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LE MAODO S’EST EFFACE. Une source d’inspiration inépuisable (par Abdou Latif Coulibaly)

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LE MAODO S’EST EFFACE. Une source d’inspiration inépuisable (par Abdou Latif Coulibaly)

Le Maodo s’est effacé pour toujours. « L’oubli est le vrai linceul des morts », écrivait, un jour, Georges Sand. Président, ce linceul ne recouvrira jamais votre mémoire, car il est des hommes dont l’œuvre et la mémoire résistent à la cruelle épreuve du temps. Vous avez existé pour entrer à jamais dans l’histoire de ce pays et dans le cœur de tous les patriotes sincères qui vous ont rendu un dernier hommage, dimanche 25 janvier 2009. Et rien, ni personne, ne pourra vous enlever votre place, ou masquer vôtre rôle décisif dans la bataille de l’indépendance du Sénégal.

Dimanche, s’est éteint un bâtisseur infatigable. Dimanche, s’est effacé l’un des pères fondateurs d’une République , l’un des guides éclairés distingués, d’une nation. Une nation que vous aviez voulue solidaire, courageuse, décidée et toute dévouée, pour impulser cette dynamique de progrès dont elle avait naturellement besoin, dès sa naissance, pour réussir le pari de son développement. Vous aviez choisi ce chemin, à un moment où d’autres, placés dans les mêmes conditions que vous, avaient privilégié d’autres voies, plus faciles que celles qui étaient les vôtres.

Les voies des autres étaient nécessairement moins porteuses d’espoir et d’espérance pour des populations aspirant fortement à la liberté et au développement. Vous aviez choisi la vertu et la droiture, comme moteur de votre action et comme catalyseur de votre projet politique que les vicissitudes de l’histoire ne vous ont pas permis de conduire à terme.

Le brouillard politique qui s’est installé, dès l’aube de notre indépendance, a permis au mensonge de triompher momentanément sur la vérité. Ce laps de temps était malheureusement suffisant pour plonger ce pays dans des doutes et des incertitudes politiques qui expliquent aujourd’hui les retards de cette nation. Homme de principe et de valeur. Vous l’avez toujours été et demeuré jusqu’à la fin de votre vie sur terre. Votre courage est connu de tous. L’histoire du pays est marquée par des actes et des faits qui en attestent largement. Nous sommes en avril 1972.

Vous purgez depuis plus d’une dizaine d’années une peine de réclusion criminelle à perpétuité à Kédougou. Le président Léopold Sédar Senghor échafaude, avec des personnes de bonne volonté qui interviennent pour obtenir ta libération de Mamadou Dia et celle de tes amis, un plan qui définit un certain de nombre de conditions, pour que le président de la République signe en votre faveur un décret de grâce. Léopold Sédar Senghor vous envoie un émissaire pour vous l’annoncer.

En lisant la réponse faite à l’émissaire de Senghor dans votre livre intitulé « Le prix de la liberté », j’ai davantage mesuré toute l’ampleur de la perte subie par notre pays, le 17 décembre 1962, quand le néocolonialisme français allié à des bras locaux a eu raison de vous. M. le Président, dans la prolongation de l’extraordinaire discussion que nous avons eue ensemble, samedi 23 novembre 2007, dans l’intimité de votre salon à votre domicile de l’Avenue Bourguiba, j’écris ces lignes, pour témoigner. Je tente surtout de dissiper un malentendu qui semble faire son chemin, depuis l’annonce de votre disparition. J’ai entendu beaucoup de personnes dire avec bonne foi que vous ne teniez pas à la révision de votre procès, car l’histoire s’est chargée de rétablir la vérité à propos des accusations graves d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui ont conduit à votre arrestation et à votre condamnation pour une peine de réclusion criminelle à perpétuité.

L’histoire a effectivement fait son œuvre. Elle a largement tranché en votre faveur. Vous avez même écrit à ce propos : « Et le rideau est tombé sur ce procès politique dont le dossier à charge avait été constitué patiemment, conçu, de haute main par un homme qui ne savait pas improviser, un homme mûri par le gril des ardeurs délibérées et des influences corruptrices auxquelles rien ne résiste, ni les amitiés d’airain, ni les certitudes passionnées. Cruelle méprise. Le jugement de l’histoire a été implacable. »

En lisant ces mots, on pourrait facilement adhérer à la thèse défendue dans certains témoignages et qui ont expliqué que vous ne souhaitiez pas la révision du procès de 1963. Cela n’est pas tout à fait exact. J’ai eu l’avantage, en décembre 1991, de conduire une enquête pour le compte du journal Sudhebdo, afin de déterminer, comme me l’avaient indiqué les responsables de la rédaction dans mon planning d’enquête, quels étaient les contours de ce fameux conflit qui vous a opposé, en 1962, à un ami de longue date, avec qui vous avez réussi la bataille de la création de Bloc démocratique sénégalais (Bds) et célébré ensemble la brillante victoire électorale de 1956.

Une victoire acquise de haute lutte, sur un adversaire politique, figure politique emblématique de la Section française de l’internationale socialiste de la (Sfio), section sénégalaise, alors que l’administration coloniale était hostile à votre combat. En remontant le fil de l’histoire politique récente du pays, j’ai collecté des informations majeures et réussi à faire parler des personnes qui ont été décisives dans le verdict du procès de mai 1963. Le jeune journaliste de l’époque que j’étais, avait réussi là une bonne opération professionnelle. Et celle-ci lui avait permis d’avoir un accès plus facile à vous. C’était comme un rêve d’enfant qui se réalisait.

Gamin, j’ai vécu avec un père qui pendant des années a souffert de votre emprisonnement et du sort injuste qui vous a été fait. L’admiration naturelle d’un fils pour un père m’avait poussé à épouser une cause qui était la sienne et qu’il défendait inlassablement devant ses amis. Je vois encore ce père guettant tous les jours, et sans cesse, la bonne nouvelle, celle lui annonçant votre libération. Avant de retourner à Dieu, en 1976, il a eu le plaisir de vous savoir enfin libre.

Après la publication de mon enquête, en décembre 1991, un des avocats qui ont plaidé devant la Haute Cour de Justice, Me Ogo Kane Diallo, m’a conduit auprès de vous, après que vous l’avez appelé, pour lui dire toute votre admiration pour le professionnalisme de notre journal et la rigueur de l’enquête publiée. Permettez-moi de rappeler ce que vous avez dit à propos de Me Ogo Kane Diallo. C’est une manière de lui rendre à mon tour un hommage appuyé : « Seuls les avocats Abdoulaye Wade, Oumar Diop, Assane Dia et Ogo Kane Diallo sauvèrent l’honneur du barreau sénégalais en acceptant de nous défendre, face au nouveau régime(…).

Quant à Ogo Kane Diallo, nous croyons lui devoir un hommage particulier. Il était un des rares avocats à avoir résisté à la facilité et à la magouille. Resté pur et dur, parfaitement informé de tous les dessous moraux, psychologiques et politiques du procès, il mena une action efficace, à la fois dans les coulisses et sur le plan extérieur, il contribua largement à faire connaître notre cause. »

C’est lui qui m’a conduit jusqu’à vous, je l’en remercierai toujours. En ma présence, vous lui aviez indiqué, qu’avec mon enquête, vous disposiez d’éléments nouveaux, pour demander la révision de votre procès. C’était à la fois flatteur et réconfortant pour nous de la rédaction de Sudhebdo de l’époque. Après cette rencontre, Me Ogo Kane Diallo s’était immédiatement mis à la tâche, pendant presque huit ans. Il a consulté et travaillé sans relâche. Hélas, des ennuis de santé auront empêché ce brillant avocat de donner toute sa mesure, jusqu’en 2000, quand, avec fracas, le régime nouvellement installé avait annoncé sa volonté de faire réviser le procès.

La suite, on la connaît. Lors de l’entretien que nous avons eu ensemble en présence de Me Ogo Kane, Diallo, vous aviez retenu deux éléments qui à votre niveau étaient considérés comme les éléments nouveaux. Vous aviez souligné les deux éléments nouveaux à partir desquels une procédure de révision pouvait être engagée. Il s’agissait d’un élément matériel d’abord : une note confidentielle envoyée à l’officier Faustin Priera, alors commandant en chef des commandos parachutistes basés à Thiaroye. Le message ne souffrait d’aucune équivoque. On peut lire dans la note les instructions ci-après. « Les choses ont l’air de se gâter. Je t’envoie ci-joint un pli cacheté secret et personnel que tu auras à ouvrir dès que je t’enverrai (par téléphone, radio, ou agent de transmission) des instructions. Tu compléteras le papier en y ajoutant la date.

Avertis – moi sans délai si on essaie de te déplacer toi et tes éléments et gagne du temps, afin qu’on puisse te donner les instructions nécessaires ». Cette note a été envoyée par l’aide de camp de Léopold Sédar Senghor, le capitaine Amadou Bélal Ly, agissant sur les ordres de Senghor lui-même. Les avocats de la défense ont tenté en vain de disposer de cette note pour prouver à la barre de la Cour que c’est Léopold Sédar Senghor qui a tenté d’utiliser, en premier, la force pour empêcher un fonctionnement régulier des institutions. Le deuxième élément sur lequel se fondait votre volonté de faire réviser votre procès est fondé sur une déclaration qui m’a été faite par le général Jean Alfred Diallo, dont le témoignage, lors de votre procès, a été décisif pour obtenir votre condamnation.

Ce dernier laissait entendre : « Mamadou Dia n’a jamais tenté un coup d’Etat contre Senghor. L’homme en était incapable. En plus, il n’en avait pas besoin. Il avait tous les pouvoirs. Mamadou Dia avait de l’admiration sans fin pour Senghor. Il était incapable de lui faire du mal. L’histoire du Coup d’Etat, c’est de la pure fabrication. C’était un coup monté ». Ces deux éléments majeurs étaient suffisants pour justifier une procédure de révision à vos yeux. Le 23 novembre 2007, vous avez fait une précision imposante qu’il me semble important de livrer à nos concitoyens.

Au cours de nos discussions vous m’avez dit avec cette franchise que tout le monde vous reconnaît : « La révision de mon procès est une question de justice, elle permettrait de faire triompher définitivement et de façon absolue la vérité sur le mensonge. Je ne donnerai cependant pas l’occasion à personne, qui qu’il soit, surtout pas à des flibustiers de la politique, d’en faire un instrument de propagande politique, de promotion et d’autocélébration. J’ai horreur de la récupération politique ». Je pense que vous étiez d’autant plus catégorique à ce propos, que des esprits - toujours les mêmes- malins et généreux avec les deniers de l’Etat, qui ont inventé les procédures de droit qui ont permis l’indemnisation de la famille de Me Babacar Sèye, étaient à l’affût, pour proposer des transactions, pour compenser le séjour carcéral de Kédougou.

Inacceptable ! Il n’était pas question pour vous de donner la moindre chance et la moindre occasion de transaction à ces flibustiers des temps modernes. Cette attitude de dignité et de refus de l’intolérable est conforme à l’idée que vos compatriotes se sont toujours fait de vous . Président, vous n’étiez pas contre le principe de la révision de votre procès. Vous étiez, par contre, opposé à toute action des pouvoirs publics tendant à en faire un instrument au service de la propagande politicienne. Intégrité et droiture. Rigueur et franchise. En partant, vous laissez un immense legs. Alors que vous séjourniez à Paris, un dimanche matin, à sept (7) heures, mon téléphone portable a sonné, au bout du fil, votre épouse.

Comme averti, je ne l’avais pas mis en position éteinte la vieille. Votre épouse qui m’a appelé m’a demandé de ne pas quitter. Avec qui, demandais-je ? Avec le président Mamadou Dia, répondit – elle. J’ai senti monter en moi un sentiment de plénitude et d’excitation extrême à l’idée de m’adresser à vous, tout en me demandant qu’est-ce qui pouvait être le motif de cet appel matinal.

La ligne était techniquement impeccable et votre voix était parfaitement audible. « Abdou Latif, je m’excuse de vous appeler aussi matinalement. Je viens de finir la lecture de l’ouvrage que tu viens de consacrer à la Loterie Nationale Sénégalaise et je n’ai pu résister à la tentation de t’appeler pour te dire toutes mes félicitations et mes encouragements… » Je n’ai pas sur le champ réalisé, au point que j’ai bafouillé au téléphone mes remerciements. Vous avez repris la parole pour me donner des conseils qui m’ont beaucoup réconforté, à un moment où j’en avais vraiment besoin. J’ai retenu de ce que vous me disiez ceci : « Quand on s’engage dans une lutte n’ayant d’autre motivation que le souci de servir son pays on se met au service du Bien. Quand on a la responsabilité de dire la vérité et le devoir de dénoncer le mensonge et que l’on décide volontairement par peur ou par calcul de faire autrement, on offense Dieu et trahit les hommes. Continuez et tenez bon. Vous avez fait le choix de servir utilement votre peuple. On ne renonce pas à un devoir ».

Après avoir raccroché avec vous, je suis allé revisiter votre ouvrage : « Le prix de la liberté », pour mieux saisir le sens de vos propos. J’ai retrouvé dans cet ouvrage des passages qui m’ont davantage permis de comprendre le sens de votre appel.

Toute votre vie, vous avez toujours considéré que vous étiez sur terre un homme de Devoir. Léopold Sédar Senghor qui vous proposait votre libération contre un engagement de votre part à renoncer à la politique, l’aura appris à ses dépens. C’est Roland Colin, son ancien directeur de Cabinet, qui vous a porté son offre. Votre réponse à Léopold Sédar Senghor a été fulgurante. Celle-ci est publiée en intégralité dans son ouvrage « Le Prix de la Liberté » Extraits. « On peut renoncer à des droits, mais comment renoncer à des devoirs ? Voter, pour ne citer qu’un exemple, est un devoir, dans la conception que je me fais de la démocratie, beaucoup plus qu’un droit, à tel point que l’esprit de la Constitution sénégalaise me semble exclure la possibilité, pour un citoyen, de faire acte de renonciation volontaire à la qualité de citoyen participant aux préoccupations de la politique de la Cité.

Ceci n’existe nulle part là où il y a démocratie véritable, et je pense que ce serait faire injure à la classe politique sénégalaise, à la conscience politique africaine d’instaurer cette pratique ». Vous ajoutez avec une remarquable lucidité : « Je dis, aussi que ce serait une attitude anachronique d’exclure la dimension politique des situations que traverse, au fil des jours, une existence humaine, à l’heure où des hommes de science, des hommes de religion expriment constamment des positions qui impliquent cette même dimension politique ». Vous invitez ensuite à une profonde réflexion sur la politique et son rapport au développement :

« Parler de développement implique, de quelque bout qu’on prenne les problèmes, cette même dimension politique. Qu’on le veuille ou non, c’est le mouvement naturel de tout être humain au milieu de ses semblables, respirant l’air du temps. Je peux ajouter que l’engagement de s’exclure du politique serait la traduction d’un comportement a-national ou anti-national. Ce serait dire que le destin de mon pays n’entre pas dans mes préoccupations, ne me regarde pas. Ce serait dire que je me mets au banc de la société sénégalaise, que je ne me considère plus comme un fils du Sénégal.

Le Sénégal ne m’appartient pas mais moi, j’appartiens au Sénégal, d’un mouvement aussi naturel que l’air que je respire, ici ou hors d’ici, que je le veuille ou non. Cette exclusion volontaire et délibérée aurait d’autant moins de sens que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes dans l’Afrique d’aujourd’hui, et notre pays, comme tous les autres, doit affronter des problèmes nouveaux et aigus, qui exigent la mobilisation des énergies de tous.

Ceci me conduit à dire qu’un engagement de s’exclure soi-même tournerait le dos à toutes perspectives de concertation et de coopération nationale. Ma libération ne serait, alors, qu’un fait stérile pour le pays si je me stérilise moi-même pour y accéder, et elle n’aurait guère de sens s’accompagnant d’une dérobade devant les responsabilités élémentaires d’un homme se retranchant de son clan. J’aurais pu m’en tenir à ces déclarations et refuser de faire connaître ce que je souhaiterais faire demain. La loyauté et la franchise portent à le dire sans équivoque. Je suis disposé à dire comment je vois mon rôle dans une optique de réconciliation nationale. Il y a, à mon sens, deux problèmes essentiels ».

Nos dirigeants actuels, comme ceux qui aspirent aux charges suprêmes de l’Etat ont beaucoup à apprendre de l’homme d’Etat qui nous a quittés la fin de la semaine dernière. Cette éblouissante leçon faite à l’époque à Senghor et aujourd’hui à tous ceux qui, comme lui, à un moment donné de leur existence, ont à se tromper sur le sens d’un engagement politique, est d’une étonnante actualité dans le contexte national. Puissent les uns et les autres méditer le propos et s’en servir pour le bien de cette nation.

Une sagesse bien de chez nous enseigne que « si vous voulez réellement connaître une personne, le mieux à faire s’est de vous adresser aux gens de sa génération, ils vous diront qui elle est en réalité ». Nous avons fouillé dans les archives et documents présentés au procès de votre procès, pour en extraire un témoignage édifiant sur vous. L’auteur de ce témoignage ? Ousmane Alioune Sylla. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il s’agit du père de l’ancien ministre Tidiane Sylla que nous remercions, pour avoir mis à notre disposition ce document inédit. Son père était couché dans son lit d’hôpital, à l’hôpital Le Dantec, quand un huissier, qui lui est envoyé par la Cour , est venu pour recueillir une déposition faite en faveur de Mamadou Dia. S’adressant à la Cour sur la requête de l’huissier de justice, le député témoigne :

« Je connais Mamadou Dia depuis 1933. Il était alors jeune instituteur à Saint Louis et se signalait, à l’attention de notre classe d’âge, par de brillantes études que, dans le bulletin de l’Amicale des Instituteurs, il consacrait à l’histoire du pays et aux contradictions qui peuvent être celles de jeunes gens imprégnés de culture occidentale et réinstallés dans le milieu originel. La sympathie qu’il nous inspira devait se fortifier, au fil des années, quand nous le vîmes s’atteler à la préparation du baccalauréat. C’était, à l’époque, une entreprise téméraire puisqu’il était décidé que les enfants de ce pays ne devaient pas franchir un certain seuil. Mamadou Dia dut le payer bien cher. Brimades, retards à l’avancement, mutations arbitraires, rien ne lui fut épargné. Mais, irréprochable sur le plan professionnel, il put, grâce à son courage et à sa persévérance, triompher de tous les obstacles sans cesse semés sur son chemin ».

Il continue ce témoignage remarquable : « J’eus le rare privilège, en 1945, alors que Mamadou Dia était Directeur d’Ecole à Fatick, de lire, à l’occasion de nombreux voyages (j’étais en service à Kaolack), une étude magistrale qu’il avait faite sur les structures politiques, économiques et sociales de l’Afrique, dont il envisageait déjà l’accession à l’Indépendance. Ce travail, dédié à nos frères tombés sur les champs de bataille d’Europe, et dont quelques extraits furent publiés, en 1946, dans le journal L’Aof, devait me fixer sur la hauteur des vues de Mamadou Dia.

Du reste, toute l’action politique de Mamadou Dia, depuis son élection au Conseil Général, en 1946, jusqu’à sa désignation comme chef du Gouvernement du Sénégal, n’a été que la mise en application pratique des thèses développées dans ce document. Celles-ci sont, par ailleurs, éloquemment exposées dans des rapports présentés à divers congrès et ont trouvé place dans maintes résolutions votées par le parti. Comme homme politique, Mamadou Dia est objectif et loyal et n’a jamais usé de son mandat à des fins personnelles. Bien mieux, il n’a jamais voulu ni d’honneur, ni d’argent. Les faits qui suivent peuvent en témoigner.

1° - Mamadou Dia n’a jamais été candidat à un poste. Toujours pressenti par des camarades connaissant ses qualités et ses aptitudes, il n’a jamais accepté sans résistance.

2° - Mamadou Dia ne s’est jamais occupé de faire une situation aux siens. Je suis même mesure à d’affirmer que certains de ses camarades ont dû intervenir, à son insu, pour obtenir le respect de droits auxquels ceux qui le touchent de près pouvaient prétendre légitimement.

3° - Après son élection comme Vice-Président du Conseil de Gouvernement du Sénégal, alors qu’il était Député à l’Assemblé Nationale Française, il n’a jamais perçu l’indemnité de fonction qui devait lui être servie, bien que les textes en vigueur, à l’époque, ne fussent guère contre un cumul avec l’indemnité parlementaire.

4° - Plus tard, en 1959, juste au moment où, de part le vote de la Constitution Française d’octobre 1958, les Députés africains devraient perdre leur mandat, le Questeur de l’Assemblée Législative du Sénégal, s’étant aperçu que Mamadou Dia n’avait perçu, pendant 6 mois, l’indemnité de Secrétariat qui lui était due, en qualité de parlementaire, lui fit un mandat de rappel. Mais Mamadou Dia lui fit immédiatement retour du mandat en lui indiquant qu’il ne pouvait le toucher, la situation ayant changé entre-temps. Cependant rien ne s’opposait – bien au contraire – à ce qu’il perçût le montant du mandat.

5° - L’an dernier, la candidature d’un ses proches ayant été présentée pour un poste important des Services Financiers, Mamadou Dia lui préféra celle d’un homme, certes valable, mais dont la désignation, selon son appréciation personnelle, avait surtout l’avantage de ne pas être interprétée comme inspirée par des considérations d’amitié partisane ».

De cet homme qui lui rend un si bel hommage, Mamadou Dia dira : « (…) c’est ainsi que j’ai souffert de la mort de nombre de mes amis et, en particulier, de celle de Ousmane Alioune Sylla. Je mesure tout ce que représentait pour moi ce vieux compagnon de lutte et, aussi, ce qu’il représentait pour le pays tout entier. J’en ai beaucoup souffert. Je me disais : si je disparaissais ici, à Kédougou, avec mes autres compagnons, un homme comme Ousmane Alioune Sylla serait capable de prendre la relève. J’ai ressenti la disparition d’un tel homme comme une épreuve terrible. » Tout le monde était convaincu que lui seul était capable de servir de relais entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, pour engager une véritable entreprise de réconciliation entre les deux hommes. Il mourut en 1964. La maladie qui l’avait cloué au lit pendant que se déroulaient les événements de 1962, l’emportera finalement en 1964.

Nous devons apprendre de Mamadou Dia, pour continuer l’œuvre qu’il a entamée. Sa vie sera toujours une source d’inspiration inépuisable.



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