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HISTOIRE - Un temple et ses générations d’étudiants : Cheikh Anta Diop, la rebelle

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HISTOIRE - Un temple et ses générations d’étudiants : Cheikh Anta Diop, la rebelle

 

Vixit ! L’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) souffle sa cinquantième bougie cette année. Un prétexte pour revisiter son passé de temple du savoir pour comprendre sa situation présente. A travers ses générations d’étudiants qui, malgré leurs itinéraires différents, ont un dénominateur commun : La protestation. Cela pour un seul idéal : l’amélioration de leurs conditions de travail. Cependant, si la première génération d’étudiants se distinguait par la qualité de leur niveau, l’on se désole aujourd’hui d’une baisse inquiétante de la nouvelle génération d’étudiants.

Située en plein cœur de Dakar, jouxtant des quartiers résidentiels (Fann résidence, Point E) et s’ouvrant à l’Ouest sur l’Atlantique, l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) est un véritable conte de faits et d’histoire. Elle est tout simplement ad vitam aeternam de l’histoire. Née, il y a un demi-siècle (Novembre 1957), l’Ucad a bercé plusieurs générations d’étudiants qui ont marqué sa trajectoire. Si elles se confondent par leur caractère rébarbatif et fougueux, partageant les mêmes revendications d’ordre socio-pédagogiques, ces générations d’étudiants se distinguent par leurs tribulations, liées au contexte et à leur valeur idéologique. En effet, la première génération circonscrite entre 1960-70, baignait dans un contexte particulier marqué par le colonialisme. Durant l’année scolaire 1966-1967, l’Ucad a connu sa première manifestation violente organisée par les étudiants qui s’insurgaient contre la chute de Kwamé Nkrumah, père de l’indépendance du Ghana (ex Gold Coast).

Des manifestations qui ont poussé plusieurs d’entre eux à vider le campus universitaire. Sans vouloir établir forcement le lien entre ces événements, le Professeur Abdoulaye Elimane Kane, un ancien étudiant raconte : «La chute de Nkrumah était perçu par les étudiants comme un coup orchestré par les impérialistes qui étaient considérés comme les véritables maux de leurs problèmes. L’université était fortement politisée et les étudiants étaient très sensibles à ce qui se passait dans le continent. Ainsi, le campus Universitaire a été fermé durant un mois par les autorités.» En réalité, ces bouleversements n’étaient que le prolongement d’un sentiment de déception qui avait gagné ces étudiants suite à l’intégration du Parti de la renaissance africaine section/Sénégal (Pra-Sénégal), (seul parti légal à l’époque) à l’Union du parti socialiste (Ups). «Après la conciliation du Pra-Sénégal avec l’Ups, Senghor a poussé à bout les étudiants en 1966, il y a eu une sorte de repli des étudiants.

Car, ils se sentaient en quelque sorte, trahis par ce parti considéré à l’époque comme le dernier rempart de la résistance contre l’impérialisme. Avec de grandes figures comme Ahmadou Moctar Mbow, Abdoulaye Ly. Et, lorsque la chute de Krumah est survenue, cela a exacerbé davantage les étudiants qui se sont spontanément manifestés», explique l’ancien ministre de la Culture qui se dit très ému par l’élan de «générosité» et d’«humanisme» dont cette génération a fait montre vis-à-vis de leurs camarades africains après la fermeture du campus. «L’image la plus émouvante, c’était lorsque les étudiants sénégalais raccompagnaient en groupe leurs camarades maliens jusqu’à la gare ferroviaire. Ceci m’a vraiment marqué», se remémore, nostalgique, M. Kane qui avait décroché, par ailleurs, une bourse pour poursuivre ses études en France.

MAI 68 : LA REVOLTE

S’il y a une date qui aura vraiment marqué l’histoire de l’Ucad, c’est bien Mai 1968. Cela du fait des bouleversements de grande ampleur qui l’avaient secouée à cette période et dont les étudiants et les lycéens ont servi de fer de lance. En effet, regroupés autour de syndicats d’étudiants notamment l’Union démocratique étudiante de Dakar (Udes) «appuyée» par l’Union des étudiants de Dakar (Ued), les étudiants avaient décidé d’une grève illimitée. Laquelle grève fut soutenue par une grève de solidarité des élèves, puis celle des travailleurs et déboucha finalement sur une émeute. Dans son livre intitulé : Mai 68 ou la révolte des universitaires et la démocratie, paru en 1992, le professeur Abdoulaye Bathily, étudiant à l’époque des faits, relate les moments proéminents de cette crise universitaire sans pareille. «Une véritable veillée fut organisée à la cité universitaire le 27 mai 1968. Dès 05 h heures, l’arrivée d’un important cordon policier autour de la Cité ajouta à l’excitation. Des foules d’étudiants et d’élèves convergeaient des résidences universitaires et de la ville vers les Facultés pour installer les piquets de grève.»

Face à cette situation, poursuit ce «soixante-huitard» qui reprend le mémorandum de l’Udes, «le gouvernement sénégalais réagit comme à l’accoutumée, en encerclant le campus universitaire par les forces de police. Il s’agissait d’empêcher tout mouvement de l’extérieur vers l’intérieur et inversement. Ainsi, des camarades se virent privés de leurs repas et d’autres de leurs lits». Et, le 29 à 10 h, raconte-t-on dans le livre, «le Groupement mobile d’intervention, venu de Thiès et entraîné pour les interventions violentes, commença la sale besogne en lançant des bombes lacrymogènes, en frappant les étudiants et en brisant livres et matériel des facultés. Les étudiants, encerclés par un cordon de police, tentèrent de regagner la Cité universitaire. Ils y réussirent malgré la férocité de la charge des forces de répression».

Cette crise était si profonde que même la médiation entamée par l’Union nationale des travailleurs du Sénégal (Unts) n’y fit rien. Car, selon l’auteur du livre, le régime de Senghor les accusait de «singer» leurs homologues français. Mais surtout, il présenta leurs contestations comme la «conjonction d’une vielle tendance étudiante, qui étaient hier, troskiste et anarchiste, maintenant maoïste, d’une part, et d’une poignée d’ambitieux, dont certains sont au service du capitalisme internationale le plus rétrograde». Des accusations rejetées, naturellement, par les étudiants qui, selon Pr Bathily, réclamaient plutôt une réforme de l’enseignement répondant à leurs aspirations et celles des élèves. Même si l’auteur du livre reconnaît que certains membres de la Commission administrative (Ca) de l’Udes, dont lui-même, Mbaye Diack, son ex-camarade à la Ld/mpt, furent des militants du Mouvement des étudiants de l’Udes.

D’après le bilan fourni par le gouvernement le 30 mai, la répression policière fit un mort, 80 blessés et des centaines d’arrestations. Ces événements touchèrent la fibre corporatiste des étudiants sénégalais de France qui firent face à un dilemme : «Interrompre les études et rentrer au pays pour soutenir les camarades ? Ou rester en France et poursuivre la lutte ?», s’interrogèrent Abdoulaye Elimane Kane et ses camarades. Finalement, la deuxième option l’emporta. Car, narre le porte-parole du Parti socialiste, les étudiants prirent part à «la fameuse marche des Lions de Belfort».

Cette crise connaîtra son épilogue suite à l’intervention des autorités religieuses en l’occurrence Serigne Fallou Mbacké, Cheikh Tidiane Sy qui, dans une déclaration radiodiffusée, dans la nuit du 30 au 31 mai, qui invitèrent les protagonistes au dialogue. Ce qui se fit le 13 septembre. Et, c’est au bout d’âpres et longues négociations (vendredi à 9 h au samedi 01 h), les délégués de l’Udes dirigés par Mbaye Diack, président de ladite structure et le gouvernement, en présence d’une représentation de l’Union nationale des travailleurs du Sénégal (Unts) (qui s’en mêla le 30 mai), parvinrent à trouver un accord dans lequel on indiqua que le gouvernement s’engage à satisfaire les huit points de revendications posés par les étudiants.

Une promesse qui ne sera pas respectée par le régime de Senghor. Ce qui provoqua à nouveau, lit-on, une grève des étudiants et des élèves, dès la rentrée 1970-71. Conséquence : plusieurs dirigeants de l’Udes et de l’Ued firent arrêtés et enrôlés dans l’armée. Parmi ceux-là : Abdoudoulaye Bathily, Mbaye Diack, Mamadou Diop «Decroix», aujourd’hui secrétaire général-adjoint de Aj/Pads. Par la suite renseigne M. Kane, le syndicat d’étudiants l’Udes fut divisé avant d’être dissous par les autorités.

L’ANNEE BLANCHE

1988. Autre génération, autre régime, autre crise. Car, vingt ans après les événements de mai 68, l’Ucad renoua avec la violence qui déboucha sur une année blanche qui verra toute une «génération sacrifiée». En effet, les prémices d’une année blanche étaient posées par, les conditions sociales des étudiants qui étaient exécrables.

Le Professeur Moustapha Sambe, un ancien étudiant témoigne : «Il y a avait beaucoup de problèmes à l’université à l’époque. Les chambres étaient insuffisantes, les restaurants aussi. Il a fallu que l’on aille en grève pour que le restaurant Argentin soit construit. Et c’est grâce à nous que l’Université Gaston Berger a été construite en 1990». En sus de ces récriminations d’ordre social, souligne ce professeur en histoire des Media, il y avait cet environnement économique austère lié au fameux plan d’ajustement structurel qui hantait les étudiants. «On était très angoissé à cause du chômage qui était très accru», confie-t-il.

Mais, cette année blanche est survenue dans un contexte d’élection présidentielle et l’Ucad était fortement politisée. Des élections dont les résultats ont été contestés par l’opposition d’alors, avec comme fer de lance la jeunesse estudiantine. Il s’en est suivi de violentes émeutes qui ont poussé le régime socialiste à décréter l’Etat d’urgence sur tout le territoire national : «Il faut dire que le mouvement étudiant était très politisé. Et faisait face à un régime de Diouf très têtu», souligne M. Sambe.

NIVEAU DES ETUDIANTS AU RABAIS

A l’instar de leurs aînés, la nouvelle génération d’étudiants se sont illustrés par des mouvements de grèves dont certains ont eu une fin tragique. On se rappelle que l’étudiant Balla Gaye a été tué par balle en 2001, à la suite de violents affrontements qui avaient opposé les étudiants et les forces de l’ordre. Et, cette mort qui n’est jusqu’à présent pas élucidée, avait amené les autorités libérales à accéder aux revendications posées alors par les étudiants pour les calmer. Car, la tension était telle qu’elle faisait planer le syndrome de 88. Parmi les mesures prises par l’Etat, il y a le limogeage du ministre de l’Education d’alors, en l’occurrence Madior Diouf. Et les aides octroyées aux étudiants ont été généralisées, entre autres mesures.

Mais, si toutes les générations d’étudiants partagent les mêmes aspirations pour l’amélioration de leurs conditions de travail et d’existence, force est de reconnaître que le niveau de la nouvelle génération d’étudiants a baissé. En effet, le temple du savoir était réputé de par la qualité de ses élites qu’il a eues à former. Certains d’entre eux ont occupé ou continuent d’occuper les sphères internationales. Et, cette notoriété a fait de l’Ucad le réceptacle des étudiants des pays africains, durant la période post-indépendance.

En réalité, qu’est-ce qui est à l’origine de cette baisse de niveau des étudiants ? Alors que c’est les mêmes professeurs qui dispensent les cours (à l’exception de quelques-uns qui ont voulu monnayer leur savoir sous d’autres cieux). Le Professeur Abdoulaye Elimane Kane donne des explications : «Je pense que les étudiants d’aujourd’hui ne font pas assez d’efforts pour se cultiver. Alors qu’ils ont tout à leur disposition. Les techniques de communication sont plus développées avec Internet. A la différence de notre génération où les étudiants lisaient et s’informaient beaucoup. Tout le monde voulait lire Max ou Mao.»

De plus, il y avait une certaine émulation que suscitait le Président Senghor qui, explique M. Kane, «était très cultivé et s’entourait de collaborateurs aussi cultivés. De sorte que lorsque les étudiants devaient le (Le Président Senghor) rencontrer, il fallait qu’ils soient à la hauteur».

Nonobstant le manque d’engouement noté chez la nouvelle génération d’étudiants, la baisse du niveau s’explique par les grèves cycliques et des scènes de pugilat entre étudiants qui ont fini de clouer au pilori ce temple du savoir. Cheikh Ndaw, l’ancien vice-Président de la Faculté des lettres acquiesce et renchérit non sans désolation : «Aujourd’hui, l’échec est la règle, la réussite, l’exception.» Une situation qui est due, à son avis, par le nombre pléthorique d’étudiants qui est passé de 25 000 à 55 000, «sans aucune mesure d’accompagnement», le casse-tête que constitue la soutenance du mémoire lié au déficit de professeurs (un encadreur pour 300 étudiants), la fuite des cerveaux chez les professeurs, entre autres. Pour sortir l’Ucad de sa déliquescence, M. Ndaw considère qu’«il faut, aujourd’hui, axer la priorité sur la recherche à l’image du Japon».



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