Drame Pikine rue 10 : Un talibé poignarde à mort son marabout

Alors que les autorités spéculent sur les voies et moyens d'atténuer le calvaire des talibés qui survivent dans la misère, un autre phénomène est peut-être en train de gangrener ce milieu de défavorisés. Les victimes d'hier s'érigent en bourreaux et sonnent ainsi le glas de l'hégémonie des maîtres coraniques. Cela s'est traduit avant-hier, lundi, par l'assassinat d'un marabout par son talibé.

L'habitude était de voir des talibés battus à mort par leur marabout. A Pikine Rue 10, cette habitude a été, pour une fois, inversée. Un talibé du nom de Mohamed Fall a écourté la vie de son marabout, Oustaz Lamine Diagne, marabout de 40 ans, réputé à Pikine, en lui assénant un coup de couteau à la gorge. Le jour du drame, Oustaz Diagne s'est, après la prière du matin, laissé prendre dans les bras de Morphée pendant que, selon nos sources, Alpha Ibrahim faisait le guet devant la porte de sa chambre à coucher. Et ce, pour permettre à son complice, Mouhamet Fall, de commettre ce meurtre, sans doute prémédité. En effet, de l'avis de ce disciple de la victime, les deux adolescents ont, un moment, hésité sur la manière la plus efficace d'infliger l'ultime supplice à leur maître ; ils ont voulu lui asséner un coup de couteau au ventre, mais l'un d'entre eux s'est rétracté, suggérant à son complice de le poignarder à la gorge afin que la mort soit certaine. Ainsi dit, ainsi fait ! En effet, le coup fatal lui a été porté à la gorge avant hier lundi vers 9 heures. Aussitôt après leur crime, les deux adolescents se sont fondus dans la nature et les recherches entreprises par les autres disciples pour les retrouver se sont avérées jusque-là infructueuses.

Transporté d'urgence au centre de santé Dominique de Pikine puis à l'ex-Cto, Oustaz Lamine Diagne succombera à ses blessures le même jour à 11 h. La victime, inhumée hier mardi à Gandiaye était visiblement un dignitaire Ibadou Rahmane vu la foule de disciples de cette communauté qui sont venus, hier matin, assiéger les allées de l'hôpital général de Grand Yoff pour les besoins de la levée du corps.

Mais, une énigme entoure cette affaire pour le moins mystérieuse. La question suspendue à toutes les lèvres est celle des mobiles du crime perpétré par les deux adolescents. Et ce, d'autant plus que, affirment les voisins, ces talibés ne vivaient pas le calvaire des enfants en haillons que l'on rencontre partout dans les artères de Dakar. Le marabout dirigeait un semi-internat où la mensualité est de 17 000 francs. Selon des confidences recueillies sur place, Oustaz Lamine Diagne ne battait que les élèves qui avaient du mal à mémoriser ses enseignements.

Ainsi, si, d'une part, certains cherchent la raison de ce geste dans la menace de bastonnade proférée par la victime à l'encontre de Mouhamet Fall qui a une fois fugué et ensuite été ramené de force par ses parents, d'autres comme cette parente de la troisième femme de la victime qui leur fournissait des condiments trouvent qu'il y a anguille sous roche. ‘Il y a des non-dits dans cette affaire et seuls les protagonistes pourraient nous édifier là-dessus’, lance-t-elle avant d'ajouter, la mine grave : ‘Oustaz était un homme d'une générosité sans limite et je ne comprends pas ce qui a pu amener cet adolescent à en venir à cette extrémité’ . Mais, contrairement à notre interlocutrice, les parents et inconditionnels du marabout qui avaient pris d'assaut les couloirs de l'ex-Cto se sont montrés avares en informations et semblent entretenir le mystère sur cette affaire qui défraie la chronique à Pikine.