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Entretien avec... Pr. Isaac Yankhoba NDIAYE, doyen de la faculté de droit de l'Ucad et président de la commission de réforme du code pénal et du code de procédure pénale : ‘Ce que le Garde des Sceaux a dit n'est pas conforme à la réalité’

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Entretien avec... Pr. Isaac Yankhoba NDIAYE, doyen de la faculté de droit de l'Ucad et président de la commission de réforme du code pénal et du code de procédure pénale : ‘Ce que le Garde des Sceaux a dit n'est pas conforme à la réalité’
La commission de réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale piétine. Le mot n'est pas de trop. Il est simplement expressif d'un surplace par rapport auquel les protagonistes développent un faisceau discordant de raisons. Si le Garde des Sceaux impute ce ‘retard’ à la mobilité des enseignants dont son président Isaac Yankhoba Ndiaye, doyen de la Faculté de droit, ce dernier a, quant à lui, une lecture différente. Liée, notamment, à une mise à disposition tardive des moyens de fonctionnement. Les enseignants ne constituant, selon lui, qu'un dixième des membres de la commission. Le Pr. Ndiaye est, par ailleurs, revenu sur la qualité des textes de lois et de décrets, sur le débat relatif à l'article 80 du Code pénal et sur la judiciarisation du jeu politique. Entre autres...

Wal Fadjri : Récemment, le ministre de la Justice, au cours d'une intervention à l'Assemblée nationale, a imputé le retard dans les travaux de la Commission de réforme du code pénal et du Code de procédure pénale aux absences fréquentes des enseignants qui composent ladite commission. Quel commentaire en faites-vous ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Je vous dirai immédiatement que je n'étais pas là quand le ministre a fait cette déclaration. C'est après que j'ai été mis au courant par un membre de la commission. Et j'ai été profondément surpris et quelque peu affecté par les propos qui ont été tenus par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Mais, peut-être, qu'il s'agit de déclaration doublement contingente : d'abord le lieu où elle a été faite, (Assemblée nationale) ; ensuite parce qu'il s'agit du ministre de la Justice qui passait devant les députés. C'est donc tout à fait de bon aloi, je crois, que le ministre ait pu faire ce genre de déclaration. Mais, je me dois, par devoir, de donner quelques éléments de précision ou plus exactement de rectification par rapport aux propos du ministre. D'abord sur le nombre pléthorique des enseignants et leur mobilité qui seraient facteurs de blocage du fonctionnement de la commission. Je crois qu'il y a sur ce point particulier, un fossé abyssal avec la réalité. Pour me résumer, la commission est composée en réalité de 50 membres qui tous font partie de la grande commission. A côté de cette grande commission, il y a une sous commission de 10 membres. Sur l'ensemble de ces membres, il n'y a que 5 enseignants : trois enseignants de Dakar parmi lesquels moi-même, deux pénalistes de la faculté de droit et deux collègues de Université Gaston Berger de Saint-Louis. Donc sur 50 membres de la commission, il n'y a que cinq enseignants.

Wal Fadjri : Des enseignants, mobiles, tout de même ...

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Ces enseignants, naturellement, ils sont mobiles parce que ça fait partie de leurs obligations pédagogiques. Mais l'absence, de ces enseignants ne peut, en aucune façon, porter atteinte au bon fonctionnement de la sous commission ou de la grande commission. Et encore, la grande commission ne se réunit que pour valider ou infirmer les propositions qui ont été faites par la sous-commission, qui, elle, est composée de dix membres. Et sur ces dix membres, il y a une majorité de magistrats et d'avocats. Il n'y a que trois enseignants. C'est pourquoi, je crois que les propos avancés par le ministre ne sont pas totalement conformes à la réalité. C'est la sous-commission qui travaille et qui envoie ses propositions à la grande commission qui doit encore une fois les entériner ou les infirmer. Ce qui a, en réalité, pu bloquer la commission - si on peut parler de blocage - c'est que depuis que la commission a été créée, elle n'a pas eu de moyens suffisants. Certes il a été tenu un conseil présidentiel. A l'issue de ce conseil, le président de la République avait donné des indications pour que tous les moyens soient mis à la disposition de la commission parce que selon lui, il est inadmissible qu'une commission fonctionne sans moyens. Il y avait un problème de local, il y avait un problème de per diem pour motiver les gens qui participent aussi bien à la sous-commission qu'à la grande commission.

Wal Fadjri : Et après ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Immédiatement après le conseil présidentiel sur la réforme du droit pénal et de la procédure pénale, le Garde des sceaux a effectivement envoyé une correspondance à la direction du patrimoine bâti. Le directeur m'a appelé pour me faire comprendre qu'il a effectivement reçu la lettre mais que pour le moment, il fallait attendre et, le cas échéant, il m'appellerait pour me dire ce qu'il en est. A propos de moyens, nous avons attendu jusqu'à ce que, récemment, grâce à une personne membre de la commission, le Premier ministre ait été saisi. Immédiatement, ce dernier a donné des instructions pour que 10 millions soient mis à la disposition de la sous-commission. Cette sous-commission, c'est, elle qui a travaillé et c'est, elle qui fait des propositions. La grande commission n'est convoquée que pour entériner ou pour infirmer les propositions qui ont été faites. En réalité, ce qui peut bloquer le fonctionnement de la commission, ce sont bien ces moyens-là. Mais, ce n'est ni la mobilité des enseignants ni le nombre d'enseignants qu'il y a. Parce que, d'abord, ils ne sont pas pléthoriques. Ensuite si mobilité il y a, c'est peut-être le président ( lui-même, Ndlr) qui bouge et l'absence du président n'a aucune conséquence sur le fonctionnement régulier. La preuve, durant l'absence momentanée et provisoire du président, la sous-commission a fonctionné. Il y a le président du tribunal régional dedans, la doyenne des juges, des avocats, etc. Les enseignants sont, à la limite, sous représentés. En aucune façon, un dysfonctionnement ne peut provenir d'eux.

Wal Fadjri : N'avez-vous pas l'impression que c'est la conséquence de quelques états d'âme du ministre de la Justice dans la mesure où le déblocage des 10 millions a été décidé par-dessus sa tête...

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Non ! Je ne le crois pas. Parce que le ministre a essayé de trouver les moyens. Il m'a rassuré à plusieurs reprises et m'a même apporté la preuve, alors qu'il n'était pas tenu, qu'il a tout fait pour que la situation soit débloquée. C'était au niveau du ministère du Budget qu'il y avait quelques petits problèmes. C'est pourquoi je ne crois pas qu'il s'agit d'états d'âme du ministre de la Justice. Parce qu'il a fait ce qu'il pouvait faire et qui dépendait de sa compétence. S'il y a eu blocage, c'est peut-être au niveau du ministère du Budget ou du ministère des Finances. Moi, je comprends ses propos. Je dis que ce sont des propos qui sont contingents, c'est le lieu où cela a été dit et c'est à propos des intérêts du ministère de la Justice. Mais, en aucune façon, je ne crois pas que le ministre ait eu l'intention d'attribuer ou d'imputer le ralentissement des travaux de la commission aux enseignants. Mais cela étant dit, on ne peut même pas parler de retard de la commission parce qu'on ne nous a jamais imparti un délai. A l'issue du conseil présidentiel présidé par le chef de l'Etat, ce dernier nous a fait comprendre que ce qui lui importe, c'était la qualité des travaux. Pour un travail de cette ampleur, je crois que l'intérêt c'est la qualité et non le temps. Il n'y a jamais eu de délai imparti aux membres de la commission. Le président nous a même fait comprendre qu'il fallait travailler à notre propre rythme pour arriver à ce qu'il y ait un droit pénal qui soit conforme à tous nos engagements internationaux.

Wal Fadjri : Malgré le manque de moyens, vous avez eu à avancer sur un certain nombre d'aspects, est-ce que vous pouvez nous en parler ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Encore une fois, je rappelle que nous avons fonctionné sans moyens pendant, au moins, un an et demi. Et pendant toute cette période, la sous-commission s'est réunie au moins une trentaine de fois et a fait des propositions. On a même eu la possibilité de convoquer la grande commission pour entériner parce que nos premières propositions ont été acceptées par la grande commission. C'est pour dire qu'on a avancé dans le travail. Maintenant, s'il y a eu un ralentissement ou un semi-décalage avec la continuité de nos travaux, c'est le problème de moyens. Les gens ont fini par être lassés. Vous prenez cinq magistrats, quatre avocats qui ont leurs activités professionnelle qu'ils abandonnent. Qui viennent à la faculté de droit et y restent de 9 h à 18 h sans aucune motivation, cela peut créer de petits désagréments. Mais là, je suis persuadé que si on avait mis les moyens dont nous avons besoin à notre disposition, le travail aurait pu être bouclé parce qu'on s'était fixé de façon tout à fait autonome un délai. Ce, en se disant qu'on devait déposer nos conclusions définitives après adoption ou rejet de la grande commission au plus tard avant les élections du 25 février. Malheureusement, ce n'est plus possible. Parce que, depuis bientôt trois ou quatre semaines, il y a eu des ralentissements dans les travaux .

Wal Fadjri : Concrètement, sur quoi avez-vous travaillé ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Nous avons travaillé essentiellement pour le moment sur le droit pénal. Disons que l'essentiel du droit pénal a été analysé, affiné et il y a déjà des propositions qui sont en voie d'être proposées à la grande commission. Il nous reste l'autre partie relative à la procédure pénale. Mais comme on travaille de façon parallèle en droit pénal et en procédure pénale, il faut simplement qu'il y ait des ajustements. Si on avait la possibilité de se réunir encore on finirait bien par avoir les autres termes.

Wal Fadjri : Durant vos travaux, il y a eu des points qui étaient au-devant de l'actualité. Il s'agit, notamment, de la réforme de l'article 80 et de l'affaire Hissène Habré que l'Union africaine a demandé au Sénégal de juger. Est-ce que vous avez été saisis par rapport à ces questions-là ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Pas nécessairement. Il faut faire d'abord une précision. Sur l'affaire Hissène Habré, il y a une commission qui, actuellement, est en train de statuer pour voir comment le Sénégal peut être amené à le juger. Dans cette commission figure un des membres prépondérants de notre sous-commission, en l'occurrence le Pr. Ndiaw Diouf qui est l'un des maîtres d'œuvre de la réforme. C'est comme si la sous-commission avait participé. Ensuite, il y a le fameux article 80 sur lequel il y a des compréhensions différentes de la part des journalistes, des autorités publiques, etc. Mais nous, en ce qui nous concerne, on avait posé la question au président de la République, il nous a dit : ‘c'est à vous de décider, c'est vous qui êtes de la commission, pas moi. Vous me faites des propositions, j'accepte ou je refuse’. Ce se sont là les termes du président de la République. Nous il nous appartient de voir comment on peut faire de telle sorte que les journalistes ne soient pas systématiquement menacés parce qu'ils auraient écrit telle ou telle chose. Mais il y a tout un ensemble de dispositions scélérates qu'on peut trouver dans différents codes sur lesquelles il faudrait une réforme qui permet à ce que par exemple le journaliste ne soit pas immédiatement menacé. Mais on ne parle pas, à notre niveau, d'abrogation. On parle de comment on peut faire pour éviter que désormais la sanction première qui puisse frapper un journaliste ne soit plus une sanction pénale.

Wal Fadjri : Sans déflorer les résultats de vos travaux, est-ce qu'on peut avoir une idée de ces ‘dispositions scélérates’ comme vous le dites qui existent dans le code pénal et qu'il faudrait, peut-être, réviser ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Scélérate est un mot un peu trop fort mais le droit pénal est une discipline particulière. Parce qu'il touche à la liberté de l'individu. Il faut éviter des dispositions qui contraignent le juge qui n'a pas d'autre alternative parce qu'il n'a pas de pouvoir d'appréciation à retenir dans les liens de prévention une personne qui aurait commis tel ou tel fait. Je crois qu'il faut de temps en temps prévoir des dispositions avec une certaine souplesse. Que ce ne soit pas simplement la répression qui prévaut. Il y a dans le code pénal actuel certaines dispositions qui sont de nature à ne pas être en adéquation avec ce qu'on entend d'un pays qui se proclame être celui des droits de l'homme et des libertés individuelles et collectives.

Wal Fadjri : Depuis quelque temps on a remarqué que la division des investigations criminelle (Dic) s'impose comme l'arbitre du jeu politique. Quelle est l'opinion de l'universitaire que vous êtes sur cette question ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Dans tous les pays du monde, il y a certains services qui sont chargés d'agir comme le fait la Dic. Il s'agit de préserver l'ordre public et l'intérêt général. Mais tout dépend de la manière dont on utilise ses pouvoirs. Ce qu'il y a lieu d'éviter c'est qu'on en aboutisse à une banalisation non seulement de l'institution judiciaire mais aussi de l'institution policière. Parce que, finalement, la banalisation entraîne la décrédibilisation. Je ne sais pas si au Sénégal on tend vers cela, mais il n'est pas bon pour un pays qui se prétend démocratique de tout faire pour arriver à une banalisation. Le recours systématique à la Dic ou à la justice peut être source de problème. Je ne sais pas si on est encore arrivé là mais dans un pays qui se soucie des droits de l'homme, il faut éviter autant que faire se peut que les institutions soient banalisées.

Wal Fadjri : Sous l'ancien régime, vous aviez fait une contribution à Walf intitulée ‘L'art de mal légiférer’ où vous critiquiez la manière dont les textes (lois, décrets, etc.) sont conçus. Y a-t-il eu avancée ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Cela n'est pas un problème de régime. Il y a des textes qui sont mal écrits. Un texte qui n'est pas intelligible ne devrait pas être un texte de droit. On en trouve dans l'ancien régime comme dans l'actuel régime. C'est parce que généralement, ceux qui les font ne sont pas nécessairement des juristes. Et même s'ils sont des juristes, ils ne sont pas spécialisés dans la matière dans laquelle on leur demande d'intervenir. On impute la faute aux députés. Mais, ce n'est pas eux. Ce sont ceux qui proposent les lois qui sont responsables. Il faut, dans ces genres de situations, surtout lorsqu'il s'agit des dispositions qui peuvent porter atteinte à la liberté, prendre l'avis d'experts qui sont en mesure de vous faire des formulations qui ne risquent pas de créer des conséquences dans un mauvais sens.

Wal Fadjri : Est-ce que vous pouvez citer quelques exemples qui avaient motivé votre article ?

Pr. Isaac Yankhoba Ndiaye : Oui, il y a un article qu'on enseigne en Première année de droit qui dit que ‘La preuve incombe au demandeur’. Mais ‘lorsque l'obligation est inexistante, la preuve incombe au défendeur’. C'est faux. Lorsque l'obligation est inexistante c'est qu'elle est nulle, elle n'existe pas on n'a rien à prouver. Or, tel que libellé, les acteurs auraient voulu dire que lorsque le défendeur soulève une exception, il lui appartient de prouver la réalité de cette exception. Mais, en disant que lorsque l'obligation est nulle, le défendeur doit prouver, en cas de nullité, il y a absence d'obligation. Par conséquent, on n'a rien à prouver. Il y a aussi un exemple dans lequel le législateur dit avec des termes qui sont d'une autre époque dans les successions de droit musulman que lorsqu'il y a un homme et une femme, le mâle prend une part supérieure à deux fois la part de la femelle. Dans un pays du 21e siècle, mâle et femelle sont des termes qui ne sont pas indiqués.



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