Violence faite aux plus jeunes au Sénégal : 65% des enfants violentés ont été violés

La violence faite aux enfants a été au centre des débats, lors de la journée scientifique de l'Institut de population et de la santé de la reproduction (Ipdsr) organisée, samedi dernier à l'Université de Dakar. Les chercheurs prenant part à cette rencontre ont décrit les mécanismes qui engendrent les abus faits aux enfants. Ils proposent la création d'un observatoire pour garantir le droit des plus jeunes.

L'Organisation mondiale de la santé estime que, chaque année, près de 40 millions d'enfants de moins de 15 ans dans le monde sont victimes de différentes formes de violence. Malgré l'étendue de la pratique dans la société sénégalaise, il n'y a presque pas de données scientifiques fiables.

Pour attirer l'attention des décideurs et susciter un travail de recherche sur le phénomène de la violence faite aux enfants, l'Institut de population et de la santé de la reproduction (Ipdsr) de l'Ucad a consacré, samedi dernier, une journée d'animation scientifique à la question.

Bien que parcellaires, les données présentées ont permis d'avoir une idée de l'ampleur de la violence sur les enfants dans la société sénégalaise. Le Centre Ginndi, un centre d'écoute et d'orientation dépendant du minsitère de la Famille, fait état de 1 400 enfants sollicitant annuellement ses services. Parmi eux, 10 % présentent des séquelles. Les maltraitances peuvent prendre diverses formes. Le viol constitue le mode d'abus le plus fréquent. Il concerne 65 % des cas d'abus, d'après une autre enquête menée dans un service de pédopsychiatrie dénommé Keur Xaléyi.

L'étude a, par ailleurs, démontré que les violences faites aux enfants peuvent survenir à plusieurs endroits. Et dans la plupart des cas (près de 45 %), les abus sexuels sont effectués dans le cadre familial, 17 % sont pratiqués dans la rue, 10 % à l'école publique et enfin 6 % des cas surviennent à l'école coranique. Pour l'auteur de cette étude, Caroline Ndomdi étudiante à l'Ipdsr, après avoir subi un abus sexuel, l'enfant développe généralement des symptômes, tels que la peur, les cauchemars, des troubles d'appétits ou le refus de parler.

‘Le Sénégal a ratifié toutes les conventions relatives aux droits des enfants, mais se trouve dans l'incapacité de les garantir’, déplore Moussa Diop, de la Direction de l'éducation surveillée au ministère de la Justice. Dans son intervention, il a notamment souligné ‘l'impuissance de l'Etat à faire face aux réseaux de proxénètes, de trafic de drogues qui utilisent les mineurs’. ‘Beaucoup d'enfants sont appréhendés sur le chemin de l'école avec de la drogue dans leur cartable, ils servent de relais dans la chaîne de transmission de la drogue’, fait remarquer l'agent du ministère de la Justice.

Il est admis que si les enfants sont victimes de violence, ils peuvent aussi en être les acteurs, car, note Moussa Diop, la violence des enfants peut être la réponse à une autre forme de violence, celle institutionnelle. Dans un contexte de crise des espaces de socialisation (famille et école), explique-t-il, la violence apparaît comme une réponse des plus jeunes. Celle-ci peut trouver un terrain propice comme dans des zones défavorisées. Il donnera l'exemple d'un quartier de la banlieue de Dakar, Médina Gounass, où vivent 80 mille habitants sans école publique ni espace de jeu.

Pour décrire ce qu'il appelle la ‘ghettoïsation de la violence’, le sociologue Abdou Salam Fall de l'Ifan s'est appuyé sur une étude menée dans les zones urbaines à Dakar et à Mbour. Il a ainsi démontré que la violence faite aux enfants est liée au contexte structurel. Elle serait le résultat des inégalités socio-économiques, de la précarisation du cadre de vie, du sous-emploi. Dans l'agglomération de Dakar, le sous-emploi est estimé à 72 %, ajoute le chercheur. Dans son analyse, le sociologue a également révélé ‘le contraste saisissant entre les besoins des enfants et l'offre décalée des adultes’. Il prévient contre la ‘transmission intergénérationnelle de la violence’, en d'autres termes, ‘le transfert de la violence de la société des adultes vers les enfants’.

Dans la typologie des violences, le sociologue a souligné l'agression défensive des jeunes à la violence structurelle. Et pour Abdou Salam Fall, les bandes de jeunes en désaffiliation, l'errance dans les villes ou même l'émigration clandestine en sont les manifestations les plus connues. Ces comportements déviants, explique le chercheur, peuvent être compris comme une défiance face à l'ordre imposé par la société des adultes. Pour juguler le phénomène, les recommandations sont allées dans le sens d'installer des sentinelles pour garantir le droit des plus jeunes dans la société. Ceci passe par la création d'un observatoire sur la protection de l'enfant contre toute forme de violence.

Sur le plan socio-éducatif, les participants à la conférence ont souligné la nécessité d'intégrer la question des abus sexuels dans les enseignements scolaires. Mais, pour l'heure, l'urgence est de ‘libérer la parole sur la violence’ et d'‘inciter les familles à enclencher des poursuites judiciaires en cas d'abus sur les enfants’.