POUR DESERTER L'ARMEE DES CHOMEURS LE TEMPS D'UNE FOIRE : Les jeunes filles prennent d'assaut le Cices pour avoir un job

Loin des activités officielles, l'autre enjeu de la Foire internationale de Dakar demeure pour la jeunesse, l'opportunité qu'offre l'événement pour les tirer de l'oisiveté. En première ligne, la main-d’oeuvre de gent féminine est déjà abondamment disponible à l'ouverture de la foire. Mais tout le monde n'y trouve pas son compte.

A l'entrée du Centre international du commerce extérieur du Sénégal (Cices), c'est une ruée des jeunes filles vers les pavillons des exposants qui s'offrent aux visiteurs. Profitant de la gratuité de l'entrée d'hier, jour d'ouverture officielle de la Foire internationale de Dakar (Fidak), de nombreux jeunes, principalement des filles dont l'âge varie entre 18 et 30 ans, se sont massivement présentés aux exposants pour déserter la grande armée des chômeurs le temps d'une foire. Souvent habillées en Jean et tee-shirt avec des chaussures basket, les filles font apparaître un dynamisme débordant pour maximiser leur chance d'être recrutées par les exposants particuliers, les entreprises étrangères, les structures publiques ou privées du Sénégal présent à la 19e Fidak. Participant même parfois à l'animation organisée pour l'accueil des autorités étatiques, elles sont prêtes à se surpasser pour un gagne-pain temporaire. Sillonnant les stands par groupe de deux voir cinq, selon les amitiés qu'elles ont pu tisser depuis leurs quartiers ou écoles d'origine, elles proviennent pour la plupart des zones difficiles de la banlieue de Dakar. 

Affalée sur un pan du gazon synthétique posé au pied de l'immeuble abritant la direction générale du Cices, le visage bien maquillé, la coiffure un peu défaite à cause certainement des nombreux tours de stands qu'elle a dû effectuer pour proposer ses services aux exposants, Nafissatou Cissé se plaint de l'ampleur et des rigueurs du chômage qui contraignent sa génération à se ruer sur des métiers de circonstance. 

L'exigence de la coquetterie écarte les plus timides de la course vers l'emploi 

«Nous sommes bien conscientes que la quinzaine de jours de travail, pour les plus chanceuses d'entre nous qui en bénéficieront, est loin de nous permettre de sortir de la galère quotidienne que nous vivons. Mais ku amul yaay namp maam, quand on n'a pas ce que l'on veut, l'on se contente de ce que l'on a, dit-on», explique Mlle Cissé qui prend son sort avec beaucoup de philosophie. 

Parce que, pense-t-elle, «le calvaire qui nous pousse à la recherche de ce travail commercial, le temps d'une foire, est plus complexe chez nos frères de la banlieue de Dakar. Parce qu’en tant que femme, nous avons l'alternative du mariage pour être prise en charge tôt ou tard. Ce que les garçons ne peuvent pas espérer». Révélant qu'elle va capitaliser cette année sa troisième Fidak en tant que commerciale, si jamais elle parvient à se faire recruter, la copine d'enfance de Nafissatou, Dieyna Diatta qui a son baccalauréat en poche, déplore l'exploitation honteuse par certains exposants pervers, de la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent la majeure partie de ces jeunes filles. 

Un petit marché de l'emploi qui incite à la débauche 

«Au début de la foire, rien ne montre qu'il y a des «kathiapan» (pervers) parmi les employeurs, surtout dans les rangs des étrangers. Sans mettre de gang pour exprimer leurs besoins, ou laisser sous-entendre ce qu'ils attendent de nous autres jeunes filles à la recherche de job, certains exigent un minimum de coquetterie. Vous voyez ce que je veux dire, ils cherchent des filles canon quoi !», explique notre interlocutrice qui se rappelle la mésaventure d'une de ses copines lors de la 18e édition de la Fidak. 

Se rappelant que l'année dernière, l'une de ses proches amies qui s'était fait employer se vantait d'avoir un «patron» qui l'invitait au restaurant en ville durant les cinq derniers jours de l'événement, Dieynaba, rapporte que «juste avant la clôture de la foire, l'employeur a avoué les raisons qui l'avaient poussé à exiger cette coquetterie en lui faisant des avances indécentes». Toutes choses qui font dire à cette dernière qu'«il y a une réelle discrimination dans l'offre d'emplois des exposants. Parce que les filles qui ne sont pas très coquettes où qui refusent de céder sur le plan des principes sont souvent écartées de la compétition pour l'accès au travail, parce qu'à ce moment-là, la compétence professionnelle ne suffit plus.» Pour Dieynaba, «il est temps que les responsables de la foire organisent, formalisent et contrôlent surtout ce petit marché de l'emploi qui ouvre la porte de l'incitation à la débauche parfois».