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Insolite

Afrique : la rumeur persistante des voleurs de sexe

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Afrique : la rumeur persistante des voleurs de sexe
INTERVIEW
Après une nouvelle «affaire» de subtilisation du sexe au Cameroun, l'anthropologue Julien Bonhomme analyse l'ancrage de ces récits urbains dans la société africaine.

Que s’est-il passé au quartier 5 de la ville de Nkongsamba, chef-lieu du département du Moungo au Cameroun, fin décembre ? Une affaire «gravissime» et «insolite» à en croire un article du site Camer.be. «Un individu a failli passer un sale temps avec des jeunes qui l’accusent d’être un "rétrécisseur" de sexe», relate l’article. «Comme cela se fait dans notre société, l’individu en question a serré la main à certains gens qui ont automatiquement, selon eux, senti que leur… n’était plus à sa place dit-on», continue-t-il.

S’ensuit un jeune énervé qui saisit un gourdin et manque d’étriper l’accusé si n’avait eu lieu, au dernier moment, une intervention de la police. «Histoire vraie ou fausse ? Seules les enquêtes de la police [pourront] nous édifier», conclut l’article. Un voleur-rétrécisseur de sexe, on croirait une histoire du Gorafi. Et pourtant, l’affaire n’est pas si incroyable. Régulièrement, les journaux africains relatent des faits de la même teneur.

Julien Bonhomme est enseignant-chercheur au laboratoire d’anthropologie sociale de l’EHESS et à l’ENS. En 2009, il a publié sur le sujet un ouvrage passionnant, les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine (Seuil). Il nous explique comment est née cette histoire et pourquoi elle est symptomatique d’une inquiétude moderne.
Dans l’article issu du site camerounais, on retrouve tous les éléments de la rumeur des voleurs de sexe.

Effectivement, c’est quelque chose d’assez frappant. Cette rumeur, on la retrouve depuis le début des années 70 dans une vingtaine de pays, en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Et, sur quarante ans, le scénario reste très stable. La personne accusée est un inconnu qui passe dans un quartier, par hasard, et les «victimes» sont des jeunes hommes. L’élément déclencheur est l’irruption de cet inconnu qui est amené, sans raison particulière, à les saluer. C’est vraiment le scénario typique qu’on retrouve au départ au Nigeria.
A-t-on une idée plus précise de quand et pourquoi cela a commencé ?

Tout ce qu’on arrive à savoir, c’est que tout converge vers le Nigeria. Mais c’est impossible de retracer exactement le premier incident. Souvent la rumeur s’est diffusée petit à petit et, au fur et à mesure, elle a véhiculé la mémoire du foyer d’origine. Dans bon nombre d’histoires, des Nigérians de l’ethnie Haoussa, connu pour être voyageurs et commerçants, sont mis en cause. En revanche, si cela débute dans les années 70, la rumeur n’explose vraiment qu’au début des années 90 et là, pour le coup, il y a de bonnes raisons. Le développement des médias de masse, presse écrite, radio, télé, puis Internet dans les années 2000, a joué un grand rôle. On observe une corrélation assez nette.
Le site internet qui relaie ici l’information semble hésiter sur la véracité de cette histoire.

C’est typique du traitement médiatique du vol de sexe ou d’autres rumeurs qui mêlent des éléments de magie et de sorcellerie. C’est un traitement extrêmement ambigu. Le journaliste se prononce assez rarement sur le statut de la rumeur. Du coup, avec le doute, les gens en parlent d’autant plus.
Est-ce que certains médias s’emballent parfois et inquiètent la population ?

Cela dépend du contexte. Quand la rumeur arrive la première fois dans une ville, ils peuvent effectivement alerter, mettre en garde, voire appeler à punir les coupables.
Dans l’affaire récente, la personne accusée s’en sort bien, mais il semble y avoir eu plusieurs fois des drames.

Dans l’incident au Cameroun, elle est tabassée mais sauvée in extremis. Mais, dans d’autres occasions, il y a des violences qui finissent par des lynchages à mort. Au Sénégal, dans les années 2000, il y a eu parfois plus d’une dizaine de morts en très peu de jours. La police n’étant pas forcément très présente et en effectif suffisant, elle n’a pas toujours les moyens d’intervenir lorsqu’il y a des violences de foules inopinées.
Vous expliquez dans votre ouvrage que ce ne sont pas des vieilles histoires, mais une rumeur moderne, qui se déroule dans un milieu urbain, pas à la campagne.

Il ne faut pas ramener la rumeur à des croyances anciennes qui circuleraient en milieu rural, dans l’Afrique des villages. Ce sont vraiment des histoires de sorcellerie moderne. Par le contexte des lieux où cela se déroule, en ville - dans l’affaire qui nous intéresse, Nkongsamba compte près de 250 000 habitants - en pleine rue mais aussi par ses vecteurs de circulation : les médias de masse, les téléphones portables. Plus largement, c’est assez typique d’autres rumeurs et histoire de sorcellerie qui touchent un grand nombre de pays africains aujourd’hui. Même si la sorcellerie s’enracine dans un passé lointain, elle continue de se transformer sans cesse et de s’adapter à l’heure des grandes villes.
Cette rumeur est-elle une forme de racisme ?

Peut-être pas du racisme, mais au moins de la xénophobie. C’est parfois la défiance d’un étranger, d’une autre ethnie, d’une autre nationalité. Au Gabon, où j’ai travaillé et récolté de nombreux articles, ce sont souvent les Ouest-Africains de manière générale qui sont visés. A noter que les accusations concernent toujours des Africains, pas des Blancs, des Chinois ou des Libanais, qui sont pourtant assez présents dans les grandes villes. De manière générale, les populations non africaines, notamment les Blancs, sont peu associées aux questions de sorcellerie.
Contrairement à la campagne, où la politesse implique d’être avenant, d’aller au contact de l’autre, est-ce que cela remet en cause la manière de se sociabiliser dans les villes ?

Dans les villes aussi les normes de politesses marquent une préférence très forte pour le contact. Contrairement aux métropoles américaines et européennes, c’est tout à fait routinier et ordinaire, en Afrique, de se saluer, y compris entre des inconnus. De ce point de vue, sur la question de la sociabilité, la rumeur des vols de sexe n’est qu’une crise temporaire, elle ne remet pas en cause sur la durée ces pratiques.
Mais, dans le fond, qu’est-ce qu’on entend précisément par le vol de sexe ou le rétrécissement ?

On retrouve les deux versions, le rétrécissement étant une variante du vol de sexe. La plupart du temps, la victime déclare avoir été frôlée puis avoir ressenti une décharge électrique, que j’interprète comme un symptôme de la peur. Ensuite elle dit que son sexe a soit disparu, soit rétréci, soit, plus simplement, qu’elle n’arrive plus à avoir une érection. L’inconnu est, lui, accusé de voler la virilité pour en faire des fétiches, pour s’approprier le pouvoir de sa victime.
Le vol de sexe est-il donc une peur de la perte de la virilité dans un espace moderne et urbanisé ?

La question, c’est : pourquoi le sexe ? Historiquement, les récits de sorcellerie touchent souvent la sexualité : la fécondité pour les femmes, la virilité pour les hommes. Comment on peut l’interpréter ? Dans ce cadre de l’Afrique urbaine, il y a un lien qui est fait explicitement entre la masculinité, la virilité et la réussite sociale. Un homme qui a réussi c’est un homme qui a gagné de l’argent et qui est donc viril. Et, a contrario, tout une frange de la jeunesse masculine ne peut pas travailler et n’a pas d’argent pour fonder un foyer. Elle est donc atteinte simultanément dans sa virilité et dans son statut social. Achille Mbembe, l’intellectuel camerounais, a en parlé de manière très juste : «La postcolonie est un monde de virilité angoissée.» Le vol de sexe en est une illustration.
Si la police enquête, infirme-t-elle ces rumeurs ?

La police vérifie puis, souvent, leur porte-parole déclare que le sexe est bien en place suite à des enquêtes, à des recours à des médecins, des experts et des psychologues. Ça ne suffit pas complètement à éteindre la rumeur. Elle finit toujours par disparaître assez rapidement puis par réapparaître au même endroit, quelques années plus tard, ou par se propager dans des régions voisines.
Recueilli par Quentin Girard



2 Commentaires

  1. Auteur

    Fada

    En Janvier, 2014 (18:59 PM)
    ah les noirs!!!!. Pourquoi pas vol de cerveau, c'est parce que vous en êtes dépourvus. Les macaques ne pensent que par le sexe.
  2. Auteur

    Ibrahima1974

    En Janvier, 2014 (01:16 AM)
    always

    behind
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