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DOSSIERS - MIGRATIONS : Les mystères d’un phénomène majeur de notre temps

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DOSSIERS - MIGRATIONS : Les mystères d’un phénomène majeur de notre temps

Du 18 au 20 novembre 2009, l’Institut de Population, développement et santé de la reproduction (Ipdsr) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) a organisé un symposium international sur les migrations. L’occasion pour les chercheurs de bousculer les idées reçues et de réfléchir sur une nouvelle approche méthodologique de la question. Car si ce phénomène majeur de notre temps suscite bien des supputations et déchaîne les passions politiques dans beaucoup de pays, il demeure scientifiquement peu connu. C’est le seul phénomène démographique que les démographes n’ont pas réussi à maîtriser. Eclairage.

De 75 millions en 1965, on est passé à 190 millions de migrants en 2005, d’après les chiffres des Nations Unies. Et le pire est à venir si l’on en croit aux prévisions. Un rapport publié en 2007 par Christian Aid (Ong britannique) estime à près d’un milliard le nombre de futurs migrants de l’environnement. D’après ce document, 645 millions de personnes devraient, d’ici à une quarantaine d’années, se déplacer à cause de grands projets tels que l’exploitation minière ou la construction de barrages hydroélectriques ; 250 millions, en raison de phénomènes de réchauffement climatique, d’inondations ou de submersion du sol littoral ; et, enfin, 50 millions au moins pour fuir les conflits engendrés par ces bouleversements catastrophiques du repeuplement démographique de la planète. Une crise migratoire sans précédent, incomparablement plus grave que l’immigration de l’âge industriel, que certains dénomment « l’offensive migratoire » du troisième millenium. Alarmisme exagéré ? Le débat reste ouvert entre les tenants de ce que d’aucuns qualifient de « nouvelle utopie du monde », l’écologie.

Une chose est sûre : le couple migration-environnement sera au cœur de la recherche dans les années à venir, estime Jérôme Lombard, géographe et chargé de recherche au Laboratoire population, environnement et développement de l’Université de Provence (Marseille), à l’occasion du symposium international sur les migrations organisé à Dakar, du 18 au 20 novembre 2009. Serigne Mansour Tall d’Onu-Habitat et président du Comité scientifique de ce symposium partage cet avis. « Lorsque des gens perdent leurs habitats, ils n’ont plus rien à gagner ou à perdre, ils vont forcément se transformer en migrants. Le phénomène de changement climatique fera émerger un nouveau profil de migrants qu’on peut qualifier de migrants climatiques. Cela va être tellement grave si on n’y prend garde parce que cela peut conduire à une hypertrophie de la catégorie des migrants qu’on appelle les réfugiés, c’est-à-dire des gens qui n’ont plus de choix, d’option et qui sont obligés de partir s’ils veulent survivre », analyse-t-il.

« L’avenir de la civilisation, c’est la circulation des hommes et des savoirs »

On le voit bien, le phénomène migratoire suscite un intérêt à la fois scientifique et politique. Mais déchaîne bien des passions, voire même une certaine peur. Partout, l’immigré devient suspect. Déjà l’Europe, sous la pression des parties d’extrême droite, se barricade en fermant ses frontières et en verrouillant le système de visas. Même les mouvements internes aux mêmes espaces géographiques n’échappent pas à la règle. Ces derniers mois, plusieurs milliers de Congolais (de la Rdc) ont été expulsés d’Angola et vice-versa. Et, d’après le Pr. Lututala, secrétaire exécutif adjoint du Codesria, c’est une mauvaise gestion de la migration qui est à l’origine d’un certain nombre de guerres sur le continent (Côte d’Ivoire et Rdc, par exemple).

Paradoxe ! Dans un contexte de mondialisation où les Tics et les moyens de transport de plus en plus développés réduisent les distances et entraînent logiquement plus de mobilité des flux (financiers mais aussi humains), migrations ne riment pas toujours avec enrichissement et ouverture. Ce qui fait dire à Mme Ramatoulaye Diagne Mbengue, directrice de l’Ecole doctorale d’Etudes sur l’Homme et la Société (Ethos) que le monde actuel rappelle, plus que jamais, la « malédiction de Babel ». L’incompréhension et le rejet au lieu de l’ouverture. Pourtant, comme le rappelait le poète sénégalais Amadou Lamine Sall dans les colonnes du « Soleil » du 21 novembre 2009, « il n’y a pas d’avenir pour une nouvelle civilisation sans une circulation des hommes et des savoirs ».

Malgré l’adoption de mesures politiques draconiennes dans certains pays, le phénomène migratoire réserve bien des zones d’ombres ou des « biais », pour reprendre le jargon scientifique aux chercheurs. Les mesures politiques prises sont plus dictées par l’émotion que par une connaissance scientifique de la question. Les migrations demeurent le seul phénomène démographique que les démographes n’ont pas réussi à maîtriser, avoue Philippe Antoine, l’éminent chercheur de l’Ird (Paris). Même si Jérôme Lombard estime qu’il faut relativiser la méconnaissance du phénomène des migrations, le Dr Mumpasi Lututala est formel là-dessus. « Cette méconnaissance est là pour nous démographes qui travaillons sur la question depuis vingt ans », insiste-t-il. De fait, « il y a énormément de fausses idées reçues », appuie Chris Beauchemin de l’Ined (Paris).

Peu de statistiques fiables

Les rares statistiques qui existent sont peu fiables. Les chercheurs peinent à élaborer des outils conceptuels adéquats. Et la variabilité des méthodes d’approches en est une parfaite illustration. Il y a des problèmes méthodologiques du genre : faut-il mener l’enquête dans les pays de départ ou ceux d’accueil ? Quel est le degré de fiabilité des informations recueillies sur une personne en son absence, etc.

Les résultats ont été jusque-là mitigés. C’est le cas de la méthode « boule de neige » utilisée dans le cadre du projet « Migration between Africa and Europe » (Mafe) qui étudie les migrations entre l’Afrique et l’Europe. Cette méthode consiste à recueillir un certain nombre d’informations sur les migrants grâce à des enquêtes quantitatives. Elle peut s’appliquer soit aux pays de départ, soit aux pays d’accueil. Mais son succès dépend trop du climat politique du moment. Ce qui fait qu’appliquée dans un pays d’accueil, par exemple, (l’Italie) à un moment où le climat politique n’était pas du tout favorable aux immigrés dont la plupart sont clandestins, il faut le rappeler, la méthode « boule de neige » a donné des résultats décevants, explique Chris Beauchemin. Tandis qu’appliquée à l’Espagne, un autre pays d’accueil, elle a donné des résultats relativement satisfaisants du fait de conditions plus favorables aux immigrés. De fait, la difficulté, dans ces conditions, réside dans le fait qu’il est extrêmement difficile d’entrer en contact avec les immigrés, trop réticents à témoigner. Concernant les pays de départ également, on dispose de très peu de données fiables. Au Sénégal, par exemple, les seules données sur les émigrés sont : l’Enquête sur les ménages (sur un échantillon de 3.300 ménages) de 1995 et le Recensement général de la population et de l’habitat de 2002. Mais elles offrent très peu d’informations sur les migrants. Ce qui fait que le phénomène migratoire n’est pas bien pris en compte dans l’élaboration des politiques de nos pays. D’ailleurs, l’Afrique de l’Ouest dispose de très peu de personnes qualifiées pour prendre en charge le phénomène migratoire, encore moins de pouvoir postuler à de hauts niveaux de responsabilités au sein de l’Organisation mondiale des migrations (Oim) pouvant ainsi peser sur les grandes décisions sur la question, à en croire Mme Ndioro Ndiaye, directrice adjointe de l’Oim.

En outre, toutes ces enquêtes n’abordent la question que de manière parcellaire. Jusque-là, on a plus réfléchi sur les migrants que sur le phénomène lui-même, reconnaissent certains chercheurs. Même les questions qui attirent le plus l’attention des chercheurs, comme celle des transferts financiers des migrants, n’ont pas été totalement épuisées.

Si on spécule sur la part que représentent ces transferts dans le Pib des pays d’origine, par exemple, le débat reste ouvert sur l’utilisation de ces fonds. Participent-ils concrètement au développement de nos pays dans la mesure où ces fonds sont rarement investis dans la construction d’infrastructures ? Ces transferts favorisent-ils la dépendance ? Mais, pour paraphraser Lombard, on n’a pas uniquement besoin de l’argent des migrants. D’autres questions éminentes importent et qui restent encore presque inexplorées : celles de l’impact des migrations sur des domaines comme la politique, la santé, etc.

La migration de retour contribue-t-elle au renforcement de la démocratie et de la citoyenneté dans les pays de départ ? Avec le départ des pratiquants hautement qualifiés, entraînant ainsi un déséquilibre des systèmes de santé dans les pays de départ, quel est l’impact de la fuite de ces « cerveaux » sur la prise en charge du Vih Sida ? Quelles conséquences entraîne la migration des femmes et des enfants ?...Sur ce dernier point, la conséquence la plus évidente, selon Jérôme Lombard, c’est une distanciation du lien familial. La recomposition des familles à l’étranger pose également de nouveaux problèmes, notamment celui de l’identité pour les enfants.

Révision de l’approche conceptuelle

Ce sont tous ces nouveaux champs d’horizons de la recherche qui ont été abordés lors du symposium de Dakar. Et, en toile de fond, la question perceptible, c’est celle d’une remise en cause générale dans l’approche conceptuelle du phénomène migratoire. De nouveaux concepts, comme celui de l’« ubiquité résidentielle » utilisée par Mumpasi Lututala, sont en vogue. De fait, à l’ère de la « circulation habitable » pour reprendre une expression de Paul Virilio qu’il utilise dans son livre intitulé : Le futurisme de l’instant : Stop-Eject (Galilée, 2009), à l’heure où le sédentaire demeure partout chez lui et le nomade nulle part, faut-il toujours penser le phénomène migratoire avec les concepts d’avant ? Ce philosophe français, théoricien de la vitesse, estime que nous assistons à une forme « d’exterritorialisation » du potentiel humain. De ce point de vue, M. Virilio fait peut-être figure de futuriste sur la question des migrations...



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