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MAMADOU DIOUF, ENSEIGNANT A LA COLUMBIA UNIVERSITY : « La restitution des bases est une orientation de la France qui revoit sa stratégie »

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MAMADOU DIOUF, ENSEIGNANT A LA COLUMBIA UNIVERSITY : « La restitution des bases est une orientation de la France qui revoit sa stratégie »

L’universitaire Mamadou Diouf, responsable des études africaines à la Columbia University de New York, nous apporte ici son éclairage sur le retrait des bases françaises au Sénégal. Un retrait qu’il considère comme un épiphénomène inscrit dans un changement de paradigme de la politique française en Afrique. Il ne manque pas de revenir sur l’idée première de préservation des intérêts français en Afrique qui a sous-tendu la création de ces bases. Il se prononce également sur la naissance de mouvements citoyens pour en appeler à une refondation de la société sénégalaise.

La France vient de restituer aujourd’hui ses bases au Sénégal. Au-delà du symbole, quelle appréciation avez-vous sur cette remise ?

Cette restitution marque un moment important après 50 ans d’indépendance. Elle témoigne également que l’indépendance, telle qu’elle a été conçue, était un arrangement permettant à la France de se retirer politiquement tout en conservant une mainmise sur ses intérêts économiques, stratégiques. Le meilleur outil pour assurer les intérêts français, dans le contexte des années 50, était la présence physique militaire. Ce n’est plus nécessaire aujourd’hui d’autant plus qu’il existe des possibilités d’intervention rapide sans une présence physique réelle. Il s’y ajoute que la France est dans des dispositifs de l’Europe et de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN).

Il y a donc une convergence de différents éléments objectifs qui ont rendu possible ce retrait. Il faut préciser que cela ne constitue pas une énorme révolution politique, encore moins militaire. Il s’agit simplement d’une adaptation de la France. La question ne peut pas être posée comme ce qui s’est passé dans le démantèlement des bases.

Il s’agit d’abord d’une orientation de la France qui revoit sa stratégie.

Est-ce qu’on ne pourrait pas lire encore ce retrait dans la quête d’une volonté nationale sénégalaise et dire que le mérite revient également aux autorités sénégalaises qui ont pris le président français au mot suite à son discours de Johanesbourg ?

Cette lecture ne pourrait être faite. Le président Sarkozy a fait certes une déclaration en Afrique du Sud sur le retrait. La question qu’il faut se poser est pourquoi l’a-t-il fait dans ce pays. La réponse découle du fait que l’un des éléments de contestation de la présence militaire française en Afrique venait justement d’autres pays comme l’Afrique du Sud. Le président français n’a fait donc que répondre à une question panafricaine.

Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, n’a fait que saisir cette opportunité qu’il a retournée en ressource politique. Il ne peut pas revendiquer un rôle majeur dans ce retrait même s’il peut constituer une partie de sa propagande.

Encore une fois cette décision de retrait s’inscrit dans l’histoire. L’idée avait commencé à germer du côté français avec le Premier ministre Lionel Jospin. Deux choix s’offraient à la France à l’époque : sortir du pré-carré du fait de certaines raisons économiques ou assurer une politique de coopération plus large pour ne plus s’enfermer dans la France-Afrique. La démarche française est donc intégrée.

Certains disent que le retrait est illusoire vu que la France maintient un dispositif militaire à Dakar ?

Il faut dire que si la présence militaire française a, par exemple, aidé à organiser des putschs chaque fois que des régimes prenaient leurs distances vis-à-vis de la France ou qu’elle en soutenait d’autres qui lui étaient favorables, cette présence militaire n’a plus joué ces fonctions ces dix dernières années. Le cas de la Côte d’Ivoire est très illustratif. Les troupes françaises sont aujourd’hui déployées en vue de sécuriser les étrangers en cas de trouble. Il s’agit d’une fonction qui vise à sécuriser les intérêts et les personnes, des Occidentaux en particulier.

Le retrait est donc un non-évènement dans une certaine mesure.

On a assisté ces derniers temps à la naissance de nombreux mouvements dits citoyens. Quelle lecture en faites-vous ?

Il est intéressant de voir ces mouvements surtout pour quelqu’un qui vit loin. Ce recul peut permettre de comprendre les choses, de les voir autrement. Il faut rappeler que durant le régime socialiste, il y a eu une intéressante discussion autour de la notion de la société civile. Ce à quoi l’on assiste aujourd’hui me donne l’impression comme si le jeu politique sénégalais est réfractaire à une démarche politique classique, comme s’il ne s’inclut pas directement dans la démarche classique.

J’ai l’impression que certains mouvements constituent une plateforme à émettre des discours tout en disant que ses animateurs ou membres n’étaient pas des acteurs politiques.

Maintenant, il y a différents mouvements dits citoyens. La question est de savoir ce qu’ils veulent, comment peuvent-ils participer au renforcement de la citoyenneté, de la démocratie.

Quand on prend le cas du mouvement de Youssou Ndour, on se rend compte qu’il a émis des vociférations contre le régime de Wade. Ce mouvement était un instrument pour négocier l’attribution d’une fréquence télé. Et depuis l’acquisition de la fréquence, ce mouvement a perdu de son intensité. Celui de Bara Tall est également compréhensible dans la mesure où il est un outil de défense d’un environnement économique permettant à un investisseur de bien évoluer. On peut être d’accord ou pas avec sa démarche, mais le mouvement de Youssou Ndour est beaucoup moins important que celui de Bara Tall si tant est que ce dernier arrive à mobiliser ses collègues investisseurs.

Ces mouvements sont pour moi une manière de tester l’inclusion démocratique des différents groupes tant que c’est sur la base de la défense d’un environnement juridique transparent. Ils peuvent donc être une excellente chose pour l’espace public.

Examinons maintenant le mouvement dirigé par Serigne Mansour Sy Djamil, un fils de marabout, dans une société fortement marquée par le jeu des confréries. Il est intéressant dans la refondation confrérique, dans l’établissement d’un climat moral.

Je constate déjà qu’il a une présence dans le jeu politique sénégalais de ceux que j’appelle des marabouts mondains.

Il y a donc l’émergence de groupes de vigiles religieux. Le mouvement de Sérigne Mansour Sy Djamil peut participer à mobiliser dans l’ensemble des confréries pour un nouvel arrangement religieux, pour un nouveau contrat social.

Il y a aujourd’hui une problématique contenue dans le triptyque des structures religieuse, politique et sociale.

J’en viens maintenant au paradoxe que constitue la mise en place du mouvement de Cheikh Tidiane Gadio, un ancien compagnon du président de la République Abdoulaye Wade.

Quand on lit son Manifeste, ce qui frappe d’abord ce sont les attaques portées à Wade. L’on est étonné du fait que l’ancien ministre des Affaires étrangères n’ait pas fait son mea-culpa par rapport à son compagnonnage avec Wade puisqu’il peut être considéré comme responsable de ce qu’il dénonce aujourd’hui, mais aussi par le silence qu’il a gardé des années durant.

Je pense qu’aujourd’hui il s’agit moins de poser le problème d’une succession monarchique que de la refondation de la société sénégalaise. La transhumance est aujourd’hui faite au bénéfice de l’opposition. Cette opposition ne devrait pas se suffire simplement de penser à affaiblir le pouvoir, mais de se pencher sur le passé de ceux qui viennent garnir ses rangs. Il est nécessaire de se demander s’il faut que les gens se penchent sur des principes, de pouvoir demander compte de ce que font les uns et les autres.

Cheikh Tidiane Gadio n’existe que parce qu’il a été ministre de Wade et il me semble demander aujourd’hui aux Sénégalais leurs suffrages. Il n’est d’ailleurs pas le seul puisque la majorité des prétendants ont été à l’école de Wade. Il y a problème.

Certains mouvements masquent le véritable débat qui doit s’instaurer sur les différences absolues de programmes entre la majorité et l’opposition.

Le temps est donc venu de demander à ce que les gens prennent une position claire pour qu’on puisse repartir sur des bases transparentes et saines.



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