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LA DETRESSE DES MENDIANTS EN CETTE VEILLE DE TABASKI : « Mafé » et « Mbakhal » au menu

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LA DETRESSE DES MENDIANTS EN CETTE VEILLE DE TABASKI : « Mafé » et « Mbakhal » au menu

L’œil alerte, allure de basketteuse, visage trop éprouvé par les étreintes de la vie, pieds poussiéreux, bondissant sur ses tongs avachies, Maty Thiam se précipite sur la grosse Mercedes immatriculée en Gambie qui vient de ralentir. Manque de pot : avant qu’elle ne parvienne à sa hauteur, la luxueuse cylindrée accélère soulevant un nuage de poussières. Affichant une moue de déception, elle revient sur ses pas et s’affale sur une natte de fortune étalée derrière les grilles de la caserne des sapeurs pompiers de Dieuppeul. Les yeux rivés sur la chaussée, elle répète, à intervalles réguliers, cet exercice.

Avec ses dizaines de compagnons de galère, cette mendiante arpente depuis plusieurs années le long des allées Khalifa Ababacar Sy dans l’espoir de trouver sa subsistance. Les très passantes allées sont particulièrement fréquentées par les mendiants de toute catégorie. En cette après-midi de mardi 11 décembre, Maty a une mine soucieuse. La journée tire pratiquement à sa fin et elle n’a pas été fructueuse. Et en plus, il a fallu puiser dans les maigres ressources 400 Fcfa pour payer un plat de riz chez la gargotière du coin, puisque les restes des riverains qui permettaient de tromper la faim ont fait défaut ce mardi. Ses lamentations se perdent dans le vrombissement des véhicules : «les temps sont devenus plus durs. Actuellement, les gens se préoccupent davantage de leur sort à cause de la cherté de la vie. Il nous arrive de rester du matin au  soir sans réunir 1000Fcfa».

En cette veille de Tabaski où la capitale est en proie à la fièvre des préparatifs, le spleen de cette mendiante décuple. Elle maudit sa condition de miséreux que lui rappelle la fête du mouton. Dans un réflexe de révolte, cette mère de six enfants issus d’un premier mariage s’énerve : «vous pensez que nous sommes concernés par la Tabaski ? Quand on est incapable d’assurer un seul repas de la journée, pense-t-on à la Tabaski avec son cortège de dépenses ?  Cela fait maintenant huit ans qu’on n’a pas égorgé le mouton le jour de la Tabaski». Couchée à plat ventre à même le sol et entourée de ses deux jumeaux de deux ans à la peau crasseuse, teint buriné sous l’effet conjugué du froid et de la dépigmentation, Sokhna Thiaw n’a pas perdu une bribe des complaintes de sa compagne de misère. Pour appuyer sa voisine, elle affirme: «bien que nous soyons musulmans, nous avons oublié qu’il y avait une fête dénommée Tabaski. Pour nous, tous les jours se valent. Notre existence se confond avec la misère». Mariée à un chômeur, le corps épuisé par plusieurs maternités, cette quadragénaire originaire de Fatick décrit ses maux que les mots ne suffisent plus à cicatriser. Elle confie : «en plus de mes deux jumeaux, j’ai cinq enfants. Mon mari ne travaille pas, il passe ses journées au Port de Dakar où il fait de menus boulots moyennant 100 à 50Fcfa». 

«Mafé» et «Mbakhal» au menu

Au moment où d’aucuns exposent fièrement de beaux béliers à la devanture de leurs maisons pour les besoins de la fête de l’Aïd El Kébir, les nombreux mendiants dont l’horizon s’assombrit de jour en jour du fait de la crise économique sans précédent attendent dans une sorte d’indifférence, l’arrivée de la Tabaski. Coincé entre deux véhicule à l’intersection de la Cité des Eaux sur l’avenue Bourguiba en train de solliciter l’aide de quelques bonnes volontés, Ibrahima Kanapo venu de son Mali lointain, il y a 10 ans, raconte : «voilà cinq Tabaski que je n’ai pas acheté de mouton ! Nous aurions vraiment aimé immolé un mouton comme tout le monde, malheureusement nous n’en avons pas les moyens. Grâce à la solidarité agissante des voisins qui nous offraient de la viande, nous préparions un repas copieux». La mine défaite, les mains engoncées dans des gants usés, se déplaçant à l’aide d’une chaise roulante, Ibrahima soutient avoir dégusté «un bon mafé» à l’occasion des deux précédentes années. C’est parce que, dit-elle, «il n’y avait pas suffisamment de viande pour faire du ragoût». Et dire qu’il y a des gens qui déboursent 300 à 500.000 Fcfa pour l’achat du mouton !

 A côté du destin scié de Fatou Diagne, l’existence de ce rescapé malien d’accident de la circulation constitue un îlot de paix. La quarantaine révolue, le visage mangé par un nez exorbitant, veuve d’un marin-pécheur disparu sans laisser d’économies ni de toit, elle a en charge cinq enfants dont les deux sont restés au patelin (Diourbel). La mendicité étant sa seule source de revenus, elle se rappelle ses cauchemars vécus à l’occasion de la dernière Tabaski. «Comme je n’avais pas réuni beaucoup d’argent, mes enfants et moi n’avons pas pu aller passer les fêtes à Diourbel. Nous sommes restés donc à la Cité Bissap où je dispose d’une baraque. Le jour de la fête, j’ai fait le tour des Hlm I où on m’a offert de la viande et des condiments. Malheureusement, pour une histoire d’enfants, une voisine avec qui je ne m’entends pas m’a cherché noise. On s’est bagarré et elle en a profité pour déverser par terre le repas que j’avais déjà préparé. Ce jour-là, j’ai pleuré les larmes de mon corps car mes enfants sont restés le ventre creux».

Quant à Sokhna Thiaw, elle affirme avoir fait du «mbakhal Yapp» son menu pendant la Tabaski. Car «la viande qu’on m’offre est souvent de mauvaise qualité pour en faire autre chose. En plus les condiments qui vont avec une bonne sauce coûtent excessivement cher». 

Le froid : mauvais compagnon des mendiants 

Pour avoir accouché de deux jumeaux, Dieynaba Diouf a quitté son Ngoyé Ndonfogoh natal (dans le Baol) pour faire la manche au rond-point de la Vdn sur l’ancienne piste. Qui plus, elle estime qu’il y a une sorte de malédiction qui s’est abattue sur sa famille et qui fait que celle-ci est incapable d’assurer les dépenses quotidiennes. Même si elle trouve que la mendicité est «quelque peu rentable», elle n’en souffre pas moins du fait des aléas climatiques.

 En cette période de froid, les charges de Dieynaba Diouf augmentent. D’autant qu’il faut acheter des habits lourds. «Heureusement qu’il y a les bonnes volontés qui passent souvent nous offrir des habits chauds. Au cas contraire, il y a les marchés hebdomadaires où on peut trouver des pulls à 500Fcfa». Toutefois pour le moment, la Baol-Baol semble ne pas être perturbée par le vent frais qui souffle sur la Vdn, et pour cause. Ses deux jumeaux sont juste vêtus de petit T-Shirt délavé par l’usure qui leur couvre à peine le ventre. Ils n’ont pas de culotte encore moins de pantalon.

 Pour cacher leurs «bijoux», leur maman se sert d’un bout de pagne déchiré. Ibrahima Kanapo qui déplore le manque de considération de la part des plus aisés soutient que le calvaire des mendiants s’accentue en période de froid ou pendant l’hivernage. «Nous investissons trop tôt les artères de la ville à la quête de la pitance journalière. Or, il fait excessivement frais durant les premières heures de la matinée. Si on n’a pas d’habits lourds, cela devient infernal. Regardez, mes pieds ont commencé à se fissurer. Pourtant, on est encore qu’au début du froid. C’est pourquoi, depuis quelques jours, je mets des chaussettes que j’ai achetées au marché hebdomadaire du samedi», affirme ce handicapé qui a perdu l’usage de ses jambes dans un accident au Mali.



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