[ Dossier ] FOOTBALLEURS, ARTISTES, LUTTEURS… Quand les modèles ne sortent plus de l’école

Jadis considérés comme modèles dans la société, l’enseignant et le fonctionnaire du quartier ont-ils perdu leur lustre d’antan ? En tout cas, même s’ils continuent de fréquenter l’école, les élèves choisissent de plus en plus comme références les artistes, les lutteurs ou les footballeurs. La détérioration de l’environnement scolaire et les immenses fonds engrangés par les stars sont les principales raisons de ce changement de comportement.

Ils surfent dans le net, lisent les journaux et suivent les chaînes de sport. Conséquences, bon nombre d’élèves sénégalais sont au courant des transactions financières du monde du sport. Ils savent également que les enseignants, souvent en grève pour des questions financières, ne sont pas assez nantis. Cette situation influence-t-elle l’amour pour les études des élèves ? On est tenté de le croire. Ce mercredi 27 mai, devant la porte d’entrée du Collège d’enseignement moyen (Cem) de Grand Yoff, une dizaine d’élèves attend l’ouverture du portail à quelques minutes de la récréation. Un homme barbu d’un âge assez avancé est assis à côté, filtrant les entrées et les sorties. Les potaches respectent manifestement la règle. Ils discutent d’autres choses. Certains ne sont apparemment pas pressés de rejoindre les salles de classe. “ Je prie pour que notre professeur ne vienne pas ”, lance un élève, avant d’ajouter : “ de plus en plus, je sens que je dois faire autre chose qu’étudier ”. La raison est simple pour le jeune collégien : “ nos frères qui nous ont précédés n’ont pas de travail ”. La petite parenthèse ouverte par le jeune collégien donne l’occasion d’aller au fond de ce désamour et surtout d’insister sur un des maux qui gangrènent l’école : l’attrait des élèves par les artistes, footballeurs, etc. Un sac noir en bandoulière, vêtu d’un blue-jean, George Diatta, élève en classe de 4e, indexe la situation de l’emploi au Sénégal. “ Il y a un manque criard d’emploi. On peut avoir un diplôme et chômer ”, se désole-t-il. Le jeune indexe aussi la modernisation qui, à son avis, augmente les besoins en termes de moyens financiers. “ Nous savons que ce que gagne un footballeur chaque mois est plus important que ce que récolte un enseignant après un mois de dur labeur ”, ajoute-t-il.

Notre interlocuteur a vu juste. Un site d’information portugais informe que Samuel Eto’o fils, la star camerounaise du Fc Barcelone, occupe la sixième place du classement des plus gros salaires cette année. Il aurait une paye de 625.000 euros par mois (environ 425.750.000 FCfa), c’est-à-dire 7.500.000 euros par an. Le site poursuit que cette situation pourrait rapidement changer en cas de prolongation de son contrat avec le FC Barcelone. Après avoir paraphé la prorogation de son contrat, Messi, l’Argentin du club, s’est retrouvé à la 3e place avec un salaire évalué à 8.400.000 d’euros annuel.
Comparé à un volontaire de l’éducation au Sénégal qui gagne environ 80.000 FCfa par, le différentiel est effarant. Eto’o empoche en un mois ce que gagne un enseignant en plus de…400 ans. Les footballeurs El-Hadji Diouf du Sénégal et Mamadou Niang ou encore les stars du monde musical dont Akon, le rappeur sénégalais vivant aux Etats-Unis ou en encore les ténors de la lutte avec frappe peuvent manifestement se prévaloir d’être trop loin en matière de fortune devant les enseignants et autres fonctionnaires.
Les élèves sont bien au fait de cette situation. “ Au lieu de perdre son temps à l’école, vaut mieux aller jouer au football ”, affirme Assane Guèye, élève en classe de 4e, sur un ton ferme. “ A travers le net ou les médias, nous savons tout ce qui se passe dans le transfert des joueurs. La voie la plus facile pour gagner sa vie, c’est le football ou la musique ”, poursuit son camarade de classeMalick Faye. Ce jeune collégien n’a manifestement plus la tête à l’école. “ Ce que je veux, c’est avoir un contrat professionnel ”, lance-t-il, le sourire aux lèvres.
La situation dans les écoles avec les grèves répétitives rend plus progressif le changement demodèles. “Nous ne savonsmême pas si nous allons terminer notre programme. Les enseignants passent tout leur temps à aller en grève en demandant plus d’argent au gouvernement ”, déplore Mbaye Babacar Guèye, en classe de 4e. Souleymane Boye, qui prépare le Brevet de fin d’études moyennes (Bfem), exprime son indignation : “ jusqu’à présent, nous n’avons pas reçu nos notes de premier semestre ”.
Si le stress et la désolation gagnent du terrain chez certains, un brin d’espoir se lit sur le visage de ces deux jeunes collégiennes. “ Tout le monde ne peut devenir footballeur ou artiste. Nous ne devons pas nous détourner de l’école ”, expliquent-elles. Amina et Nabou sont, certes, des fans du chanteur Akon, mais elles disent porter une attention particulière sur les études. “ Nous avons des femmes occupant des postes de présidente de la République ou de Premier ministre. Ceux qui dirigent le pays sont issus de l’école. Le gouvernement doit mettre les enseignants dans de bonnes conditions ”, expliquent-elles. Mamadou Seck, un parent d’élève croisé à la sortie de l’école, partage leur position. Toutefois, il recommande à l’Etat d’améliorer le quotidien des enseignants et à ces derniers de mettre fin aux grèves intempestives.