Le regard de FALLOU - Grandir les grands….

A quoi sert l’histoire en tant que passé, si elle n’aide pas à penser et susciter l’avenir en tant que devenir ? En 1964, J P Sartre refuse le Prix Nobel ! Au motif historiquement inactuel et philosophiquement «impertinent», qu’«aucun homme ne mérite d’être consacré de son vivant». Autrement dit, l’homme est un être foncièrement inaccompli et irréductiblement partagé entre le sublime et le grotesque. Ajoutant pour justifier son refus, qu’il ne voyait pas «pourquoi, une cinquantaine de vieux messieurs, dont (il) n’était pas même pas sûr qu’ils comprenaient (ses) écrits, prétendaient (l)’honorer». Pour son œuvre littéraire et philosophique. Le 16 mai prochain, Wade lui, recevra le prix de l’Unesco. Pour son œuvre (au service de la paix). Le philosophe a refusé une prestigieuse distinction. Et, est entré par ce geste dans l’histoire. Le politique en accepte une, pour y entrer. L’un se suffit de son œuvre et de la sanction des lecteurs. L’autre s’en remet au seul «décret» de l’institution internationale. En l’occurrence, aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est cette abstraction, au demeurant très concrète, que constitue le peuple, qui sert de faire-valoir à cet insigne honneur. Car en démocratie, la paix véritable ne peut être que celle du peuple. Or, précisément au nom du peuple, dont les aspirations sont toujours légitimes et décalées par rapport aux préoccupations toujours partisanes des politiques, ces distinctions ne sont jamais que des moyens de puissance. Par lesquels certains grands hommes comme nos dirigeants se font hisser au rang de ces «pessimistes pratiques» dont parle Nietzsche. Qui ne voient dans le mouvement de l’histoire que le moteur de leur propre ascension. Et qui sont en permanence au service exclusif de leur propre puissance. N’adorant dans celle-ci que la puissance en soi. En définitive, lorsque les hommes politiques en sont les récipiendaires, ces prix sont comme les victoires électorales. C’est-à-dire des sortes d’estampilles qui leur confèrent de nouveaux noms, de nouveaux titres, de nouveaux pouvoirs. De fait, Wade n’est plus seulement président de la République du Sénégal. Désormais, il est aussi lauréat du Grand Prix de l’Unesco pour la paix et la démocratie dans le monde ! Mais du point de vue du peuple, en cette veille d’élections, toute cette agitation médiatique, ces grosses sommes dépensées, cette mobilisation tous azimuts, pour aller jouer une parodie d’épopée sur un terrain neutre, offrent l’image affligeante de certains nouveaux riches. Qui, à la veille de la Tabaski, nettoient soigneusement de gros béliers et les exposent à la vue désolée des pauvres croyants qui n’ont même pas de quoi payer la plus chétive chèvre. Si bien qu’on peut se demander si ce prix et les autres semblables, ne servent pas seulement à grandir davantage les grands de ce monde ? Dont en République, l’action du plus grand (le Président ), doit inscrire la vie des citoyens dans la voie d’un progrès collectif et non sélectif, partisan. Car, les notions de Président et de citoyen ne sont pas que des mots. Ce sont surtout, entre autres, des droits et des devoirs. Mais de plus en plus dans notre pays, entre les noms que portent nos dirigeants et l’effectivité de leur mise en forme dans notre vie quotidienne, il se creuse une faille au cœur de laquelle, sont abandonnés les citoyens. Au point même de réduire le statut de citoyen et les prérogatives qui y sont attachées, à de simples positionnements partisans et polémiques. Or, comme l’affirme Césaire, il n’y a rien de plus dangereux pour un homme ou un peuple, que «(….) de ne savoir pas de quel nom il s’appelle ? A quoi son nom l’appelle»? Pourvu seulement que nos dirigeants se souviennent des leurs. Et travaillent à nous rappeler le nôtre.