D'une fidélité d'amitié insoupçonnée, Albert Bourgi a assisté à la première séance de confirmation des charges de son ami de plus d'une trentaine d'années, le président Laurent Gbagbo. Une manière de lui témoigner sa solidarité. Dans cette interview qu'il nous a accordée, Bourgi donne ses impressions, assurant que Laurent Gbagbo se prépare à faire face à un procès politique.
Wal Fadjri : Vous avez assisté à la première séance de l’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo, par la Cour pénale internationale (Cpi). Quel sentiment en avez-vous tiré ?
Albert Bourgi : Tout d’abord celui d’avoir accompli un devoir d’amitié envers quelqu’un qui, à mes yeux, n’a pas sa place devant une prétendue juridiction pénale internationale. Ma présence à La Haye répondait tout à la fois à la conception de l’amitié qui m’habite, conjuguée à une conviction profonde que Laurent Gbagbo est confronté à une justice politique par la volonté de deux hommes, Sarkozy et Ouattara.
Vous étiez présent, à La Haye, le 19 février, mais vous l’aviez également rencontré quelques semaines auparavant dans son lieu de détention.
Je lui ai effectivement rendu visite, et à cette occasion, j’ai revu celui que j’ai toujours connu, un vieil ami, avec lequel j’échange sur tout ce qui nous passe par la tête. Sans entrer dans le détail, nous avons, entre autres, parlé du Sénégal et évoqué à cette occasion certains de nos amis communs, tout en échangeant sur bien d’autres sujets. Je l’ai trouvé en bonne forme.
On imagine que vous avez également parlé de l’audience de confirmation des charges ? Dans quel état d’esprit était-il ?
C’est le Gbagbo que j’ai toujours connu, c’est-à-dire combatif et décidé à se défendre contre les fausses accusations portées à son encontre et qui l’ont conduit devant la Cour. Il se préparait tout simplement à un procès politique, un de plus, qui lui était intenté, via la Cour, par les forces néo-coloniales. L’historien qu’il est connaît, bien sûr, l’importance de l’événement pour son pays et pour l’Afrique en général. Sa détermination à dénoncer, à travers notamment ses avocats, et en intervenant lui-même, le «montage» que prépare l’Accusation, ne laissent néanmoins aucune place à la haine ou à une quelconque rancœur. Lors de la dernière visite, que je lui ai rendue, il y a quelques semaines, accompagné de mon épouse, l’atmosphère était à la fois fraternelle, sérieuse et détendue. Pour qui connaît Gbagbo, il était égal à lui-même, c’est-à-dire chaleureux et attentif à tous ceux qui lui sont proches. Il suit attentivement tout ce qui se passe sur le continent africain et dans le monde. Sa passion de l’Afrique comme sa vision d’une Afrique libérée de toutes les contraintes extérieures, notamment politiques et économiques, sont au cœur de sa pensée et de ses réflexions.
Quelle conclusion avez-vous tirée de la première session de l’audience de la Cour à laquelle vous avez assistée ?
Hélas ! La même que celle qui est partagée par un nombre de plus en plus important d’observateurs, d’analystes qui ne sont pas nécessairement concernés, de près ou de loin, par le cas de Laurent Gbagbo. Le déroulement de la session du mardi 19 février 2013, à l’image de ce qui s’est passé les jours suivants, confirme totalement le caractère éminemment politique de la Cour, dont l’unique trait est d’être le bras «judiciaire» du collège des membres permanents du Conseil de sécurité, un euphémisme pour désigner ce qu’on appelle à l’Onu le P3, c’est-à-dire la France, les Usa et le Royaume-Uni. Dans le cas d’espèce, les pays occidentaux affirment leur volonté d’imposer leur emprise sur l’Afrique. Il faut avoir constamment à l’esprit que le mode de saisine de la Cpi réserve une place très grande au Conseil de sécurité qui est habilité, non seulement à saisir la Cour, mais à suspendre, si besoin est, une procédure déjà engagée devant celle-ci. Qu’il s’agisse de la Côte d’Ivoire ou de la Libye, la saisine de la Cpi s’inscrit aussi dans le prolongement des résolutions du Conseil de sécurité, 1973 et 1975, introduites par les pays occidentaux et qui ont ouvert la voie à l’utilisation de la force pour «assurer la protection des populations civiles menacées par les armes lourdes utilisées par les pouvoirs en place». L’action de la CPI apparaît clairement comme le pendant du recours à la force dont disposent les membres permanents du Conseil de sécurité, au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
La défense de Laurent Gbagbo semble avoir choisi de mettre en évidence les «incohérences», les «invraisemblances», voire les «falsifications des charges portées par l’accusation», c’est-à-dire le Bureau du Procureur.
Vous avez raison, et cette stratégie de la défense est facilitée par le fait que les faits censés accabler Laurent Gbagbo ont été recensés par l’ancien Procureur, Moreno Ocampo, personnage très controversé, dont le travail d’enquête sur le terrain s’est souvent réduit à reprendre, sans les vérifier, des accusations relatées par des Ong dont la connivence avec les autorités du pays accusateur, c’est-à-dire des milieux proches de Ouattara, est établie. Pire, l’acte d’accusation déroulé par le Bureau du Procureur, lors des récentes audiences de confirmation des charges, se fonde le plus souvent sur des coupures de presse émanant d’organes d’information liés à l’actuel pouvoir ivoirien, ou des témoignages imaginaires et monstrueux, comme celui qui fait dire à quelqu’un qu’un policier lui aurait confié que les partisans de Gbagbo avaient reçu comme consigne de tuer toutes les femmes «dioulas». Mais le comble, dans ce domaine, a été atteint par l’utilisation d’une vidéo censée relater un massacre qui aurait été commis par le clan Gbagbo, mais qui en réalité avait eu lieu au Kenya. Tout cela montre que l’ancien Procureur de la Cour, Ocampo, était uniquement «missionné» par les membres du Conseil de sécurité, et notamment la France de Sarkozy, pour réunir par tous les moyens des éléments à charge contre Gbagbo.
Peut-on imaginer que Laurent Gbagbo soit le seul à être poursuivi pour des crimes contre l’humanité, commis pendant la crise post-électorale.
C’était l’objectif initial qui permettait de frayer la voie à Ouattara. Mais je doute que les choses se passeront ainsi, car la Cour est non seulement désormais tenue de prendre en compte tous les crimes commis entre 2002 et 2012, mais les juges qui la composent sont portés, comme ils l’ont montré dernièrement dans l’affaire Thomas Lubanga, à être très attentifs à l’authenticité des preuves ou des témoignages sur lesquels s’appuie l’accusation.
Faut-il s’attendre alors à des rebondissements dans ce procès ?
Certainement, car des rapports d’organisations des droits de l’homme ont d’ores et déjà pointé le doigt sur la culpabilité de certaines personnes très proches de Ouattara, voire sur des personnalités occupant de très hautes fonctions à la tête de l’Etat ivoirien.Il faudrait néanmoins préciser que la phase de confirmation des charges n’ouvre pas le procès proprement dit. Ce n’est qu’une fois que sera connue l’issue de l’actuelle audience qu’on saura s’il y a lieu ou non d’ouvrir un procès.
Propos recueillis à Paris par Moustapha BARRY
(Correspondant permanent)
7 Commentaires
Pauvre Afrique
En Février, 2013 (17:50 PM)Laurentgbagbo
En Février, 2013 (18:31 PM)Objectivement
En Février, 2013 (19:21 PM)Doktooru Kajoor
En Février, 2013 (20:12 PM)Aline Paris
En Février, 2013 (21:22 PM)Nelsonman
En Février, 2013 (21:28 PM)contre les libéraux Wade, Sarkozy, ouattara.
Ukam
En Mars, 2013 (09:11 AM)Participer à la Discussion