorbonne, le chercheur a montré que les indicateurs sont au rouge chez les jeunes à Dakar.

EMPLOI

Curieusement, le jeune dakarois continue de façon sensible à étrenner son premier emploi rémunéré au même âge que ses aînés : 21 ans. L’âge d’entrée dans la vie professionnelle a très peu évolué au cours du temps. Du moins chez les hommes, car du côté des femmes, les choses se compliquent. Le chercheur note, en effet, un léger retard dans les délais d’accès au premier poste entre ses différents sujets de sexe féminin. Les femmes nées entre 1967 et 1976 n’ont décroché leur premier salaire qu’à 25 ans. Alors que leurs mamans âgées, qui ont coiffé aujourd’hui la cinquantaine, ont touché leurs premiers émoluments, à peine sorties de l’adolescence (21 ans). Le démographe analyse ses résultats dans un contexte marqué par une crise sévère de l’e mploi qui touche plus de la moitié de la population urbaine. Pour mieux jauger les difficultés que rencontrent, actuellement, les jeunes à Dakar à trouver un job, le chercheur a comparé les temps d’attente à la sortie de l’école. Sa trouvaille est un pertinent indicateur de la morosité des temps qui courent : la durée séparant la fin des études et le début de la vie active est de plus en plus élastique. D’une période à l’autre, la liste d’attente sur le marché de l’emploi s’allonge. La génération 1967-1976 a galéré 10 ans après la fin de ses études pour se trouver place au soleil. Alors que ceux qui sont nés entre 1942-1956 n’ont patienté que 4 ans.

Cette différence est encore plus marquée chez le sexe féminin. Les jeunes filles traînent encore plus longtemps sur le marché. Seules 81% des femmes de 30 à 40 ans réussissent à se caser une fois sortie de l’école. Un chiffre qui peut paraître flatteur, mais qui cache en réalité une nette érosion. Car, il suffisait presque aux femmes nées avant les Indépendances (générations 1942-1956) d’aller à l’école pour trouver un boulot (91% d’insertion). En comparant ces délais, le chercheur montre, de façon globale, que le moyen le plus sûr pour trouver un boulot est de faire une formation. La chance sourit plus aux jeunes qui suivent une filière professionnelle. Mais la période entre la fin des études et le début de la vie professionnelle, observe M. Diagne, est souvent une longue période semée d’embûches : précarité, recherche d’emploi, chômage. Et dans l’espoir de trouver mieux, beaucoup de jeunes s’agrippent à la première lueur d’opportunité. Sans trop disserter sur la qualité de l’emploi. Cette situation est valable chez les deux sexes confondus.

TRAVAILLERA TOUT PRIX

Alioune Diagne pointe du doigt ce qui est devenu une croyance populaire aussi répandue qu’un dicton de Kocc Barma : l’école n’est plus un visa pour entrer dans la vie professionnelle. Mais pendant leur longue et difficile de transition à l’âge adulte, les jeunes de Dakar ne restent pas les bras croisés. Trouver du boulot et s’émanciper sont devenus l’obsession d’une génération ajustée qui collectionne les contrats à durée déterminée et se languit de la belle époque de Papa. Dans ce «sauve-qui-peut» générationnel, les réseaux et les connaissances (famille, voisinage etc.) peuvent être utiles. Les «fils de… » et les recommandés peuvent s’en tirer. Par contre, d’autres tentent de voler de leurs propres ailes. Ils montent leurs petits business, plongent dans un secteur informel déjà bien investi : décodage de téléphone portable, gestion de télécentre et de cybercafé, location de chaîne à musique etc. «L’essentiel pour eux est de travailler et sortir de la situation de dépendance financière dans laquelle ils se trouvent», ote le chercheur.

Du fait de la précarité de leur situation sur le marché de l’emploi, les jeunes dakarois se trouvent de plus en plus contraints à différer les autres étapes de la transition vers la vie adulte. Sous l’emprise de la crise, les jeunes dakarois «oublient» de se marier. Ou du moins diffère l’événement. Car, le chercheur a montré que les jeunes se décident de plus en plus tard à entrer dans la vie conjugale. L’âge du mariage monte en flèche créant un embouteillage de célibataires endurcis. Jusqu’à 33 ans, les hommes, objets de son enquête, n’avaient pas pris femme.

D’après ses résultats, le début de la vie conjugale a d’ailleurs beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Sous l’effet de la crise, le célibat se dissémine comme une épidémie. Le phénomène est encore plus frappant chez les jeunes filles. Trouver un conjoint devient de plus en plus difficile. Et chez le sexe féminin, en l’espace d’une génération, l’âge de se marier a été décalé de 7 ans, constate le chercheur. Il émet une hypothèse prévisible : la précarité des hommes influe sur le mariage des jeunes filles dakaroises. Rassembler la dot est devenu un exercice laborieux pour les prétendants vivant dans la précarité. Ceux qui, malgré tout, tiennent à sceller leur union mettent en place une nouvelle stratégie : le premier bébé survient de plus en plus tard dans le jeune couple sénégalais. A 25 ans, les femmes mariées nées entre 1967-1976 n’avaient toujours pas fait d’enfant. En comparaison, les femmes de 1942-1956 connaissaient les joies de la maternité à la fin de l’adolescence (19 ans).

QUETE DE TOIT

Le fait de ne pas prévoir d’enfant tout de suite après le mariage est une stratégie du jeune couple dakarois qui peut témoigner de la difficulté des hommes à trouver un toit. Car côté logement, les hommes des générations les plus récentes éprouvent plus de difficulté. Conséquence : ils restent plus longtemps dans le giron familial, souvent sous le même toit que leurs parents. La tendance étant de rester célibataire et hébergé par ses parents ou la famille élargie, même lorsqu’on dispose d’un emploi. Toutefois, cette situation peut-être un «deal», une stratégie mise en place par les ménages urbains pour pallier la fonte de leurs revenus, indique le démographe. Les jeunes resteraient dans une situation de «dépendance résidentielle» en tant que célibataires. En contrepartie, ils permettent à leurs familles de profiter des ressources qu’ils tirent de leur travail. La contribution des jeunes dans les dépenses du ménage expliquerait, selon Diagne, le maintien des jeunes dans l’espace familial.

Chez les femmes aussi, on note des changements importants sur la façon dont elles négocient leur entrée dans la vie adulte. Leur parcours, également marqué par la crise, a d’ailleurs tendance à ressembler à celui des hommes. «On assisterait, ainsi, à l’homogénéisation des parcours entre les femmes et les hommes», indique le démographe. Et avec la survenue tardive du mariage, les femmes sont de plus en plus obligées de retrousser les manches. Désormais trouver un boulot passe avant un mari. Les femmes préfèrent d’abord se sécuriser. Le chercheur montre d’ailleurs que chez les filles qu’il a interrogées, il devient moins fréquent, dans les temps qui courent, de se marier sans au préalable être indépendante en matière de travail ou logement.

Au finish, note le chercheur, on assiste à Dakar à un étirement dans le temps du processus par lequel les jeunes passent d’un statut à un autre. Entre la fin de la jeunesse et le début de la vie adulte, il s’ouvre désormais une longue période au cours de laquelle les jeunes dakarois s’efforcent de grandir. Au gré des opportunités qui se présentent à eux, ils négocient les différentes étapes de la transition vers l’âge adulte. Cette situation correspond à une période plus ou moins longue, au cours de laquelle cette génération précaire avance non seulement en âge, mais cumule aussi les statuts précaires au plan professionnel, résidentiel, matrimonial et familial. <28>[email protected]

 



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