
A mes yeux, un sportif de haut niveau est un chercheur. Un chercheur de performance certes et, par voie de conséquence, un chercheur sur lui-même, sur sa relation à sa pratique, sur ses compétences, sur les moyens destinés à les optimiser. Il est également un insatisfait permanent, toujours en quête de progrès, d’exploits à réaliser, de limites à dépasser. C’est pourquoi, il cherche, fouille, s’interroge, compare. Dans le cas de Didier Drogba, il semble que cette introspection soit prise très au sérieux.
A la fin de son livre « C’était pas gagné… », le marseillais de cœur confie avoir mis en place, depuis la fin de son séjour à Guingamp, une organisation destinée à l’aider à enchaîner les performances, à prendre soin de son corps, à analyser son jeu… Il intitule le chapitre : « Jamais sans ma structure ». Certains trouveront choquant qu’un joueur de football qui dispose d’un staff technique et médical au sein du club dans lequel il évolue, fasse appel à des intervenants extérieurs. Ils penseront que cette approche comporte des risques de parasitages, de transmissions d’informations contraires, de dépendance…
Pourtant, en lisant les explications de Didier Drogba, le sentiment qui domine reste celui d’un grand professionnel qui, conscient des attentes de son club, souhaite mettre toutes les chances de son côté pour être efficace et lui apporter entière satisfaction. Si à l’étranger, il nous donne le sentiment que cette pratique est acceptée (elle concerne quatre joueurs de Chelsea ; Directives données par José Mourinho à l’époque pour travailler son rôle de point de fixation offensif ; voir Equipe Mag du 4/12/10), nous sommes en droit de nous interroger sur la façon dont cette initiative est perçue en France. Il faut avouer que chez nous, toute nouveauté soulève des boucliers avant même d’avoir pris le temps de se renseigner, de se cultiver sur la question concernée. Tout se passe comme si nous avions toujours peur de perdre quelque chose. De ce fait, Didier Drogba avoue témoigner pour la première fois dans son livre (2008) de cette collaboration car, au début, surpris par celle-ci, certains parlaient de secte. « Ce raisonnement stupide contraignait à ne pas ébruiter une quelconque association de ce type. Bizarre » nous dit-il (p.226). Il insiste : « A un moment, Carrière a eu des problèmes à Nantes. Le staff des canaris ne comprenait pas vraiment cette manière d’agir, comme si des prérogatives lui échappaient. C’était une analyse totalement erronée. Car notre alliance n’interfère pas dans le travail collectif. Il ne s’agit pas d’une intrusion dans un domaine réservé, mais d’une volonté de coller à l’évolution du sport, qui tend vers une individualisation du travail. Carrière, Malouda et moi (tous trois ayant mis en place ce suivi) avons été élus meilleurs joueurs du Championnat de France : ce n’est peut-être pas seulement un hasard » (p.226).
Je partage ce point de vue : l’évolution du sport tend vers une individualisation du travail. Cela paraît cohérent, évident. Dans l’Equipe Mag du week-end dernier, Didier Drogba revient sur la spécificité de ce travail personnalisé effectué avec Pascal Kerleau, diplômé de STAPS spécialisé en biomécanique, physiologie, physique, balistique et Stéphane Renaud Fasciathérapeute. Il cite l’exemple de Michael Jordan qui, lorsqu’il jouait, avait cinq spécialistes dévoués à sa personne. Pour clarifier le sens, il confie : « J’aime comprendre. Optimiser mon corps, et donc mes gestes, est un vrai travail » (p.13), « je me plie a une logique quasi-scientifique » (p.14), « J’ai les yeux ouverts. Visiter des pistes inédites et comprendre ma progression me permet de durer. J’aime savoir pourquoi je marque. C’est pour ça que je suis fier de mes buts. Ce ne sont pas des buts de bourrin, mais le produit de gestes réfléchis » (p.14).
Voilà le sportif de haut niveau chercheur dont nous parlions en début de note. Un homme en quête de performance qui veut comprendre, visiter des pistes, optimiser afin d’estomper incertitude, incompréhension et hasard. N’est-ce pas là la preuve d’un grand professionnalisme et d’un engagement de tous les instants ? Quel problème cela pourrait-il soulever ? Un risque parce qu’il s’agit de sport collectif ? Encore une fois, Didier Drogba est extrêmement clair : « Le but est donc de grandir pour faire grandir l’équipe, d’adapter mon style, mon déplacement par rapport aux coéquipiers. Cela ne change rien au rôle de l’entraîneur, ni à l’importance de la composition du onze de départ. Je sais ce que je leur dois. Et je ne connais pas un seul entraîneur qui n’a pas loué mon sens du dévouement, preuve évidente que ce travail de l’ombre, cet investissement personnel rejaillit sur le collectif. C’est essentiel » (p. 229).
Le cas de Didier Drogba n’est pas unique. Mais en France, beaucoup de joueurs préfèreront taire ce genre de collaboration, par crainte des opinions et des décisions que cela pourrait susciter. Nous sommes trop souvent dirigés par la peur : la peur de ce que l’on ne connaît pas, la peur du changement… et puis nous sommes également un peu… paresseux… consacrer du temps à la découverte de nouveaux horizons, lire, s’informer, déconstruire notre vision des choses, demande de l’engagement. Par peur, nous préférons nous priver d’un éventuel progrès ? Il est étonnant qu’alors que nous nous plaignions du manque de professionnalisme de certains sportifs de haut niveau, nous en venions également à craindre que certains s’émancipent d’un système pour prendre en main leur performance et grandir. N’est-ce pas au contraire une preuve de professionnalisme ? Mais de quoi avons nous peur en réalité ? Qu’ils se mettent à penser ou de perdre notre emprise sur eux… à moins que cela soit un peu des deux…
3 Commentaires
Xeel
En Décembre, 2010 (00:50 AM)Papy Chic
En Décembre, 2010 (03:07 AM)Senegalaise
En Décembre, 2010 (15:30 PM)Participer à la Discussion